Veille et analyse, partage, approche critique

Décidément le numérique n'est pas fait pour la pédagogie !

Le programme Fatih en Turquie (http://www.ludovia.com/2015/05/les-ecrans-interactifs-en-tete-du-programme-educatif-numerique-fatih/) et cet article promotionnel sur les avantages du tableau interactif : http://www.ludovia.com/2015/11/les-sept-avantages-de-lecran-interactif-face-au-tbi/ font revenir à la surface une question essentielle : y a-t-il un lien entre pédagogie et numérique ? Faut-il vraiment qu’il y ait un lien ?
Alors que depuis des années on se pose la question de « transformer la pédagogie avec le numérique », on s’aperçoit que ce n’est pas vraiment le cas et que c’est plutôt l’inverse, à savoir que c’est parce que l’on change de pédagogie que le numérique peut avoir un autre sens que celui, dominant, que nous observons. Le cas du TBI, celui des tablettes, des ordinateurs portables et autres netbook est assez illustratif de ce débat. On pourra aussi parler des ENT et autres LMS, cahiers de texte numériques et autres logiciels de note et de suivi des élèves comme complément logiciel à cette question d’abord portée par le matériel comme en témoigne le plan numérique promu par la présidence de la république depuis plusieurs mois, fondé sur l’équipement massif en équipement mobile personnel des élèves.

A regarder la photo du programme Fatih, introduire le numérique dans l’enseignement c’est d’abord enrichir la pédagogie traditionnelle. A lire les nombreux argumentaires autour des technologies en éducation, on s’aperçoit que l’argument du changement pédagogique est plus incantatoire que réel projet dans la plupart des cas. En d’autres termes c’est un bon argument de vente. Comme la plupart des promoteurs de ces produits ont davantage intérêt à la vente et au renouvellement (court terme, long terme) qu’à l’usage (moyen terme), et comme le système scolaire se trouve conforté dans ses habitudes, finalement tout est bien : l’apparence de modernité éducative (présence de moyens numériques) s’appuie sur la solidité de la tradition pédagogique diffusionniste d’une part. Le chiffre d’affaire des fournisseurs est garanti, l’Etat, la puissance publique, jouant les intermédiaires.
On peut se rappeler l’histoire des grandes antennes paraboliques siglées au nom d’une collectivité et installées sur le toit, visible des établissements scolaires dotés. Les enseignants n’utilisant que peu ou pas cette possibilité de montrer des télévisions du monde entier (décalage horaire, problème d’enregistrement, problème de droit), chacun était content. Sans déranger l’institution scolaire, on avait un rendement en termes d’image de marque…. du financeur. On se rappelle aussi le nombre de plaquettes d’établissements scolaires montrant une photo de la salle informatique dont on sait que le fonctionnement était aléatoire et l’usage rare.  Autant de dotations qui n’ont surtout pas eu d’écho en termes de pédagogie.
La photo ci-dessus illustre parfaitement le problème posé : le numérique ne doit pas modifier la pédagogie, il doit moderniser l’image de l’enseignement. C’est l’entrée première de ces politiques. L’argument pédagogique (cf. Jean Michel Fourgous) est parfois porté par les politiques mais on constate qu’en réalité c’est l’évolution du système scolaire qui n’est pas portée conjointement ou plus simplement que l’argument de modernité est peu associé à celui d’évolution pédagogique réelle. On pourra rétorquer qu’il n’y a pas besoin de faire évoluer un système qui fonctionne plutôt bien, même s’il laisse de côté entre 10 et 15% de ceux qui le traversent. On pourra aussi argumenter de l’éphémère du numérique ou encore de sa permanente évolution pour ne pas l’utiliser, en regard de la durabilité, voire de la temporalité des mécanismes d’enseignement scolaire. Mais surtout on argumente en s’appuyant sur les enseignants innovants et autres expérimentateurs qui sont souvent des pionniers volontaires mais qui essaiment très peu en réalité. En d’autres termes l’impact médiatique de l’innovation pédagogique avec le numérique est sans rapport avec l’effectivité des pratiques… quotidiennes. Cela ne serait pas gênant si un mouvement de fond accompagnait ces expériences. Malheureusement l’histoire récente de la prise en compte des évolutions proposées se heurte à un immobilisme général du système, ou plutôt une forte inertie. Les politiques tentent des ouvertures en proposant à la marge des aménagements, rappelons-nous les TPE et les IDD, pour mieux renforcer les fameux « fondamentaux ». Or c’est ce terme qui en fait porte le sens pédagogique de base, la tradition car il prend une double signification, contenant et contenu.
L’équipement massif des élèves, des établissements des classes, les projets pour une véritable prise en compte de la place du numérique dans l’éducation, ne peuvent faire l’économie d’un vrai travail sur l’évolution de la forme scolaire. Regardons simplement la place des tables dans la salle, la gestion des espaces dans l’établissement… On parle de classe inversée, parlons d’établissement inversé, qui mettent au centre la trajectoire de l’élève, entre le social et le scolaire au lieu de mettre en premier des programmes pléthoriques, des enseignants formatés, des espaces temps figés. Cependant cette évolution n’est pas liée au numérique, elle ne peut d’abord que se justifier par l’omniprésence du numérique pour ensuite réfléchir aux modèles pédagogiques pertinents pouvant accompagner cette véritable inversion.
A suivre et à débattre
BD