Veille et analyse, partage, approche critique

L'interactivité/interaction en classe avec le TBI ?

En associant la dimension d’interactivité à cet objet technique qu’est le tableau numérique, les concepteurs se sont en quelque sorte piégés : en effet si l’interactivité porte initialement sur la relation que l’usager entretien avec le tableau (et donc l’ordinateur associé), elle s’est aussi invitée dans la classe, c’est à dire dans la relation pédagogique : si le tableau est interactif, alors la classe le serait aussi ! Or ce n’est pas vraiment le cas…  A regarder les vidéos d’usage, à lire les nombreux documents, ont peut indiquer qu’il y a trois catégories de situations principalement mises en place : celles dans lesquelles l’enseignant interagit seul avec l’écran/tableau, celles dans lesquelles ce sont les élèves qui passent, un par un, au tableau et qui interagissent, et celles dans lesquelles le tableau est utilisé pour accompagner l’interactivité du groupe classe.
On peut associer, grossièrement, ces trois approches à trois grands axes de la pédagogie : le cours magistral enrichi (modèle transmissif), le cours dialogué et participatif (modèle explicite), le cours collaboratif (modèle socio-constructiviste). Il va de soi qu’aucune de ces pratiques n’exclut les autres, au sein d’une même séance parfois même. Le danger serait de radicaliser telle ou telle approche au nom d’une idéologie, ou d’un allant de soi et donc de disqualifier les autres. Au contraire même il serait intéressant de se pencher davantage sur l’analyse des ces pratiques et de leurs effets non seulement en termes de performance scolaire, mais aussi en termes de motivation, de compréhension, de qualité des apprentissages, de mémorisation,…. Malheureusement les discours ne permettent pas souvent de distinguer aisément les différents types de pratiques ce qui amène à des discours en tout ou rien qui donnent de bonnes ou de mauvaises notes à l’outil alors que c’est la situation pédagogique et didactique créée globalement au sein de laquelle l’outil est mis à contribution. Mais le jeu du discours (en particulier médiatique, mais aussi de recherche) est davantage centré sur la promotion (ou la disqualification) de l’outil que sur l’analyse du contexte pédagogique et didactique mis en place. Or cette confusion, en général entretenue dès lors que l’on aborde une technologie nouvelle en éducation, est dommageable à l’analyse de la réalité des usages rarement étudiée car souvent trop complexe.
Dans le cas présent, c’est la question de l’interactivité qui est au centre. Il faut d’abord rappeler ici qu’on appellera dans la suite de ce propos interactivité ce qui concerne la relation humain/machine et interaction la relation humain/humain, avec ou sans machine;…  Cette distinction me parait d’autant plus nécessaire qu’elle permet de mieux resituer le débat en évitant de confondre des niveaux très différents. C’est là qu’est le piège dans lequel sont tombés nombre de promoteurs du TBI(TNI), piège qui leur permet de faire passer un discours commercial habile, mais qui pose question à l’éducateur et au chercheur en éducation.
Les recherches sur l’apprentissage ont clairement mis en évidence la force de l’activité de celui qui apprend pour favoriser ses apprentissages (J Piaget, Bruner, Engeström, etc…). D’autres travaux ont quant à eux mis en évidence la force des interactions sociales pour permettre l’apprentissage (Vygotsky, Bandura, Lawe, Wenger,…). Ces travaux ont tenté de mettre en évidence les mécanismes à l’oeuvre lorsque se produisent des apprentissages (formels ou non). Une certaine idée du « comportementalisme » (behaviorisme cher à Watson), a amené à la conception Skinerrienne de l’enseignement programmé qui aujourd’hui encore traine dans l’inconscient et l’imaginaire de nombres d’apprentis pédagogues. Tous ces travaux ne sont pas en opposition radicale, ils enrichissent progressivement la compréhension de ce qu’est apprendre.
Mais dès lors qu’une machine nouvelle apparaît dans le paysage, on voit ressortir les réflexes archaïques. Regardons l’informatique scolaire du début des années 80, regardons les conceptions de la formation à distance qui circulaient dès 1998 avec son développement en ligne et qui aujourd’hui encore règnent dans la tête de nombre de personnes qui ne connaissent pas la réalité de l’apprentissage dans ces situations (alors que des travaux nombreux existent sur le sujet depuis plus de 20 ans).
