Après les classes inversées, les MOOCs, l'adaptive Learning ?

Et voici la nouveauté de cet automne : « l’adaptive Learning ».
Le vieux rêve de Skinner va-t-il se réaliser ? La machine à enseigner a-t-elle un avenir ? L’intelligence artificielle va-t-elle faire revivre l’adaptive Learning ?
A cette adresse, sur ce blog qui se nomme « les bons profs » (!) http://blog.lesbonsprofs.com/avez-vous-entendu-parler-de-adaptive-learning/ on peut lire ce billet qui nous présente cette approche. Dès à présent les médias s’en emparent et bientôt les échanges vont se propager sur cette pseudo nouveauté du monde de l’enseignement et des technologies. Dans cet article publié par Educpro : http://www.letudiant.fr/educpros/actualite/l-adaptive-learning-la-revolution-qui-vient.html, on y retrouve les ingrédients habituels de toute proposition techno pédagogique qui pourrait changer la face de l’enseignement secondaire et supérieur. Après les classes inversées et les MOOCs, voici donc le dernier avatar de la course à l’innovation pédagogique. Innovation et pas invention car l’adaptive Learning n’est pas une nouveauté loin de là.
On pourra lire aussi http://www.journaldunet.com/solutions/expert/62170/l-adaptive-learning-ou-le-big-data-au-service-de-l-apprenant.shtml ce texte de Anthony Hié(ICP Paris) dont j’ai extrait ce passage qui présente l’Adaptive Learning : « Les Big Data, masses de données disponibles collectées sur nos profils et nos habitudes de surf sur Internet, permettent de mieux cibler nos attentes et d’adapter le contenu d’un cours en fonction des spécificités de chaque étudiant, c’est l’Adaptive Learning. Grâce à des algorithmes de plus en plus complexes nous entrons dans une logique désormais possible de personnalisation avancée, déjà bien connue, et qui a fait ses preuves dans les stratégies marketing.
Mais il ne s’agit pas ici de vendre mais bien d’identifier de nouvelles compétences à acquérir en allant à l’essentiel tout en accélérant la capacité d’apprentissage de manière ciblée. Plus encore il s’agit aussi, grâce à l’analyse prédictive, de définir le meilleur parcours pédagogique possible pour un étudiant et ainsi de lui assurer la meilleure réussite professionnelle possible. Dans cet objectif, ce mode d’enseignement semble particulièrement efficace et permet d’ores et déjà de relever une meilleure motivation et implication de la part de l’apprenant. »
Loin d’être nouvelle (sauf pour ceux qui n’ont pas de mémoire ou qui ne prennent pas vraiment le soin de faire quelques recherches), cette idée d’une machine qui s’adapterait au profil de l’apprenant s’inscrit dans une longue histoire de la recherche sur le fonctionnement du cerveau de celui qui apprend et celle des automates. Relisons l’ouvrage d’Éric Bruillard sur « Les machines à enseigner » (dont la version en ligne est accessible ici : http://www.stef.ens-cachan.fr/version-francaise/membres/les-machines-a-enseigner-268671.kjsp?RH=1215529015990). Reprenons, pour ce qui est du profil, l’idée ancienne développée par René Le Senne à propos de la caractérologie et observons qu’à sa suite, nombre de travaux témoignent de cette recherche incessante de « catégoriser » les humains et ainsi que pouvoir leur donner ce dont ils ont besoin (l’histoire nous a montré que c’est sur cette base de la catégorisation que se sont déroulé les pires massacres). A la suite de cette idée de catégorisation, il y a les travaux menés sur les typologies d’apprenants ou les styles d’apprentissage qui inspirent aussi les démarches de l’enseignement adaptatif. Regardons aussi ce film qui parle des automates intelligents, Hugo Cabret de Martin Scorsese ou encore la machine à apprendre du film « les sous doués passent le bac » (Claude Zidi 1980).
Dans le domaine de l’enseignement appuyés sur les moyens numériques, c’est Marc Meurrens et son logiciel G (Système « G », http://www.meurrens.org/logo/#MM voir à la fin de cet article une évocation de ce logiciel) qui en 1990, dans les travées du centre européen pour l’éducation de la société IBM de la Hulpe en Belgique, avait présenté une idée de ce que pourrait être ce genre de logiciel. Déjà à l’époque l’intelligence artificielle était fortement valorisée avant une traversée du désert dont il semble qu’on la fasse ressortir en ce moment et dans le même contexte. On a surement oublié cette période foisonnante d’idées qui montrait le potentiel théorique des machines qui adaptent leurs réponses aux usagers. Jamais les chercheurs, les passionnés n’ont abandonné cette idée qui peut être inquiétante à bien des égards. C’est d’ailleurs ce que montre cet article : http://www.cea-ace.ca/fr/education-canada/article/neuromythes-et-enseignement qui évoque le neuromythe des styles d’apprentissage.
