Veille et analyse, partage, approche critique

Petite histoire d'une future agonie…

Et si, après l’univers de la musique, celui de la vidéo et du cinéma, celui du document donc de la presse ainsi que du livre, et tout ce qui concerne la gestion et la distribution de ces biens, c’était au tour de l’Ecole ?
L’histoire commence probablement avec l’invention de l’écriture et même avant c’est à dire avec la prise de conscience de l’importance de la trace, c’est à dire de l’externalisation symbolisée de qu’il y a dans le fonctionnement mental d’un être humain. En fait l’écriture, parce qu’elle est un symbole beaucoup plus fort socialement surnage par rapport aux autres traces, tout comme aujourd’hui le numérique (binaire pour l’instant) cache la réalité du développement humain.
Si nous regardons les inventions qui ont le plus transformé la société humaine, c’est au moment où elles déséquilibrent les rapports humains qu’elle prennent toutes leur force. De la roue à la bombe atomique, la déstabilisation de la société a été telle qu’il n’a plus été possible de « vivre ensemble » après comme antérieurement.
L’invention de l’électricité puis de l’ampoule amenant au renouvellement de l’éclairage des villes après le développement de nombreux systèmes d’éclairages anciens a permis de se passer de la contrainte de la nuit et donc de changer des modes de vie en société. L’évolution remarquable de tous les moyens de communication au cours des siècles n’a cessé de transformé les rapports humains, mais souvent en douceur. Les sauts les plus significatifs de cette évolution sont très rares, et pourtant cette évolution est constante et facilement observable.
L’émergence de l’informatique et la généralisation progressive du numérique s’inscrivent dans ce schéma : il y a sur une période de 60 années environ (1945 – 2005) un saut probablement essentiel. Mais à l’intérieur de cette période, il s’agit d’une évolution constante avec certains sauts plus signifiants que d’autres comme l’émergence d’Internet pour tous.
Cette modification fondamentale de l’environnement humain a évidemment des conséquences logiques sur l’organisation de nos sociétés. Si nous reprenons les écrits de Mila Doueihi, de Bernard Stiegler ou encore de Michel Serres (et bien d’autres), force est de constater qu’ils tentent de nous alerter sur ce changement radical. La résistance quasi héroïque des anciens ne cache pas les évolutions réelles. Si le monde de l’audio et du visuel avec la loi Hadopi tentant de résister, ou encore la montée de la question du livre sont sur le devant de la scène c’est que les évolutions deviennent « modestement signifiantes ».
Or à cette rentrée, le ministre de l’éducation revient sur la question du numérique à l’école. On lit ici ou là des propos sur l’intérêt, l’importance, l’efficacité des TIC en éducation (cf plusieurs articles, ouvrages et interview de cette rentrée). Amnésie !!! On oublie que depuis le début des années 70 la même question est posée et obtient toujours la même réponse. Evidemment à chaque fois ce sont des personnes différentes qui les posent… d’où peut-être l’explication de ces oublis. Mais la question n’est pas là, ou plutôt n’est plus là. Si elle a a été d’actualité au début des années 80, aujourd’hui il y a un fort déplacement, comparable à celui qui est posé aux industries de l’information et de la communication : comment vivre après l’analogique…. ? (pour faire vite).
La mise en difficulté de l’école a largement été initiée par le développement de la télévision. Cependant il a été possible de maintenir un statu quo, surtout dans des pays comme la France avec une forte histoire scolaire et culturelle. L’arrivée de l’ordinateur a permis dans une première période de tenir le même discours que pour la télévision, une fois prouvé que l’enseignant était supérieur à la machine. Les difficultés d’intégration de ces technologies à l’école perdurent actuellement (cf les landes), mais font les délices des « anti » de toutes sortes.
Pendant ce temps « le numérique étend sa toile ». Sans surprise, sans bruit, l’environnement humain se restructure (on lira avec profit le texte de Bernard Stiegler paru dans Mediadoc d’Avril 2009 consultable à l’adresse http://www.fadben.asso.fr/IMG/pdf/mediadoc02-Entretien-complet_Stiegler.pdf) et le monde scolaire tente lui aussi de l’ignorer, voire de résister. Comme si résister avait un sens dans ce contexte, alors qu’il s’agit simplement (!!!) de remodeler le paysage éducatif dans son entier. Comme toute industrie menacée, l’Ecole construit depuis près de 30 ans une logique de mise à distance du numérique. Elle est dans le temps long car économiquement protégée du court terme. Ce n’est pas le cas de l’industrie de la musique ou de l’image, voire du livre. Pour résister il y a les structures en place dont on connait la force de stabilité et donc d’immobilité.
Malheureusement, l’agonie de l’Ecole telle que nous la connaissons risque d’être longue. A moins que le virus de la grippe ne vienne révéler que l’on peut faire autrement. A lire les récits d’établissements prêts à assurer la « continuité de service » même à distance, on peut faire l’hypothèse que cela va révolutionner la compréhension de l’ordre scolaire actuel, à défaut de sa forme (les choses rentreront vite dans l’ordre antérieur). Et pourtant ce qui risque d’être démontré, si cela se produit, c’est que la forme scolaire n’est pas aussi immuable que d’aucuns le pensaient. En instituant le CNED en chef de file, le ministère rassure, tout le monde sait ce que cela va produire sur le système. Par contre en voyant émerger les initiatives locales basées sur l’usage des TIC (mails, plateformes collaboratives etc…) il n’est pas impossible qu’une analyse fine de ces pratiques ne permette de faire émerger un modèle à partir duquel on pourrait tenter de reconstruire un système scolaire enfin « numérisé »
A débattre et à suivre
BD