Veille et analyse, partage, approche critique

Une bien curieuse absence

Comment se fait-il qu’aucun des textes liés à la réforme du lycée qui se met en place à la rentrée prochaine ne fasse allusion au B2i lycée ? Cette question se pose avec d’autant plus d’acuité que les programmes de mathématiques renforcent la place de l’algorithmique en première après l’avoir introduit explicitement dans les programmes de la classe de seconde. Faut-il penser que l’on se suffira de mettre des touches de TIC ici et là (en physique par exemple) et une option dans certaines sections pour que la culture TIC de tous les élèves atteignent enfin le niveau souhaitable pour un jeune étudiant ? Apparemment oui, si l’on en juge par cette étonnante absence.
Rappelons l’histoire brièvement. Entre 2000 et 2004, le ministère de l’éducation lance le projet B2i à l’école, au collège. Il tente une incursion au lycée, mais bien timide, et le C2i apparaît pour l’enseignement supérieur en 2004. C’est en 2006, à la faveur de la refonte des B2I initiaux que le B2i lycée est officiellement mis en place (C. n° 2006-169 du 7-11-2006). Ainsi donc on est en droit de penser que cette organisation complète du B2i était de nature à se diffuser largement. Malheureusement, il n’en est rien. Et c’est avec le plus grand étonnement qu’en décortiquant tous les textes de la réforme du lycée, on s’aperçoit qu’il n’est jamais question du B2i. Cela est d’autant plus étonnant que chaque ministre passant s’impose le devoir de rappeler l’importance des TIC pour le monde scolaire.
Quelques échanges avec les collègues qui enseignent en lycée montrent qu’il serait particulièrement aisé de travailler la validation des compétences du B2i, surtout qu’avec les TPE, il y a en plus des disciplines, un espace particulièrement adapté à ces validations. Bien qu’insistant sur la place à donner aux TIC au lycée, appuyant sur l’usage des ENT et autres moyens techniques, la circulaire de rentrée, par exemple, ne fait aucune allusion à cette certification. Un bon nombre d’enseignements du lycée font appel directement et surtout indirectement aux usages des TIC par les élèves. Or nombre d’enseignants déplorent la faible qualité des recherches des élèves, de leurs copier-coller à répétition etc… Est-ce en ne donnant pas de place à ces usages dans le lycée que l’on pourra répondre à ces interrogations ? Certains établissements ont pourtant commencé à mettre en place un dispositif pour accompagner et évaluer les élèves autour du B2i lycée, mais cela reste modeste.
Comme nous avons déjà eu l’occasion de le repérer, le ministère semble préférer introduire les TIC par l’extérieur que par l’intérieur, en quelques sortes. Autrement dit en ne s’attachant pas à définir la problématique posée par le développement des TIC dans la société, les directives renvoient soit aux disciplines, soit à l’organisation. Si ce sont les disciplines, alors chacune y fait selon sa compréhension, si c’est l’organisation, alors on espère que l’immersion suffira. Mais c’est oublier ce que nous avons déjà eu l’occasion souvent d’évoquer : la fragmentation et la transversalité. Les TIC apportent une vision de plus en plus fragmentée de la réalité et en même temps elles s’immiscent dans toutes les strates du savoir et de l’élaboration des connaissances, ainsi que dans tous les espaces de communication humaine. Il est donc indispensable de parler d’urgence. Certes le B2i n’est pas l’outil parfait dont rêvent les puristes, mais il a le mérité d’exister. Il est donc aisé de bâtir à partir de là les éléments qui permettront d’agir.
Reposons ici, sans hiérarchie aucune, quelques éléments de cette problématique :
– la diffusion familiale des TIC et les usages personnels qui s’en suivent sont particulièrement aigus chez les 16 – 24 ans,
– l’importance prise par les TIC dans l’organisation sociale impose une certaine « maîtrise » à définir comme critère d’employabilité.
– l’évolution des pratiques et donc de la culture et des mentalités qui en découlent a une influence grandissante sur l’organisation sociale et en particulier le vivre ensemble dans la société.
– la place prise par les TIC dans la construction et la diffusion des connaissances et des savoirs est de plus en plus significative
– les rôles et les fonctions que les TIC permettent de développer au sein du groupe social sont en renouvellement en particulier dans les domaines du contrôle des personnes de l’évaluation des activités et de la diffusion des informations
– le renversement sociétal d’une logique de communauté qui préexiste à l’individu vers une personne qui se construit en construisant son environnement communautaire en s’appuyant sur les TIC est un changement fondamental dans les parcours de chacun
Comment dès lors penser que le monde éducatif puisse se contenter de reléguer ces questions aux seules écoles et collèges, alors que c’est au lycée que se trouvent justement les niveaux de complexité auxquels la problématique se pose. D’ailleurs les auteurs du B2i l’avaient largement perçu puisque c’est ce niveau de complexité qu’ils essayaient de toucher avec le niveau lycée. Malheureusement la question politique des équilibres du lycée, sous l’influence de lobby variés et peu enclins à aborder les choses de manière globale, a mis de coté cette question, préférant accepter quelques accommodements disciplinaires. Un argument plaide pourtant en la faveur d’une telle approche : celle des « classiques » soutenus par certains qui, bien que ne connaissant absolument pas les TIC autrement que par les « on-dit », pensent qu’une culture livresque classique suffira à développer l’esprit critique et donc la maîtrise de ces nouveaux enjeux. Malheureusement c’est nier la spécificité de l’impact des TIC sur l’ensemble de la société que de penser cela. C’est aussi laisser émerger une petite élite qui pourrait, à l’insu de la grande masse, contrôler la société par ces moyens techniques (et leurs déclinaisons culturelle). L’illusion de la seule maîtrise technique rejoint celle de la maîtrise de la culture classique : elles oublient toutes les deux le rôle du contexte. Mis en évidence par les chercheurs de plusieurs disciplines, le contexte s’avère comme un élément essentiel pour comprendre les objets qui s’y déploient. L’intérêt du B2i est justement qu’il insiste sur la contextualisation, non seulement disciplinaire mais aussi transdisciplinaire.
C’est juste avant que le Ministre ne propose son plan numérique qu’il est nécessaire de rappeler que le lycée ne doit pas être oublié. L’enseignement supérieur a de plus en plus besoin de ces compétences à la contextualisation et à la globalisation pour former des personnes pleinement responsables au sein d’une société dans laquelle un développement des TIC pourrait bien produire de nouvelles formes d’esclavage….
A débattre
BD