« Les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent » (Henri Queuille), cette citation peut être transformée en remplaçant promesses par propos ou paroles. Devant le flot de propos auquel nous sommes quotidiennement confrontés sur tous supports et par tous vecteurs, chacun de nous est amené à essayer de « discerner » et se construire ses connaissances. Car il s’agit d’éviter de se limiter aux « convictions, croyances et autres opinions » pour parvenir à la connaissance. Le monde numérique qui s’est développé avec l’avènement de l’informatique puis d’Internet n’a fait qu’amplifier un mouvement qui existe depuis longtemps, voire depuis toujours. Alors qu’on nous fait frémir avec les fausses informations fabriquées par la machine (deepfake et autres fake news), on oublie toujours de rappeler que tenir un propos relève de différents registres dont « la vraie information » n’est qu’une des modalités. Parce que l’on rêve d’une forme d’objectivité (cf. les métiers du journalisme le revendiquent souvent), on est prompt à critiquer ce qui nous semble « faux » au nom d’une vérité qui en réalité n’existe pas vraiment. Pourquoi ? Parce qu’une « information » n’est qu’une transmission/traduction d’un message dans un langage en permettant la diffusion.
Qui s’exprime et pourquoi ?
Du monde politique à l’espace médiatique, les paroles sont nombreuses. Pour celui qui « écoute » la difficulté est de repérer et d’identifier la « qualité » de ces propos (multimédias). Outre la compréhension première du vocabulaire et des phrases prononcées (ou des séquences), c’est la compréhension de deuxième niveau qui s’avère beaucoup plus complexe. S’il est facile de donner des sortes de recettes « qui, quoi, quand, où, comment,… » par exemple, il est beaucoup plus difficile de comprendre la « portée » des propos. Les exemples sont quotidiens en période de crise en particulier, ils sont constants dans l’espace public. L’important, pour celui ou celle qui s’exprime, c’est de savoir que le propos tenu n’a aucune conséquence réelle, même s’il feint de le croire ou parfois l’affirme. En effet, qu’il soit politique, philosophe, sociologue etc… ou simple citoyen, la parole est d’abord, très souvent, une affirmation de soi avant d’être une information. J’existe par ce que je m’exprime. Et parce que je m’exprime, je considère que j’agis. Avec la multiplication des canaux de diffusion de la parole et l’absence de filtre a priori (problème majeur posé de la modération) mais aussi avec le développement de l’expression « courte » (SMS, punchline, bons mots, petites phrases, etc…), la parole perd de sa valeur, d’où qu’elle vienne, et est progressivement définie par l’impact recherché sur ceux qui écoutent bien plus que sur la qualité informationnelle du propos.
L’école nous apprend à tenir quelle parole ?
Le monde scolaire apprend-il réellement à « tenir parole » ? Même si un « grand oral » a été introduit au baccalauréat, même si les recommandations pour l’enseignement de l’Éducation Civique, Juridique et Social (ECJS) recommandaient le débat, En 2015, l’EMC a signifié en quelque sorte la fin de la « récré » : « L’EMC doit transmettre un socle de valeurs commune ». Toutefois le texte de 2019 précise pour cet enseignement (https://eduscol.education.fr/document/23710/download) les différentes possibilités pédagogiques, en particulier sur l’utilisation du débat et de l’enquête. Après les valeurs de la République, chère aux politiques en place en 2015, se substitue progressivement une restauration de l’autorité, citoyenneté et du projet de « réarmement civique » de la jeunesse qui prolonge le « choc des savoirs » voulus par le ministre d’alors. On sent bien dans ces propos l’importance symbolique du rapport que chacun de nous entretient avec le pays où il vit et sa relation à la « nationalité ». Mais les propos des politiques au pouvoir n’indiquent pas vraiment l’importance des paroles de toutes sortes, préférant fustiger les écrans, boucs émissaires faciles des contradictions d’une société marchande entrée depuis plusieurs années dans la révolution informationnelle à la suite (et non en substitution) de la révolution industrielle. L’école serait donc impuissante ? les familles seraient-elles incapables ? Avant de trouver des cibles, il serait bien d’examiner le fonctionnement de notre société actuelle et d’identifier les forces de développement internes qui pilotent notre monde en particulier depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Or ces forces sont bien basées sur des modèles de société qui, sous couvert de démocratie, prônent davantage un individualisme libéral qu’une véritable solidarité sociale.
Solidarité et respect de l’autre
C’est en matière de « solidarité » qu’il faut aborder la question de la parole. Certains préfèrent le terme de « fraternité » (Jean Houssaye), d’autres celui « d’amour » (Vatican), peu importe les mots, c’est ce qu’ils nomment qui est important : le respect de l’autre passe d’abord par la manière dont je m’exprime. Dans de nombreuses situations de vie, la parole est dissymétrique, à l’école en particulier. Ce qui serait dangereux, c’est que la parole perde de sa valeur et que nous soyons toujours défiants ou soupçonneux. Alors que certains demandent aux producteurs de documents générés par l’Intelligence Artificielle de stéganographier l’origine, ne faudrait-il pas faire en sorte que toute personne qui s’exprime permette à ceux qui l’écoutent de savoir « d’où elle parle ». C’est là que se pose le problème et bien avant l’ère numérique déjà. La « solidarité » dans une prise de parole publique suppose que l’émetteur mette à jour les intentions explicites et implicites qui sous-tendent son propos. Encore faut-il qu’il en soit vraiment conscient et qu’il choisisse une posture « éthique ». Car c’est aussi d’éthique qu’il s’agit parce que cela repose sur les choix de celui qui s’exprime et qui devraient engager sa responsabilité.
Ne pas faire du silence le reflet de la soumission
L’école est malheureusement un univers dans lequel la parole de l’enseignant(e) est contrainte et contraignante. L’espace médiatique et numérique n’a pas les mêmes contraintes et c’est justement là la difficulté éducative que rencontre un système scolaire dans lequel la parole de l’élève est encore beaucoup trop encadrée, contrôlée, normée. Apprendre à s’exprimer publiquement est devenu un enjeu de société, car pour faire société, il faut que la parole puisse circuler, être échangée, être débattue, et nous n’en prenons pas la direction. Faut-il alors accepter ce proverbe « La parole est d’argent, le silence est d’or » (Talmud) ? Probablement, mais à condition que le silence ne soit pas le renoncement et la soumission. De nombreux faits récents nous montrent que trop souvent cela s’est produit et que nombre de personnes maltraitées se sont réfugiées dans le silence trop longtemps…
A suivre et à débattre
BD