Veille et analyse, partage, approche critique

Tablette : passif ! Ordinateur : interactif ?

Après les e-book, les tablettes atteignent cette année le rang d’objet culte de période de fête…. Après le noir et blanc, la couleur…. Mais aussi une meilleure interface et surtout la couleur. Après avoir essayé l’an passé un de ces livres électroniques qui avaient inondé les pages des journaux, la déception avait été grande : peu réactif, pas adapté à des besoins de lecteur d’autre chose que des livres formatés, pas d’images, pas de couleur… En testant les derniers produits du marché ces derniers jours, nous avons découvert que nos smartphones avaient grandi… tout en ayant perdu, pour certains leur fonction téléphonique… Confort de lecture, couleur, interface… mais moins d’autonomie. Bref des objets de Noël dignes de ce nom.
Si ces appareils séduisent apparemment, ils déçoivent aussi. Même les plus récents montrent des limites pour les utilisateurs qui recherchaient aussi l’ordinateur et pas seulement une liseuse améliorée. Ce qui apparaît de plus en plus nettement c’est la différence d’usage qu’impose la forme des outils. Les habitudes du clavier sont désormais entrées dans les moeurs et là où les tablettes ont du mal, c’est dans cet aspect d’interaction : si le pilotage au doigt est impressionnant, il atteint vite ses limites dès que l’on veut travailler sur un objet précis; si le pilotage par clavier virtuel est intéressant, il n’atteint pas la souplesse du clavier traditionnel surtout à cause de l’inclinaison de l’écran qui est en opposition avec une position de frappe clavier rapide. Car le clavier n’est pas encore remplacé par la voix, le doigt voire même le stylet (et les interfaces vocales ou gestuelles ont encore à évoluer…). On me rétorquera que les jeunes n’ont aucun mal à taper vite avec un clavier de téléphone portable. Mais avez vous essayer de taper des textes de plus d’une page sur ce genre d’appareil… ?
Si l’on considère le potentiel « éducatif » de ces machines, comme le vantent certains marchands, il faut reconnaître que quelques questions se posent. En particulier la principale est dans le degré « d’interactivité possible » de chacune des machines. Alors portable (netbook) ou tablette ? On s’aperçoit vite, à consulter les documentations et publicités que l’argumentaire de réception est prioritaire pour la tablette. En fait cet appareil tente de faire disparaître la « technique » si proéminente du clavier (et de la souris), et pour cela le seul recours est de diminuer le potentiel d’interactivité tout en rendant ce qui reste le plus réactif possible (ce qu’Apple a parfaitement compris). Ainsi la différence essentielle tient au fait que la tablette est un instrument de semi passivité par rapport à la télévision d’une part et l’ordinateur d’autre part. Si la télévision est le média de la passivité par son flot d’information continue, la tablette permet de choisir au doigt son activité. Mais là où s’arrête ce potentiel c’est lorsqu’il faut produire. Car les tablettes ne sont pas prévues pour entrer d’abord dans ce type d’usage (même si les zélateurs me diront le contraire, alors qu’il suffit de regarder certains usagers pour l’observer). Elles sont prévues pour développer la réception, elles préfigurent l’intégration multimédiatique nouvelle associant texte image et sons, au grand bonheur des diffuseurs de médias de masse qui avec l’ordinateur ne trouvaient pas vraiment leur bonheur. Alors qu’avec la tablette, l’analogie, le mimétisme est fort avec les pratiques usuelles de lecture, mais les enrichit de manière suffisamment large pour entrainer une adhésion. Mais c’est dans l’activité de l’usager que cela pêche.
Peut-on apprendre sans agir, sans produire, uniquement en recevant ? Les mêmes qui disent que l’on peut apprendre sans agir (en écoutant et en mémorisant) déplorent l’effet des médias de masse sur les enfants, sorte de paradoxe étonnant. Ceux qui disent qu’il faut agir pour apprendre s’aperçoivent que ces usages des médias de masse doivent être pris en compte pour pouvoir les mettre à leur juste place. Mais qu’est-ce qu’agir pour apprendre ? Ce serait « penser » pour certains; ce serait faire pour d’autres, ce serait construire pour d’autres encore, seul, voire en groupe…. Quel agir est sous jacent à la réception ? Le processus qui consiste à traduire le message reçu pour tenter de le faire sien (com-prendre) Quel agir est sous jacent à l’action ? L’ensemble des processus qui font passer du percevoir au comprendre et du comprendre au produire. Car dans les deux cas il y a de l’agir, mais pas de même nature. Si le premier est purement de l’abstraction, le second peut prendre des formes concrètes. Avec la tablette, la réception étant principale, l’usager ne sera sollicité à penser que s’il en fait le choix. Avec l’ordinateur (pour peu qu’il ne soit pas utilisé comme une tablette évidemment) l’usager sera sollicité à participer, voire à construire. Cette opposition est un peu artificielle, mais qui peut le plus pouvant le moins, il est à craindre que la tablette ne (re)développe les réflexes de réception et incite à la passivité.
Dans la classe, les modèles pédagogiques qui s’opposent sont, de manière très simplificatrice, ceux là : entre le transmissif behavioriste et l’interactif constructiviste, nous retrouvons les deux formes que proposent ces objets techniques. Or la question de l’économie des médias à l’école repose aussi sur des industries de masse (édition…) et principalement en réception (le manuel scolaire par exemple). Il y a donc un intérêt logique à ce que les éditeurs qui ont jadis tenté d’imposer le cartable électronique ou numérique, en y introduisant leur livres numérisés voient dans les tablettes (si dirigistes) un auxiliaire précieux. Tout comme les médias papier de masse qui se sont aussi lancés dans le bain voyant là encore une transposition de leur modèle économique. Les enseignants qui préfèrent la dimension transmissive trouveront probablement dans cette tablette un auxiliaire précieux à leur pédagogie (comme ils réduisent souvent le TBI à une surface plus attirante que le tableau noir, mais aussi peu interactive que celui-ci..). Le relatif échec des ordinateurs portables dans les classes tient peut-être à cette dimension productive des élèves souvent difficile à « contrôler » dans la classe et parfois déstabilisante pour l’enseignant. On peut penser que rapidement un accord entre éditeurs et enseignants va donner naissance à des produits adaptés aux tablettes et à ces pédagogies plutôt transmissives (quelques publicités en témoignent déjà). Alors que pour les autres approches pédagogiques, l’ordinateur en réseau a déjà proposé des auxiliaires dont plusieurs enseignants ont commencé à s’emparer (cf. les travaux sur le web 2.0 à l’école).
Les années à venir vont être intéressantes à observer. Non pas que l’on veuille ici promouvoir telle ou telle technique, mais parce que l’inéluctabilité des processus en cours (diffusion des TIC dans l’école, cf. l’ouvrage de D Moatti, Le numérique éducatif (1997-2009), 30 ans d’imaginaire pédagogique, EUD 2010) va se voir marquée par les usages qui vont émerger. Ce qui va être intéressant c’est d’observer comment le monde scolaire va opérer son appropriation de cette évolution qui va encore davantage rapprocher le monde scolaire des pratiques ordinaires des élèves et de leurs parents (cf. enquête Credoc 2010 comme démonstration de l’ampleur de ces pratiques)
A suivre et à débattre
BD