Veille et analyse, partage, approche critique

Citer ses sources… Mission impossible ?

Qu’est-ce qu’une source ? Comment identifier une source ? Comment citer une source ? Cherchez la source d’une goutte d’eau au moment où le fleuve se jette dans la mer et vous comprendrez la complexité du problème. Si en plus de la source originale, vous cherchez à connaître le chemin parcouru pour parvenir jusqu’à vous, alors la tâche s’avèrera encore plus difficile. Il y a bien des normes qui donnent des formats pour citer les sources (APA, CNRS et autres comme cet article à propos des citations de sources en ligne http://aldebaran.revues.org/69). Mais pour parvenir à la qualité de référence de citation d’une source il y a bien des obstacles.
C’est à propos d’une citation de Gaston Bachelard par Gaston Mialaret lors de la  « Journée inaugurale de la Faculté des Sciences de l’Education de l’UDS » de l’université de Strasbourg (le 13 octobre 2010 en ligne sur le site : http://www.canalc2.tv/video.asp?idVideo=9943&voir=oui) que cette question m’est apparue comme de plus en plus urgente à travailler et faire travailler. La phrase de Gaston Bachelard rapportée est la suivante : « Qui ne continue pas à apprendre est indigne d’enseigner ». A la recherche de la source première, j’ai donc lancé une recherche dans le moteur ad hoc le plus populaire et la surprise a été de constater que : hormis une réponse laconique dans un forum qui renvoie au livre de G. Bachelard intitulé « La formation de l’esprit scientifique », sans préciser la page, on observe que cette citation est reprise et attribuée à ce philosophe, sans jamais davantage de précision. Mais on observe que cette citation est aussi attribuée à Henry David Thoreau (http://www.linternaute.com/citation/auteur/henry-david-thoreau/17232/3/), sans davantage de précisions. Je me suis donc penché sur le texte de Gaston Bachelard (j’ai tendance à penser que Gaston Mialaret est une référence fiable) mais ne suis pas encore parvenu à trouver la fameuse phrase, même si l’idée est sous-jacente dans plusieurs passages de ce livre par ailleurs passionnant.
Peu importe d’ailleurs que je trouve rapidement l’origine de la citation, le problème est ailleurs : « la droit de citation implique le devoir de sourçage ». Faut-il soutenir cet aphorisme ? Il me semble que la légèreté habituelle d’emprunt et de citation doit être combattue pour deux raisons : la première est qu’une citation est davantage un slogan ou une provocation/incitation (au bon sens du terme) qu’une vérité fondamentale (ce que l’on tend souvent à faire croire); la deuxième est qu’une citation n’est rien sans son contexte proche (dans quel discours elle est produite) et dans son contexte large (l’évolution de la pensée de l’auteur). Un écrivain, dont j’ai oublié la référence (!!)), déclarait récemment qu’il avait la tête encombrée de citations. Il ajoutait que l’on peut se laisser envahir par les citations au point de ne plus penser par soi-même. Fort heureusement, il avait en mémoire le lien entre citation et source, ce qui n’est manifestement pas le cas de nombreux sites de citations qui oublient tout simplement d’aller chercher l’origine réelle des phrases qu’ils mettent en avant. Le « prêt à porter intellectuel » réside justement dans l’art des citations non contextualisées, transformées ainsi en aphorismes, en proverbes, en « vérités prêtes à l’emploi ».
Nous avons déjà eu l’occasion d’aborder cette question au travers des références que les éditeurs apposent sur les ouvrages qu’ils vendent. Nous avions observé des « rééditions » cachées qui ne prenaient pas soin de rappeler « l’origine », la première édition. Quand je lis sur la page ad hoc, 1970, cinquième édition, je me demande si cette année correspond à cette édition ou à la première. Sans aucune précision, je ne peux dater le texte. Sur Internet les choses se sont aggravées par la négligence de lecteurs, mais aussi de celle des programmeurs qui n’obligent pas l’auteur à la datation du document. Sur le disque dur les choses sont parfois identiques, quand il s’agit de retrouver un document ancien et qu’il ne comporte que la date de création ou de modification, sans autres précisions. Comment accepter un document non daté, quand ce n’est pas non signé ?
Emerge alors la question de la traçabilité. En effet le chemin des textes, des mots, des images, des informations est devenu tellement riche et varié du fait de la fluidification des circulations qu’il nous faut désormais nous interroger sur les parcours autant que sur les origines. Les possibilités de transformation des sources désormais permises par les moyens numériques sont tellement importantes que nous en arrivons presque à ce paradoxe que le plus vrai que vrai devient faux. Autrement dit, la théorie du complot s’impose comme première lecture d’un document juste en symétrie avec l’acceptation naïve de celui-ci. En même temps nous croyons que ce que nous voyons sur les images est vrai et en même temps nous pensons qu’elles sont « trafiquées. Il nous faut alors revenir à la pensée de Gaston Bachelard et relire « la formation de l’esprit scientifique » (Vrin, Paris, 1970, 7è édition) pour nous rendre compte que cette question qui concerne d’abord le scientifique doit aussi concerner le grand public. Citons le pour terminer ce billet (in ibid. p.14) :
« La science, dans son besoin d’achèvement comme dans son principe, s’oppose absolument à l’opinion. S’il lui arrive, sur un point particulier de légitimer l’opinion, c’est pour d’autres raisons que celles qui fondent l’opinion ; de sorte que l’opinion a, en droit, toujours tort. L’opinion pense mal ; elle ne pense pas : elle traduit des besoins de connaissances. »
Et pour traduire ce que l’on observe aujourd’hui avec les réseaux sociaux numériques et les pratiques usuelles d’Internet on peut aussi citer ce passage (un peu plus loin page 15) : « Il vient un temps où l’esprit, où il aime mieux les réponses que les questions. Alors l’instinct conservatif domine, la croissance spirituelle s’arrête »
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BD