Veille et analyse, partage, approche critique

Tablettes tactiles, innovations et pédagogique ?

L’agence des usages du CNDP propose un film relatant une expérience d’utilisation de l’Ipad dans la classe. L’intérêt évident de ce film est de mettre à disposition de tous ceux que cela intéresse un matériau riche et ciblé. Il faut saluer évidemment le travail des élèves et de leur enseignant qui se sont prêté au jeu de l’expérimentation. L’ensemble des situations concrètes montrées par le film permet d’avoir un aperçu assez large de plusieurs composantes aussi bien sur le plan pédagogique que sur le plan médiatique. En effet au delà du l’action menée par l’enseignant dans sa classe, on peut s’interroger sur le parti pris filmique et narratif ainsi que ses présupposés tant sur le plan de la pédagogie que sur le plan stratégique de la communication sur une telle expérimentation. En effet ce film montre des situations de classe dont les fondements pédagogiques peuvent questionner. Un seul plan montre une situation différente de la traditionnelle configuration groupe classe avec pilotage de l’enseignant, c’est bien peu. Les arguments avancés pour justifier la pertinence de la tablette eux aussi ne diffèrent pas des habituels arguments sur la motivation, l’intérêt etc…
Le forum des enseignants innovants qui s’est tenu les 20 et 21 mai 2011 à Lyon a permis de mettre en avant des initiatives un peu différentes. Même si la tablette reste d’abord utilisée en réception, elle s’inscrit dans une stratégie pédagogique qui tente de rendre les jeunes de LP davantage acteurs de leurs apprentissages. Certes on retrouve les traditionnels arguments sur la motivation et l’intérêt tout comme on a pu dans le voir dans d’autres projets, mais ce que l’on constate, c’est que des possibles nouveaux s’ouvrent et qu’ils restent à explorer, non seulement sur le plan technique, mais aussi sur le plan pédagogique.
Récemment je me suis amusé à utiliser un logiciel qui transforme votre tablette numérique en ardoise traditionnelle. A cette occasion je me suis demandé si ces tablettes n’allaient par réveiller à nouveau les vieux réflexes archaïques des enseignants. On le voit déjà à avec les TBI/TNI, le verra-t-on avec les tablettes ? En fait nous sommes dans la période d’exploration. Il est donc nécessaire que toutes les formes de cette exploration apparaissent. Mais il faut se méfier de l’exemplarité possible que telle ou telle pratique peut provoquer. On le sait, le transfert des innovations ne peut être institué comme modèle. Les contextes des innovations interfèrent tellement qu’il ne faut pas chercher à les transposer. Par contre des innovations émergent souvent de « petites choses » qu’il serait souvent bien de faire émerger, d’expliciter pour, non pas que d’autres reprennent les innovations, mais que d’autres analysent mieux ce qui, dans des innovations peut être « récupéré » et donc rendre possible l’évolution des pratiques ordinaires
Les tablettes numériques ne sont pas pédagogiques tant que les usagers n’ont pas inventé les modes d’usages adaptés à leur contexte. Elles embarquent des intentions qui peuvent, selon les fonctionnalités, favoriser ou décourager certains usages. Rien n’empêche l’utilisateur de détourner les outils, de « braconner », et c’est souvent la force des innovateurs. A écouter les discours des médias de masse et des éditeurs, diffuseur de contenus de toutes sortes, on sent bien que l’absence de clavier, de périphérique de saisie aisé (le doigt…, le stylet…) leur permet d’espérer. Et cette espérance est celle de la passivité consommatrice enfin retrouvée. L’arrivée de l’ordinateur (avec clavier) et d’Internet avait fait une sérieuse concurrence à la télévision, au livre, à la radio. L’arrivée des ebook, dédiés à la lecture de livres avait fait rêver. Certes ces tablettes prenaient petit à petit de la polyvalence, mais on les appelait encore des liseuses et on tentait d’imposer l’idée qu’elles n’étaient faite que pour la réception, fusse de contenus multimédia… Mais en fait ce sont de vulgaires ordinateurs, ces belles tablettes. En effet, si vous y adjoignez un clavier (et toutes en proposent désormais) et éventuellement une souris, mais le doigt voire le stylet peuvent la remplacer, vous avez un netbook, et à quel prix pour ce qui est aussi une tablette avec les spécificités qu’on leur connait. En fait les usages qui vont se construire et les exemples visibles en ligne le montrent, sont d’abord des pratiques d’ordinateur. Là ou les choses commencent à changer c’est lorsqu’on met la tablette a plat sur la table de travail comme en témoignait un des participants du forum des enseignants innovants. C’est là que commence la pédagogie, semble-t-il, quand la machine s’insère, voire s’incruste dans la table de travail au coté des autres outils.
Il ne faut pas se contenter de poser la question des tablettes et oublier le reste. Or le reste ce sont les ordinateurs portables, les netbook, mais aussi les smartphones qui se multiplient. Finis les ordinateurs volumineux en forme de tour ? Pas encore, et nombre d’établissement vont encore devoir suivre, pendant peut-être plusieurs années, les contraintes imposées par ces mastodontes de plus en plus antiques. Alors que pendant ce temps émerge la mobilité. Car l’une des nouveautés qu’imposent les tablettes c’est cette mobilité. Certes le smartphone aussi, mais la taille des écrans reste peu confortable pour de longues utilisations. Les écrans des tablettes, parce qu’ils offrent un confort de « lecture » (parfois même à deux ou trois) et leur support mobile sont désormais à inscrire, à l’instar des netbook, comme les outils « à portée de la main » que l’école attendait. En lien avec les autres outils chacune des machines offre des avantages et des inconvénients qu’il faudra mieux mesurer pour en faire des choix. Force est de reconnaître qu’il y a désormais un saut réel qui se produit. La généralisation de tels matériels tout comme celle des smartphones va entraîner une révision assez large des politiques d’usage dans les établissements. Cela va prendre du temps, les coûts restent importants, les habitudes pédagogiques sont lentes à changer. Mais inéluctablement de nouvelles formes de travail sont à inventer, nous avons commencé à en voir, maintenant il faut qu’elles trouvent leur vrai place dans des pédagogies adaptées aux jeunes qui nous entourent. Car, au final, c’est pour permettre aux jeunes de construire leurs compétences que le monde scolaire leur offre ces tremplins.
Il y a souvent loin de l’innovation à l’initiative banale, parfois une dizaine d’année, parfois bien davantage. Célestin Freinet n’est pas oublié, lui qui n’avait pas trouvé sa place dans le système scolaire de l’époque aurait surement participé à de tels forums. Les innovateurs d’aujourd’hui son ses héritiers.  Mais encore faut-il qu’ils acceptent et qu’ils puissent sortir de la seule dimension de l’innovation pour entrer dans la dynamique de changement du système éducatif qui lui, en a tant besoin, à cause, entre autres du numérique. L’exemple des tablettes montre bien, à l’instar de Célestin Freinet, qu’une machine ne change rien à l’enseignement si elle ne s’accompagne pas d’une vision pédagogique…
A suivre et à débattre
BD