Avec le TBI(TNI) apparaît donc cette question de l’interactivité/interaction. Cette question a d’autant plus d’importance qu’elle renvoie aux questions de conceptions pédagogiques issues des recherches sur l’apprentissage. Ce qui frappe dans l’objet technique en question, c’est qu’il est mono-utilisateur par définition. Autrement dit, pour l’instant une seule personne à la fois l’utilise, il faut attendre son tour : c’est bien ce que montrent les vidéos des pratiques. La question récurrente est de savoir ce que font les autres élèves pendant que l’enseignant utilise le TBI ou lorsqu’un élève est au TBI. Cette question n’est pas nouvelle, je dirai même qu’elle est concomitante avec celle de l’usage du tableau par rapport à l’ardoise. En effet en remplaçant l’ardoise individuelle par le tableau, l’enseignant peut « capter » l’attention de tous les élèves dans la classe. Il a donc ainsi l’impression de renforcer la transmission alors qu’avec les ardoises il lui faudrait vérifier chacun des élèves… Lors de l’arrivée des salles multimédia en réseau avec poste de pilotage (à commencer par le nano réseau qui était déjà doté de ces fonctionnalités, peu ou pas utilisées alors), l’argumentaire a été de rassurer l’enseignant en lui disant qu’il pouvait suivre chaque élève (son écran) sans bouger de sa place… de son poste maître. L’imaginaire du maître et des élèves se traduirait donc par un maître qui émet et des élèves qui reçoivent tous ensemble le même message. Il est donc logique que le premier usage du TBI soit celui-là.
Mais des enseignants férus d’apprentissages efficaces, ont rapidement compris que pour améliorer l’apprentissage des élèves il fallait renverser le problème. En adjoignant la tablette sans fil au TBI, ils ont développé l’idée inverse de la précédente : sans bouger de sa place, l’élève peut passer au tableau ! La révolution est dès lors possible. Modeste certes, mais le renversement est significatif. Plusieurs systèmes interactifs (vote, souris collective etc…) se développent dans cet esprit et prennent en compte ce renversement bien connu en pédagogie : il ne suffit pas que le prof enseigne, encore faut-il que les élèves apprennent. Or pour apprendre il faut en avoir des signes réels. Le modèle archaïque de l’enseignement à distance sous sa forme papier en est une illustration caricaturale : on envoie des documents sensés représenter ce qu’il faut maîtriser et en retour on attend des devoirs censés représenter ce qu’à acquis celui qui apprend. Mais trop souvent on a constaté des erreurs de compréhensions. Si en classe l’élève peut lever la main, dans les anciens dispositifs à distance c’était autrement différent. Et même en levant la main, dans un groupe de 25 à 35 élèves, il n’est pas sur que la difficulté d’apprentissage soit réellement gérée.
Donc il faudrait tordre le coup aussi bien au transmissif qu’à l’interactif. Dans les deux cas on ne prend pas suffisamment en compte celui qui apprend… Le développement de l’idée de l’interaction humaine comme constitutive du processus apprenant tient justement au fait que les pairs sont aussi des éléments d’appui pour l’apprentissage. Les jeunes le savent bien quand ils font le travail à la maison et qu’ils s’échangent trucs et astuces par la messagerie instantanée. L’arrivée du TBI en classe comporte donc plusieurs modèles de mise en oeuvre possible. Mais l’objet même en privilégie une. Les enseignants ont rapidement complété l’outil soit par  des outils complémentaires, soit par une organisation pédagogique nouvelle. Cependant, parce qu’il n’est manipulable que par une seule personne à la fois le TBI est bien en opposition à une pédagogie de l’interaction et qu’il suppose de la part des enseignants une réflexion pédagogique plus globale au risque que, comme cela est montré dans les études anglo-saxonnes l’usage des TBI ne se résume à l’usage du tableau traditionnel.
A poursuivre
B Devauchelle