Penser les usages empècherait de critiquer les technologies

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Un article de Pascal Robert paru dans cet excellent petit ouvrage du CNDP mérite quelques réflexions : « TICE : l’usage en travaux » (collection hors série des dossiers de l’ingénierie éducative) est intitulé « l’usage en question(s) »(p.47-52).

La lecture que j’ai faite de cette analyse critique du trop plein actuel de l’approche par les usages m’amène à penser qu’il nous faut nous attarder à nouveau sur le « fait technologique » actuel. En quelque sorte, l’auteur nous dit que l’approche des usages nous permet de nous dispenser de question le « fait technologique » dans toute sa complexité. Je me permets donc de resituer la question comme je l’ai comprise et de proposer ma lecture du problème.

Qu’est-ce que le « fait technologique ». Ce n’est pas seulement de nouvelles machines, de nouveaux services, de nouvelles fonctionnalités. C’est aussi une intention technicienne, une intention commerciale, des stratégies de diffusion et un accompagnement médiatico-idéologique. Dès lors, comme le suggère Pascal Robert, l’approche de la sociologie des usages, prise par une lecture un peu rapide de Michel de Certeau nous amènerait à ne pas aborder du tout cet aspect du problème, de le considérér comme allant de soi et indiscuté, à défaut d’être indiscutable. En s’intéressant aux usages on en oublie d’interroger le générateur de ces usages.

Ce qui me pose particulièrement question ici, c’est qu’effectivement, la plupart des travaux (scientifiques ou non) publiés sont le fait de personnes dont le lien avec l’objet de travail mérite pour le moins d’être interrogé. Faut-il invoquer Bruno Latour ou encore Pierre Bourdieu pour rappeler que le rapport qu’entretient celui qui s’exprime avec l’objet de son expression doit, au minimum être questionné ? Et pourtant les textes sur les usages sont le fait de personnes qui sont au moins amateurs, voire passionnés ou zélateurs de ces technologies.

Dans le même temps les concepteurs de ces technologies poursuivent leur travail sans aucun questionnement autre que celui que leur renvoie le service marketing… sur l’acceptabilité commerciale des produits. Inventer un nouveau produit pour qu’il soit acheté et préserver un environnement médiatique propice à ces achats est le schéma de base, logique dans cet environnement professionnel dont la finalité est bien de « vendre » de nouveaux produits et services. Ainsi peut-on voir actuellement, à intervalles réguliers (et en particulier vers les fêtes de fin d’année) les médias s’emparer de ces objets pour s’en faire les promoteurs… objectifs bien sûr. De l’autre coté les chercheurs sur les usages, repliés parfois dans leur monde contemplent, non pas l’ensemble de la continuité, mais plutôt ce qui se passe un fois l’objet entré dans la sphère que l’on souhaite oberver (familiale, sociale, professionnelle…). De plus l’observation des usages mérite souvent d’être questionnée quand à la méthodologie employée, et dans ce domaine, il y a de quoi faire.

Ainsi donc observer les usages risque d’amener à négliger l’origine de ces usages. Ainsi dons les deux mondes peuvent vivre cote à cote, sans trop de risque, car pendant qu’on observe les usages on ne se pose pas (du moins pas souvent) la question des intentions réelles des concepteurs en regard des usages.

Il semble aussi qu’à la lecture de ce texte on puisse aussi penser qu’une certaine forme de complicité s’instaure entre les deux mondes. La domination de la dimension économique de l’offre technologique ne laisse que peu de temps pour s’intéresser aux usages qui toujours renouvelés méritent de nouveaux travaux. Regardons le multimédia, puis Internet, maintenant les blogs, le web 2.0 etc… autant d’objets qui confortent les stratégies des grandes firmes. Ainsi rechercher sur les usages serait renforcer ces stratégies en les accompagnant d’un discours qui les dédouanerait de toute responsabilité puisque’au nom des usages, on serait « libres » de « détourner » les prescriptions.

Si les travaux sur les usages s’intéressaient réellement plus souvent à l’acceptabilité sociale des technologies, et pas seulement au détournement et à « l’art de faire », alors on pourrait s’apercevoir qu’il est urgent de requestionner les concepteurs sur les finalités des nouveautés qu’ils nous « distillent » commercialement et sur les processus à l’oeuvre en amont de ces technologies…

Le débat est ouvert, merci à Pascal Robert de nous avoir alerté.

BD

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