Mobilité et convergence

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L’approche des fêtes de Noêl a été l’occasion pour de nombreux médias traditionnels de s’attarder sur les nouveautés techniques du moment. Vantant tant et plus ces nouveautés, ces médias en oublient toute analyse et toute distance, à moins que ces dossiers suppléments (le monde 2, libération etc.) ne soient purement et simplement financés par les concepteurs et les vendeurs des produits présentés. Au delà de ce faux engouement médiatique, il faut tenter de repérer des tendances fortes dans les développements techniques récents et les questions qu’ils posent. Pour l’instant j’observe deux constantes fortes : la convergence et la mobilité. Autrement dit les objets techniques que l’on nous propose sont de plus en plus mobiles (ils nous accompagnent dans tous nos moments de la vie quotidienne privée et publique) et de plus en plus convergentes (pour le même outil j’ai une palette de services qui s’enrichit chaque jour).

Quelle analyse proposer de ces deux axes d’évolution ? En amont d’une tentative de réponse, observons simplement que, comme nous avons déjà eu l’occasion de le repérer, le développement de ces possibilités techniques se fait sans aucune contestation forte. Autrement dit, elles vont de soi et ne méritent aucune critique. Et pourtant il serait bon de parfois s’interroger sur les effets indirects potentiels de certaines des fonctionnalités proposées. Les temps actuels portent davantage la critique sur d’autres objets que sur ceux du progrès technique. Et pourtant il ne faudrait pas oublier combien ces objets façonnent notre vie de tous les jours, du travail à la maison en passant par l’école… Comme nous le soulignions aussi la tentation de la critique des usages pourrait avoir affaiblit celle des techniques… Nous y reviendrons en fin de ce billet.

La convergence amorcée avec le numérique se trouve renforcée avec l’intégration de plus en plus forte des fonctionnalités au sein des mêmes ogjets techniques. Ce sont principalement les téléphones mobiles qui en sont les porteurs actuellement. Dans les années 80 c’était l’ordinateur qui avait eu tendance à se « déspécialiser » pour devenir un objet polyvalent et indépendant (ordinateur individuel). L’ordinateur a continué dans la même direction, les jeux vidéos et les réseaux sont principalement venus renforcer son domaine de compétences récemment. Si l’on y ajoute la téléphone en ligne, on constate que d’une certaine façon cette intégration et cette convergence sont une constante que le déploiement des ordinateurs portables confirme. Cette dernière évolution n’est pas nouvelle en 1989 nous rédigions déjà des rapports sur des portables autrement plus lourds qu’aujourd’hui (machiens à coudre IBM !!!). Mais la lente démocratisation des ordinateurs portables a permis de donner naissance à l’ordinateur à 100$ pour les plus démunis mais aussi à l’ordinateur à 300euros (Asus EeePC) pour ceux qui en auront les moyens… en attendant la réaction des constructeurs.

La téléphonie n’est pas de première jeunesse… c’est le moins que l’on puisse dire. Les talkie walkie avaient fait rêvé les enfants des années 60 (mais aussi les militaires qui utilisaient des outils bien lourd à transporter…), en tout cas communiquer à distance sans fil est un des moteurs du rêve technologique qui va, avec le téléphone portable trouver son succès. Or ce succès colossal à l’échelle planétaire ne cesse de se confirmer chaque jour. Si l’on rapproche les évolutions conjointes on trouvera le premier PDA d’Apple (Newton) en 1992 qui marque à sa manière un premier pont entre informatique et usage mobile. Si les PDA ne s’imposent pas franchement, par rapport aux ordinateurs portables, les téléphones portables eux s’imposent très rapidement, portés par un modèle économique très subtil et très efficace : les petits ruisseaux de nos communications font les grandes artères de communication (et de bénéfice) des opérateurs de téléphonie. Ainsi voit-on émerger avec les téléphone portable un mouvement confirmé de convergence numérique puis d’intégration de fonctionnalités qui ne cessent de se multiplier, allant évidemment à rejoindre progressivement les PDA qui retrouvent là une deuxième jeunesse. Et c’est alors Internet qui va faire le pont entre tous ces outils. Afin qu’il y ait continuité d’usage, acceptera-t-on qu’il y ai rupture dans les machines ? Il semble bien que non. Il faut donc s’attendre à ce que l’intégration aille le plus loin possible (cf l’excellent ouvrage du philosophe italien Maurizio Ferraris « T’es où? Ontologie du téléphone mobile, Albin Michel 2006).