Imaginons ainsi qu’un jeune soit mis en présence d’un tel logiciel. Que se passe-t-il ? Bien plus que ce qu’Alan Turing pouvait envisager, à savoir l’impression d’avoir un humain alors que c’est une machine avec laquelle on interagit, un logiciel qui contraindrait implicitement l’usager à aller dans la direction d’apprentissage, l’objectif souhaité, en se basant sur les données collectées sur lui, à son insu, mais aussi à partir d’analyse typologiques transcrites dans des algorithmes. Le rêve (de tout enseignant ?) des apprenants qui atteindraient automatiquement les objectifs fixés deviendrait réalité ! Le jeune se verrait guidé, sans qu’il le sache et sur la base de son style d’apprenant et d’un certain nombre d’indicateurs enregistrés automatiquement, de page en page, d’activité en activité, jusqu’à ce qu’il ait atteint l’objectif.
Nous avions, il y a quelques années, imaginé des systèmes simples basés sur la navigation hypertextuelle orientée (comme le livre dont on est le héros) par des règles pour amener celui qui apprend à parcourir les informations que l’on veut garantir qu’il ait en fonction de ses besoins. Cette manière de faire, mécanique, pouvait tout à fait s’enrichir d’un moteur d’analyse complexe du profil qui aurait amélioré le parcours et son efficience. Les travaux de Françoise Demaizière et aussi de Colette Dubuisson ont mis il y a déjà longtemps à jour ces évolutions, leur intérêt et leurs limites. Il faut bien admettre ici, en suivant d’ailleurs la présentation faite sur le journal du Net ci-dessus, qu’on est davantage dans une approche marchande que d’une véritable question pédagogique et psychologique que le logiciel « artificiellement intelligent » aurait enfin résolu.
Nous sommes là en présence d’un phénomène qui mérite qu’on s’y attarde un peu. A nouveau, on tente de nous vendre de l’invention et on fit le buzz autour d’une expression. Ce qui est dommage c’est que comme pour les MOOCs ou les classes inversées, comme jadis l’EAO, d’une idée intéressante à creuser on tente d’en faire un objet marchand rentable à court terme. Dommage parce que l’idée que la puissance de l’ordinateur puisse aider à la guidance de l’apprendre est évidemment intéressante. Mais le passage d’une idée à sa traduction médiatique et commerciale ne peut faire l’économie d’une analyse à partir de regards autrement affutés aussi bien en psychologie qu’en anthropologie, qu’en philosophie, mais surtout en sciences de l’éducation. Le danger est que, comme pour les MOOCs, des décideurs naïfs et séduits s’engagent dans ce chemin sans discernement, sans analyse, simplement parce que le mot « disruption » a été inscrit au fronton d’un article vantant cette approche.
Pour terminer, il faut revenir au fond du problème : La machine à enseigner n’est pas la machine à apprendre ! Il est temps que l’on évite cette approche isomorphique. Depuis longtemps la question de l’intelligence artificielle pose celle de l’intelligence humaine mais ne la résout pas. Dans le domaine de l’enseignement l’effet séduction d’approches dites nouvelles marche bien comme on peut le lire au travers certains propos d’enseignants qui s’épuisent en allant d’innovation en innovation, à la recherche d’un Graal. Ils seront bien sûr les premiers à porter cette approche de « l’adaptive Learning » dès lors qu’ils y trouveront une justification à une nouvelle innovation dont la médiatisation leur assurera la reconnaissance. Les médias sauront soutenir, à l’instar de quelques décideurs ou politiques qui céderont à la facile séduction de la nouveauté. Souhaitons qu’une vigilance « éducative » réelle évite qu’on ne fasse d’un champ d’investigation qui n’est pas nouveau, mais ô combien intéressant, ne se transforme en mode temporaire, enterrant ainsi rapidement le mythe porteur de cette recherche de l’amélioration de l’apprendre, pour retomber à nouveau sur les bonnes vieilles méthodes pour enseigner… Car mécaniser l’enseignement est sous-jacente à cette approche et un modèle socio-économique et anthropologique y est associé qui ne peut que nous alerter… et nous rendre vigilants.
A suivre et à débattre
BD
Description Système G
http://www.collectionscanada.gc.ca/obj/s4/f2/dsk3/ftp04/mq21744.pdf
Un modèle de développement de logiciels-outils de support à l’enseignement
Par Bruno Dima, Université de Sherbrooke 1196
« Le Système GtS est une illustration de cette tendance  et proposait dès 1986 un système d’apprentissage orienté objet  et intelligemment assisté par ordinateur.
Ce système-auteur qui  abandonnait  l’idée d’un scénario prédéfini pour permettre un cheminement personnel de l’élève, comportait un système de dialogue en langage naturel et un modèle de l’élève (pour individualiser renseignement et le dialogue). Le domaine à enseigner et la modélisation de l’apprentissage étaient entrés  sous forme d’objets associés à une documentation de type hypertexte permettant ainsi une très grande souplesse de cheminement »

3 Commentaires

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    • Turpaud-Amalvy Sophie sur 22 décembre 2015 à 08:08
    • Répondre

    Bonjour, votre article est intéressant. Vous est il possible d’intégrer un visuel car c’est impossible de partager vers un tableau Pinterest.

    1. Qu’appelez vous « intégrer un visuel ? »

      1. Bonsoir, Je veux dire, intégrer une photo, une infographie (un visuel donc) afin de pouvoir l’épingler sur Pinterest. Sinon le texte seul ne peut pas l’être.
        🙂
        Bonne soirée et bonnes fêtes

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