Mise en œuvre du contrôle parental, peut-on l’imposer aux familles ?

La fameuse loi Studer vient d’être mise en œuvre ce 13 juillet 2024 : « Le dispositif de contrôle parental doit être proposé à l’utilisateur « lors de la première mise en service de l’équipement » », il concerne les équipements suivants : « cette disposition regroupe les équipements qui permettent de naviguer sur internet et qui disposent d’un magasin d’applications ». Bien sûr, la mise en œuvre de cette loi fait l’objet de nombreux articles comme celui-ci : https://www.lemonde.fr/pixels/article/2024/07/13/le-controle-parental-desormais-propose-par-defaut-sur-les-nouveaux-appareils-comment-ca-marche_6249474_4408996.html  qui permet de comprendre le champ d’application mais aussi celui-ci : https://www.lemonde.fr/pixels/article/2024/07/13/le-controle-parental-un-defi-technique-et-familial-pour-les-parents-c-est-une-usine-a-gaz_6249318_4408996.html  qui en montre quelques limites ou interrogations. La sénatrice Béatrice Piron a produit des écrits a propos de cette question dont celui-ci sous l’intitulé « ÊTRE PARENT À L’ÈRE DU NUMÉRIQUE » (https://www.beatricepiron.fr/colloque/blog-post-title-one-6thgp-gn4j5-9d39x ).

A l’instar de nombre de responsables, en particulier politiques, ou encore de militants autour des problématiques numériques (protection de l’enfance, addiction, harcèlement etc…) la question centrale est celle du rôle des parents dans la manière dont les enfants vivent avec le monde numérique. Mais en parlant des parents, on oublie trop souvent de situer le problème au sein de la société tout entière et des courants qui la traversent. En particulier, on peut interroger ainsi les pratiques adultes face au numérique (et pas uniquement des parents), les logiques économiques et marchandes sous-jacentes, les technologies et leurs affordances, les choix politiques, et plus simplement le rapport à la loi (que ce soit pour les citoyens ou pour les organisations professionnelles).

 Les incivilités ordinaires

Les nombreuses petites incivilités que chacun de nous commet au quotidien doivent nous rappeler la nécessité d’humilité et d’autocritique avant de décréter les interdits et autres contrôles. Il suffit de faire quelques kilomètres au volant d’une voiture, de lire les commentaires d’articles de presse, ou même quelques propos tenus sur certains espaces publics type réseaux sociaux numériques pour repérer combien nous sommes fragiles dans notre rapport à la loi d’une part, de respect de l’autre et de prise en compte des contextes d’autre part. L’idée de certains décideurs serait de punir les « parents » fautifs. L’autre idée, mais celle-ci pose d’autres problèmes, est celle de punir les structures qui favorisent les dérives (médias de masse ou interactif, entreprises du secteur, concepteur de jeux et autres…) et de le faire en amont, afin qu’en aval, les parents, les adultes ne soient pas exposés à des risques pour leurs enfants (et peut-être aussi pour eux-mêmes). Faudrait-il carrément interdire les smartphones et Internet à toute la population pour obtenir un résultat tangible. C’est ce que certains pensent, surtout en direction des parents les plus démunis…. considérés parfois comme dépassés en matière de parentalité.

Conflit de générations ou d’autorité ?

Peut-on isoler ce problème parental de celui de l’évolution de l’autoritarisme et de l’autorité dans la société ? Ce qui est intéressant dans la loi Studer de 2023, c’est qu’elle essaie d’aborder le problème en amont en imposant un dispositif de contrôle accessible. Mais accessible signifie-t-il acceptable par les parents ? La notion d’acceptabilité ne se suffit pas de choix ergonomiques mais aussi de questions culturelles et sociales : dans quelle mesure suis-je en capacité de déployer un tel service au sein de la famille, du foyer ? De génération en génération les comportements adultes et parentaux évoluent sous l’effet des transformations de la société (ce que Michel Serre démontrait au mois en grande partie au début de son livre « petite poucette »). Ces évolutions troublent les plus âgés par rapport aux plus jeunes : le fameux conflit de génération est un fait, certes très variable d’un contexte à l’autre, mais essentiel car témoin des transformations induites chez les plus jeunes par les décisions prises par les plus âgés : rappelons ici que les smartphones sont apparus à partir de 2008 et que ce sont les adultes d’aujourd’hui qui les ont « acceptés » dans la sphère professionnelle et familiale et qu’ils en ont presqu’imposé la présence et l’usage chez les jeunes (parfois dès le premier âge…).

 Agir sur les parents : pari impossible ?

Un suivi des actions menées par « la trousse à projet » dans le cadre des Territoires numériques éducatifs (TNE) initiés en 2021, montre les limites de l’action sur la parentalité. Que ce soit de la part des acteurs de l’école ou ceux des structures sociales, tous savent bien que l’espace du foyer est un espace au sein duquel les équilibres sont souvent complexes et sur lequel il est vain de vouloir intervenir de l’extérieur. Nombre de réunions de sensibilisation ou d’explications aux familles des élèves se sont révélées peu performantes : parents concernés absents, présence rare des enseignants, dramatisation des enjeux perçus comme culpabilisant sont quelques-uns des travers identifiés. Mais où (et comment) faut-il donc agir si l’on veut transformer culturellement le rapport aux écrans dans les familles ? L’agitation médiatique permanente, incluant la publicité (dont le rôle est beaucoup plus important qu’on n’accepte souvent de le penser) appuyée sur des moyens de plus en plus importants (comme Internet) est le premier espace à analyser et à organiser. Car c’est cette agitation qui crée le trouble dans les esprits et dans les désirs. Car c’est dans cet ordre de fonctionnement mental que se situent les transformations culturelles : rendre désirable des objets, des pratiques, des façons de faire et de vivre, c’est le moyen d’influer sur la culture de chacun de nous. L’émergence de la notion « d’influenceur » et du succès de certain(e) est éclairante : nous sommes en capacité de nous soumettre pour peu que nous soyons séduits. Autrement dit, notre libre arbitre est bien plus limité qu’on ne le croit et nul n’est au-dessus des autres…

Contrôler pour éduquer ?

Le contrôle parental sur les appareils s’inscrit dans la suite de toutes les propositions pour rendre possible la mise en place de limites, de « gardes fous » sur Internet. Ces limites existent depuis assez longtemps et révèlent d’une part la difficulté à fixer un cadre et d’autre part à impliquer les adultes dans la maîtrise de l’évolution des technologies de l’information et de la communication. Plus largement se trouve la question de la transmission culturelle. L’individualisme croissant, dont les technologies numériques sont un vecteur puissant, renforce une sorte d’ingouvernabilité des pratiques, hormis, comme cela se fait dans certains pays dictatoriaux ou en crise, par l’interdiction pure et simple d’Internet et le contrôle politique de tous les médias et autres émetteurs, au profit des « puissants. La crainte est forte que nous allions vers cela si nous n’y prenons garde, et si nous restons incapables d’accompagner les plus fragiles, les plus démunis, économiquement mais aussi mentalement.

 

A suivre à débattre

 

BD

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