A la convergence s’ajoute donc la mobilité. En fait de mobilité, il s’agit surtout d’une « mobilité reliée ». En effet parler de mobilité n’est pas nouveau, le livre, le papier nous avaient libéré des bibliothèques et des lieux de savoir (cf l’excellent ouvrage -tome 1- dirigé par Christian Jacob appelé Lieux de Savoirs, Espaces et Communautés, Albin Michel 2007). Avec les liaisons sans fil (GSM, wifi etc…) c’est une nouvelle mobilité qui existe. Fondée sur « le fil à la patte » cette mobilité nous permet d’être libre de nos mouvements (bien que surveillables) tout en restant reliés à nos bases (elles mêmes fixes ou mobiles). Parler de télétravail par exemple comme cela était évoqué dans les années 90 est devenu aujourd’hui un phénomène aux contours totalement changés. D’une opposition au sein de différents styles de vie, de travail, d’être au monde, entre le présent et le distant entre le privé et le public, il y a désormais continuité. C’est cette continuité qui constitue le moteur du développement actuel des technologies.Par plusieurs canaux, ordinateurs, téléphonie, lecteurs vidéo, convergent… vers un monde synchrone et continue.

On comprend qu’avec de telles évolutions techniques, est en train de se contruire un nouveau rapport au monde. Est-il radicalement différent que le monde traditionnel ? Pas forcément, et surtout il est encore trop tôt pout le dire. En fait on peut dégager de ces évolutions techniques un point d’appui fort qui est « la machine et le lien ». Si l’on considère l’ordinateur comme une prothèse du cerveau et le lien comme une « neuronalisation » de l’homme alors nous assistons à l’émergence du « cerveau mondial ». La science fiction pourrait nous aider, mais n’est-elle pas rattrappée… maintenant en réalité ? L’échelle de la pensée de l’individu doit désormais intégré le potentiel d’action de ces techniques qui peuplent notre vie quotidienne. Parfois cachées, parfois au contraire mises en avant, ces potentialités interfèrent avec notre système de représentation du monde. C’est bien celle-là qu’il faut parvenir à reconstruire avec cette nouvelle échelle, ou plutôt ce nouveau métre-étalon.

Quelles valeurs portent ces machines et leurs fonctionnalités ? Au delà des débats militants, il faut reconnaitre que la réticularisation (cf Pascal Lardellier) du monde est aussi corollaire de son émiettement. J’ai acès à tout, mais je ne peux accéder qu’à des miettes. Les ethnologues et les historiens ont montré l’évolution de ces échelles du monde qui caractérisent le développement de nos civilisations et leurs conséquences sur les modes de pensées (relisons Claude Levi Strauss et bien d’autres). Il n’y a donc pas de raison que nous ne nous interrogions pas maintenant. Malheureusement il y a un fait qui semble nous échapper : qui décide de développer ou pas telle ou telle technique ? Les travaux sur les clones, les OGM etc… nous montrent qu’à l’échelle de la planète il ya toujours quelqu’un qui souhaite « développer » des techniques nouvelles même si elles sont considérées comme nuisibles éthiquement. Du coup on ne discute plus des techniques elles-mêmes, mais de leur usage de leur application. On renvoie ainsi à l’usager la responsabilité alors que le concepteur technique en porte une partie. C’est comme lorsque le
patron d’une chaîne de télévision commerciale déclare que ce sont ses spectateurs qui lui disent le sens dans lequel il faut aller, alors que par ailleurs il déclare qu’il travaille au service de la publicité. L’un des récents exemples est celui du rapport Olivennes qui montre que les usages (du téléchargement) doivent être freinés lorsque la technique se retourne contre ses promoteurs (économiques). D’ailleurs les usagers n’ont pas été conviés à la discussion, ce sont ceux qui développent ces techniques qui ont décidé.

Ce message de veille de Noêl se veut aussi un appel à la vigilance pour les éducateurs et un appel à la responsabilité pour les concepteurs, mais aussi pour les usagers. Dès le début des années 70 la jeunesse qui voyait s’étioler les trente glorieuses dénonçaient le cheval fou lancé par les adultes de l’après guerre. Nous pouvons ici mesurer ce que ces dynamiques provoquent ou plutôt commencent à provoquer…

A approfondir, bien sûr et à discuter… en ouvrant les cadeaux technologiques, offerts et reçus…

BD

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