Veille et analyse, partage, approche critique

C'est nouveau… c’est bien ?

A plusieurs reprise nous avons déploré que les promoteurs de nouveautés technologiques en éducation (et ailleurs) oubliaient souvent qu’ils n’existaient que parce qu’il y avait une histoire qui avait permis à ces nouveautés d’émerger. On voit souvent apparaître dans l’espace de débat sur ces questions des personnes qui, découvrant les nouveautés plus rapidement que ceux qui ceux qui y sont déjà, les bousculent, les traitent parfois de ringards, et les concurrencent fortement, au moins dans un premier temps. Mais ces promoteurs de la nouveauté (qui se font souvent appeler consultants, experts, spécialistes) profitent en réalité d’un temps d’avance médiatique. Ils sont légion dans le monde de la technique informatique, ils sont assez nombreux aussi en éducation et formation. Fort heureusement, bon nombre d’entre eux évoluent rapidement : ils disparaissent une fois leur filon exploité, ils changent de filon dès lors qu’ils sentent le vent tourner, ils évoluent et prennent de la distance, en prenant conscience de la fragilité de leurs « nouveautés » ou présumés telles.
Si les promoteurs de la nouveauté ont peu de mémoire, ils ont aussi une caractéristique étonnante qui est qu’ils considèrent que la nouveauté c’est bien et que la leur c’est le mieux. Le temps d’avance pris par certains d’entre eux amplifie largement le « c’est mieux » car il est absolument invérifiable et que donc seul le discours permet de poser de telles assertions. Or la correspondance c’est nouveau donc c’est bien, ainsi que le temps d’avance, amène ces personnes à développer une forme d’arrogance et une forme de mépris. Arrogance de la certitude et mépris de ceux qui ne « suivent » pas. Ayant souvent eu affaire à ces genres de personnes je me suis aperçu qu’elles étaient extrêmement nuisible au développement « normal » des TIC en éducation. Comme de plus à cette posture se trouvait souvent associée à un questionnement identitaire personnel fort (carrière professionnel, reconnaissance, réussite, voire argent…), le ton employé par ces personnes devenait souvent insupportable, péremptoire, voire cassant, et cela sans vraiment s’en apercevoir. Ainsi dans certains messages rédigés par ces personnes remarque-t-on un style particulier : énumération, affirmation, conseil. qui sont bien plus présents que questionnements, doutes, demande d’explication.
Car au delà des TIC, mais en s’appuyant sur ce domaine, il y va de la vie en société et du rapport au progrès, à la nouveauté. La force de la jeunesse est souvent la fougue, l’envie d’aller vite, l’absence de mémoire développée. Faut-il pour autant dénoncer la jeunesse dans le cadre qui nous occupe ? Non. Il suffit d’observer les personnes qui sont dans ce registre de la nouveauté pour s’apercevoir qu’ils appartiennent à tous les âges. Chacun de nous, pris dans un tel univers peut-être tenté d’y céder, les jeunes en premier, certes. Mais ce sont souvent eux qui finissent par prendre de la distance et à se situer. Ce sont plutôt ceux qui, ayant déjà pas mal visité de nouveautés qui s’en sont fait  une sorte de fond de commerce. Et ça marche parfois assez bien. L’autre jour quelqu’un me parlait de web4.0 ou de web 5.0 comme d’une révolution à venir… mais lorsque je l’interrogeais je ne parvenais pas à avoir d’explication claire. On trouve souvent associé à ce genre de rhétorique la création de termes nouveaux ou le détournement de termes anciens en les habillant du sceau de la nouveauté. Récemment autour des tablettes numériques, à la suite des visualiseurs et autres objets « nouveaux » dans le paysage commercial, on a pu assister à ce spectacle. Il suffit parfois de circuler sur certains espaces communautaires sur le web pour s’en apercevoir. Souvent fort d’un verbiage incessant, s’arrogeant la paternité de telle ou telle idée (à tort), portant des jugements définitifs sur tel ou tel point (l’enseignement et l’éducation étant un domaine propice) ce genre de personnes sont fort envahissantes et révèlent souvent une problématique personnelle de reconnaissance qui dépasse largement le cadre des objets dont elles parlent. Promoteurs du bienfait technologique systématique et de l’efficacité des outils qu’elle utilise, ce type de personne s’inscrit dans une dynamique que soutiennent fort volontiers les technologues et les commerçants. D’ailleurs ceux-ci invitent souvent ceux-là à oeuvrer (dans des conditions variées) ensemble.
Faut-il déplorer, agir, réagir ? Il faut au moins repérer ces pratiques, identifier quel en est leur impact réel, repérer les mécanismes à l’oeuvre, tenter de ramener leurs acteurs à la raison. A défaut, il faut construire un discours, basé sur des pratiques avérées, appuyé sur des faits et des observations peu discutables, et qui prenne en compte l’histoire du développement et des évolutions dans tous les domaines. Certes c’est peu spectaculaire, c’est peu satisfaisant pour l’ego de ceux qui tiennent cette posture. Mais au moins ce type d’attitude donne à celui qui la mène une perception de soi bien différente de celle à laquelle il s’affronte : d’un coté le clinquant du neuf, de l’autre la patine du temps et de l’expérience, teinté de ces évolutions perçues et situées avant d’être promues.
Au quotidien, les nouveautés techniques en rayon dans les boutiques font souvent rêver. Mais au delà du rêve vers l’objet, c’est plutôt le rêve vers une utopie qu’il conviendrait de défendre. Cette utopie est avant tout éducative et éducatrice. En d’autres termes, cette utopie c’est celle qui consiste à chercher constamment dans l’évolution de notre environnement et qu’elle qu’en soit la configuration, les ferments d’un mieux être commun et les stratégies pour le développer. Oui les nouveautés techniques nous fascinent, on a envie de les essayer. Mais la condition de ces essais c’est de se mettre à distance de cette fascination ordinaire, sans la nier, mais en utilisant sa force pour mieux orienter les usages possibles de ces objets dans un monde dans lequel nous tentons de grandir ensemble, avec ou sans technologies….
A suivre et à débattre
BD