5 minutes et t'es dans le coup !

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A l’époque de l’Apple 2, du Commodore VIC puis 64, de l’ORIC et autres Sinclair (1983)  acquérir un ordinateur était un projet qui permettait de pénétrer le monde « magique » de l’informatique. Au début des années 1980, les ordinateurs personnels apparaissaient dans le grand public et l’informatique, jusqu’à présent lointaine du quotidien des usagers, a commencé à devenir accessible à tous. Mais c’était oublier plusieurs paramètres qui aujourd’hui encore font débat : à quel prix ? Pour quel usage ? Avec quelles compétences ?
En 1983 acheter un Commodore 64 coutait 3500 francs c’est à dire environ 975 euros d’aujourd’hui (calcul sur la base du tableau de l’INSEE). Autrement dit un petit ordinateur individuel coutait (en valeur constante) plus cher que bien des appareils que nous acquérons. Ne parlons pas des Apple 2 ou des IBM PC dont les prix étaient bien plus élevés. Si l’on compare l’offre de cette époque avec l’offre actuelle on peut faire le rapprochement entre ces petites machines grand public et les netbook du marché. Si on compare l’utilisabilité de ces deux types de machines alors il nous faut reconnaître que quelque chose à changé… et en particulier dans les compétences qu’il est nécessaire de maîtriser (et donc les connaissances à acquérir)
En 1980, le BEP Agent Administratif était transformé en BEP ASAI, agent des services administratifs et informatiques. On y enseignait la programmation en langage Basic et la gestion (utilisation) des fichiers informatiques. Dans le plan Informatique Pour Tous plusieurs contenus différents étaient proposés pour les stages de formation des enseignants et déjà des divergences apparaissaient entre les tenant de la programmation et ceux de l’usage des outils « tous faits ». A l’époque déjà la question de savoir si l’on devait ou non connaître la programmation était posée.
Avec le Macintosh d’Apple, une révolution de l’ergonomie et de l’accessibilité s’est engagée. Jamais démentie depuis, cette approche centrée utilisateur a fait depuis largement son lit dans le paysage informatique jusqu’à renvoyer nombre de pionniers à leurs chères études…. ils perdaient leur pouvoir !!! Mais magie de l’informatique et de l’évolution sociale et technique des métiers qui y sont liés, cette révolution a jusqu’à présent été suffisamment contenue pour que ce pouvoir puisse se déplacer et perdurer. On a vu le multimédia, les réseaux, Internet successivement imposer le pouvoir des techniciens par rapport aux usagers dans l’accessibilité initiale à ces usages.
Quand en 1989 IBM sort le PS1 avec son slogan publicitaire « 5 minutes et vous êtes dans le coup » il est aisé de comprendre que l’essentiel à venir est de rendre « invisible » la technique au profit de l’usage. En réalité c’est surtout la complexité qu’il s’agit de cacher ou au moins de rendre moins perceptible. L’évolution de l’accessibilité est en cours. Après la possibilité d’acquérir le matériel, il faut encore l’utiliser… et comment ?
Avec le multimédia, c’est l’audiovisuel qui a fait son entrée dans l’informatique. Nous sommes au début de 1991 quand sort la revue mensuelle « multimédia » dans les kiosques. L’arrivée de l’image et du son met en contact des mondes professionnels avec le grand public. Dans un premier temps les professionnels peuvent respirer tant les techniques sont lourdes à mettre en oeuvre (-qui se rappelle du logiciel AVC d’IBM ?). Avec l’arrivée des logiciels Guide et Hypercard un peu auparavant l’hypertexte avait commencé à faire massivement son apparition. La tension entre la facilité d’usage de certains produits avec les nécessités professionnelles de l’image et du son font que le grand public reste éloigné de nombre de ces outils, pendant que l’école réfléchi à son positionnement face à cette évolution.
Les réseaux et surtout l’émergence d’Internet dans le grand public vont favoriser encore plus la convergence, mais surtout l’accessibilité. L’idée du créateur du HTML est de dépasser les querelles des terminaux (Mac, PC, etc…) pour permettre une meilleure circulation de l’information. Cette standardisation va poser les bases de ce qui va petit à petit envahir le champ global des TIC : la facilité d’usage, la fameuse transparence/opacité.
Le téléphone portable (faisant suite au BeBop en France et aux pagers comme tatoo…) est venu bouleverser la facilité d’usage avec en point d’orgue le smartphone d’Apple. Le « 5 minutes et tu es dans le coup » s’est incrusté à tel point dans le monde des technologies qu’il a fini par arriver à maturité. Autrement dit il est de plus en plus (mais pas encore complètement) souvent possible de ne pas s’intéresser à la technique informatique pour utiliser toutes ces machines. Avec le téléphone portable, la mobilité et la simplicité ont été ajouté à cet ensemble en évolution. Aujourd’hui on dirait « simple comme un téléphone portable » !!!
En près de quarante années une évolution importante autour de la même machine l’a rendue presqu’invisible à ses utilisateurs. Dès lors se pose la question des compétences à développer pour intégrer ce monde de manière consciente et libre. Par où commencer ? Sur quoi porter l’accent ? Force est de reconnaître que les usagers ne se posent pas la question, ou plutôt il commence par y répondre dans l’action : pas besoin d’apprendre théoriquement avant la pratique… quant à la conceptualisation discursive (pour reprendre les concepts de la didactique professionnelle), elle se fait d’abord entre pairs au sein de communautés qui souvent mettent en collision l’outil et les contenus prétextes à l’usage de l’outil (je suis passionné de telle ou telle chose, j’utilise Internet et les TIC pour nourrir cette passion. moyennant quoi je nourris simultanément mes compétences d’usages TIC.
Le renversement qui s’opère est celui du passage de l’apprentissage formel à l’apprentissage implicite. Longtemps l’école a cru pouvoir enseigner l’outil informatique. Après s’y être essayé (années 1970 – 1995) elle y a renoncé pour se déplacer vers les usages (1975 – 2010) en tentant de les accompagner. Mais cette tentative n’a pas été couronnée de succès, tant la culture scolaire ne pouvait s’y résoudre, formatée qu’elle est par le modèle de l’apprentissage conceptuel théorique précédent la pratique. Or la réalité du quotidien des usages, appuyé par les évolutions des concepteurs (matériel et logiciel) a fini par gagner sur presque tous les fronts, parvenant même à déstabiliser le système scolaire sur ses fondements (cf. les récents textes officiels et le rapport Fourgous).
Mais à l’Ecole ce n’est jamais « 5 minutes et vous êtes dans le coup ». La place donnée dans les propos des enseignants à la perte de la motivation des élèves et du sens de l’effort (entre autres) montre que la représentation dominante reste tout à fait à l’opposé : l’apprentissage est lent, difficile, une sorte d’épreuve (d’ailleurs ne donne-t-on pas ce nom aux évaluations). Dans ce contexte, l’écart apparent entre le monde scolaire et le développement social des TIC n’a pas fini de se creuser. Au contraire il est en train de se déplacer sur un autre terrain, celui là même qui est au coeur de la fonction de l’école, celui de l’apprendre…. Ceux qui s’en sont rendu compte ont commencé à accompagner les jeunes sur ce terrain, mais ils sont trop rares ou trop préoccupés des objets techniques pour certains, alors qu’il faudrait travailler à l’évolution du cadre culturel de la fonction de l’enseignement scolaire.
A suivre et à débattre
BD

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