Saturer l’espace médiatique pour imposer un thème : une vigilance EMI

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La récurrence et la multiplication de messages de toute nature et sur tous supports est un bon moyen d’imposer un thème mais aussi une vision sur ce thème, ce sujet, cette question, cette controverse. Nous assistons alors à un phénomène basé sur l’amplification qui s’appuie aussi bien sur la quantité que sur la qualité. Pour la quantité, il suffit de multiplier les propos (texte, audio, vidéo) et ainsi bénéficier d’une double amplification du fait que plus on parle d’un sujet, plus en parler attire les chalands (cf. les rues commerçantes thématiques). Dans ce cas, tous les supports en recherche de public et de reconnaissance (parfois pour des raisons économiques et même politiques) vont s’employer à relayer la thématique. Ainsi en est-il aussi bien des écrans que des guerres ou encore des harcèlements de toutes sortes.

Sommes-nous « libres » face à la saturation ?

Pour ce qui est de la qualité, nous observons que, sur un thème polémique ou de controverse, les convictions, croyances et autres opinions s’expriment très largement. Il s’agit d’imposer son point de vue, parfois à coup d’arguments qui se veulent scientifiques, parfois à coup d’interprétation abusive de rapports et autres interventions publiques. Le biais qui consiste à choisir dans un propos les contenus qui confortent votre impression, votre croyance ou autre opinion, bat alors son plein. Chacun de nous en est victime et coupable. Victime parce que nous subissons cette pression médiatique, coupable parce que nous baissons souvent notre niveau de vigilance personnelle par facilité ou par manque de temps….

Élargir l’Éducation aux Médias et à l’Information

Dans le cadre de l’Éducation aux Médias et à l’Information, on entend plus souvent parler de lutte contre les fausses nouvelles et autres comme le harcèlement par exemple. Mais on oublie bien souvent qu’il y a un système médiatique, désormais basé sur la complicité des différents vecteurs (médias de masse et de flux, médias interactifs, etc..) qui tente d’influencer la société et les humains par ce système de saturation. Alors que la rigueur intellectuelle inviterait à une réflexion plurielle, la multiplication des sources ainsi que la complicité des algorithmes des moteurs de recherche et des agrégateurs divers d’actualité rendent tout discernement difficile. Car, alors qu’un ministre jadis tentait d’utiliser ce terme de discernement, il en oubliait les limites et surtout le travail sous-jacent qu’il nécessitait, comme si le « bon sens » semblait suffire. Car ici il s’agit de prendre du recul non seulement sur le contenu mais aussi sur les processus de diffusion.

Quelques exemples de saturation

Il y a bien sûr les évènements dramatiques, les conflits, tout ce qui semble important dans la tradition médiatique (ce que le public attendrait selon certains, ce qui fait vendre selon d’autres, ce qui influence aussi…). Mais des éléments plus ordinaires sont susceptibles de cette saturation. Ainsi en est-il actuellement, dans le domaine éducatif, de la question des « écrans » de l’Intelligence Artificielle ou encore des compétences psycho-sociales (soft skills, compétences du XXIè siècle)… A lire et repérer les contributions sur de tels sujets, on s’aperçoit qu’ils naviguent entre les passionnés, les méfiants, les marchands, et les médias traditionnels. On est étonné de découvrir que, d’un seul coup, il y a multiplication de spécialistes autoproclamés, et donc déferlement de propos, documents, vidéos et autres colloques ou conférences.

Ce qui est important, ce qui ne l’est pas : faire le tri

La saturation de l’espace médiatique sur un sujet met le « récepteur » face à des questionnements dont le premier est celui de l’intérêt de la question (au début du flux) et dont ensuite se pose la question de la pertinence et la pérennité du sujet et enfin qui pose simplement la question qualitative : dans ce flot, quels sont les propos pertinents. On peut alors comprendre l’élève qui va aller simplement demander à un agent conversationnel de lui fournir une « synthèse » et donc l’éclairer sur le sujet. Mais on connaît aussi les limites de ce genre d’outil qui ne repose que sur un moteur algorithmique et des bases de données dont on ne voit que le résultat, sans pouvoir vraiment vérifier (d’ailleurs les sources citées sont peu nombreuses). Le jeune ou l’adulte confronté à ces flots informationnels doit faire face d’abord à la multiplicité des contenus, et aussi à sa propre posture face à ce sujet. Ainsi, relayer sur les réseaux sociaux des messages écrits (ou vidéo) ne fait qu’amplifier la saturation.

Faire face à la facilité

À côté des informations faussées, il y a donc ce phénomène que l’on a parfois qualifié de mode ou de bulle et qui, pourtant, recouvre souvent de vraies problématiques. Mais n’ayant pas le temps et pas les moyens de « discerner », nous sommes enclins à choisir la facilité en adoptant les premiers propos trouvés ou parfois aussi à se replier en ignorant simplement le sujet. La saturation informationnelle c’est aussi un danger quotidien d’être dérangé, manipulé, troublé sans l’avoir voulu. La question des écrans est à ce sujet exemplaire et surtout récurrente. Ce qui est remarquable dans ce cas, c’est que ce genre de sujet à la mode embarque nombre de personnes, spécialistes ou non, experts ou non, causeurs ou non, mais qu’il est inconfortable de vouloir en sortir avec une réelle compréhension….

Mais aussi… l’importance et l’intérêt

Il faut aussi mesurer l’effet possible de cette saturation lorsque les faits restent dans une certaine clandestinité. Ainsi en est-il du mouvement #meetoo qui touche progressivement tous les milieux et récemment l’armée. Ainsi une institution structurée comme l’armée craint-elle le « buzz », le risque de saturation de l’espace médiatique ( https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/05/10/metoo-des-armees-les-soldates-parlent-la-grande-muette-esquive_6232423_3224.html  ). Car c’est aussi une inversion d’action que sert la saturation. Habituellement elle cherche à inonder sur un thème de controverse ou de commerce (entre autres), mais là cela sert à révéler et mettre à jour ce que certaines et certains veulent garder caché. C’est pourquoi il est important d’apprendre à mesurer la valeur de la surcharge informationnelle et médiatique.

A suivre et à débattre

BD

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