Quelques « irritants » du moment : tenir parole !

La parole prend de plus en plus d’importance dans notre société « post-médiatique ». La multiplication des canaux et vecteurs de circulation de l’information autorise la parole, les propos. Nous sommes envahis d’un flot de mots qui nécessitent une vigilance de plus en plus grande si nous ne voulons pas être pris aux pièges de ceux et celles qui prennent parole. Cécile Alduy a été interviewée dans l’hebdomadaire Télérama (https://www.telerama.fr/debats-reportages/cecile-alduy-le-rn-a-fourni-un-pret-a-penser-que-tout-le-monde-adopte-sans-mefiance-7021304.php ) et publiée récemment dans Le Monde au travers d’un article (https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/06/28/a-force-de-preter-une-attention-mediatique-demesuree-a-ceux-qui-parlent-le-plus-fort-la-petite-musique-sibylline-du-rn-passe-sous-les-radars-et-s-enracine_6245101_823448.html ) dans lequel elle y démontre que les mots ont un sens et qu’ils sont donc porteur en outre d’un message d’un cadre culturel. Cette analyse est confortée par la publication d’article sur la stratégie et le projet « Périclès » (https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/07/21/le-plan-du-milliardaire-pierre-edouard-sterin-pour-permettre-la-victoire-de-la-droite-et-de-l-extreme-droite_6254183_823448.html ). On y comprend que les auteurs de ce projet ont bien compris la force des mots et surtout leur contextualisation, moyen nécessaire pour leur donner plus de force.

 

Phrase choc et populisme

Mais les mots transmis dans divers supports s’appuient aussi sur des paroles et pas seulement des textes ou études. Paroles tenues dans l’espace public, à l’oral ou à l’écrit (sur les réseaux sociaux numériques). Les fameuses petites phrases, appelées aussi « punch line » (phrase choc ou encore slogan), sont dérivées du monde de la publicité qui les utilise depuis très longtemps. On est donc bien à la croisée du monde social et du monde du marketing, ce qui se ressent de plus en plus dans une société qui s’individualise et qui utilise tous les vecteurs à sa disposition pour se valoriser et rivaliser. Il est toujours facile de critiquer les professionnels, journalistes ou politiques, alors que nous sommes aussi pris dans ce mouvement qui nous amène à « réagir » de manière brève et rarement étayée en particulier dans les commentaires et autres réactions autorisées par les moyens techniques employés.  Dans un texte récent, Aziz Jellab (revue POUR, 2024/1, n°248, p 37-51) écrit « En France le populisme comme discours et comme rhétorique se renforce de l’essor d’un anti-intellectualisme, d’une défiance à l’égard de la science et de la culture savante. » . Cette phrase s’appuie sur des constats et des analyses du quotidien. L’important ce ne sont pas les faits, mais l’idée que l’on en a.

 

Argument d’autorité, mais de quelle autorité ?

Face à cela, il y a les certitudes, les auto-justifications et autres propos qui sont autant de défenses d’une caste, d’un groupe professionnel. Ainsi en est-il du monde des médias et du journalisme, mais aussi de professionnels reconnus comme les médecins ou les chercheurs. Il y a une forme d’arrogance des chercheurs lorsqu’ils commencent leurs propos par: « ce que dit la recherche ».  Comme s’il s’agissait d’une vérité incontestable. On le retrouve parfois dans les débats sur les méthodologies et les résultats de travaux, la lecture en est une bonne illustration. La question ici n’est pas de savoir qui a raison ou tort, mais pourquoi des chercheurs ont besoin de se parer d’une autorité rhétorique. Or le travail de la recherche, ce n’est pas d’exprimer une vérité définitive, pourtant souvent présentée comme telle mais d’essayer de clarifier les résultats d’une démarche et d’en exprimer le bien fondé. La supériorité exprimée par certains ne s’applique pas seulement à leurs congénères mais aussi au public qui s’intéresse à leurs activités. Au-delà de ce milieu professionnel, on remarque plus généralement que l’expression de nos pensées et réflexions personnelles passe souvent par ce procédé d’autorité. Ce qui est inquiétant c’est que cette manière de faire irrigue aussi le monde d’Internet et des réseaux sociaux. Dans ces espaces, il y a une collusion entre popularité et arguments d’autorité. Cela allant jusqu’à de fausses informations, affirmations et autres croyances affirmées comme Vérités. Ce qui semble inquiétant, c’est que cette popularité s’appuie surtout sur l’ignorance du public cible : il suffit d’affirmer sans étayer…

 

Contre la soumission : être dominé ou pas ?

Face à ces dérives caractéristiques d’un monde d’information et de communication de plus en plus rapide, il est de plus en plus difficile de prendre de la distance. Il est plus facile d’accepter, de se soumettre voire d’accepter l’emprise de certains, que de critiquer. Cependant, il ne faut pas ignorer la nécessité de la critique, en particulier constructive. Autrement dit pas celle qui encense ou dénonce, mais celle qui propose. C’est là que l’éducation tout au long de la vie est amenée à s’emparer de la question. Comment permettre à chacun de prendre du recul face à l’environnement informationnel devenu plus intrusif ? Car aux flux, s’ajoute les formes d’accès dont principalement on distingue celles que l’on va chercher et celles qui vous arrivent sans l’avoir demandé. C’est en particulier la relation que nous entretenons avec les notifications. Dans l’espace informationnel personnel, être notifier c’est aussi exister. Il suffit d’observer notre réaction à une notification, même légère pour comprendre que nous sommes absorbés par un flux informationnel et communicationnel que nous ne dominons plus, que nous ne maîtrisons pas. Alors, souvent nous abandonnons à prendre connaissance de ce « stimulus » qui semble inquiétant si nous n’y réagissons pas.

 

Professionels de la parole…

Jadis Coluche évoquait dans un de ses sketchs (les journalistes https://www.youtube.com/watch?v=-KFxmGbiUaE ) la stupidité de certaines paroles. Au-delà des professionnels mis en cause ici, la fin de ce sketch évoque l’autorité de la parole et en particulier la légitimité de cette autorité et de cette parole. L’une des principales difficultés éducatives est justement d’amener des jeunes et des moins jeunes à aller au delà des propos tenus mais aussi de ceux qui les tiennent. Experts, scientifiques, politiques, éditorialiste, etc… celui qui prend la parole est donc détenteur d’une autorité. C’est à la base de la dérive de ceux et celles que l’on appelle influenceurs/influenceuses. La légitimité de la parole vient alors de la double popularité : celle des personnes qui écoutent et regardent, mais aussi celle des puissances financières qui les appuient ou même les rémunèrent. Alors que les médias de flux sont remplis de propos tenus par les journalistes ou les experts « autorisés », la concurrence est désormais ailleurs, sur les réseaux et avec une puissance de persuasion que l’on a du mal à mesurer, à comprendre.

 

La parole des enseignants

Lorsqu’un enfant entre à l’école, il découvre l’enseignante, l’enseignant qui va l’accompagner pendant l’année. Dès trois ans, il comprend qu’il a en face de lui une « autorité » différente de celle de ses parents. Mais en grandissant, il va interroger cette autorité, voire la contester. Parfois même, ses parents mettent aussi en cause cette autorité. Alors l’enfant, devenu adolescent, doit tenter de frayer son chemin, soumis qu’il est à toutes ces « influences » à toutes ces formes d’autorité souvent bien différentes. Construire sa propre pensée « autonome » suppose de se défaire de l’autorité externe pour définir la sienne. Dans un monde envahi de paroles, devenir autonome semble de plus en plus complexe, et peut-être même difficile.

 

A suivre et à débattre

BD

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