Un rapport d’information sur le numérique éducatif sans mémoire et sans futur !!!

Le 27 octobre 2023 le « RAPPORT D’INFORMATION FAIT AU NOM DE LA DÉLÉGATION AUX DROITS DES ENFANTS en conclusion des travaux d’une mission d’information  sur éducation et numérique PAR Mme Charlotte GOETSCHY-BOLOGNESE et M. Hervé SAULIGNAC Députés  » a été présenté à l’assemblée ( https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/dde/l16b1681_rapport-information?fbclid=IwAR1lviDPTReTdNa0rGaeLRXkOKM49RALZ-fYzPPRCXGx-07RmR7ejwWZUjs# ). Comme tous les rapports, celui-ci a mené des auditions variées et nombreuses. Malheureusement la lecture du sommaire et des préconisations qui s’en dégagent n’apporte pas grand chose au débat. S’il effleure nombre des problèmes réels remontés dans les auditions, il oublie d’abord de faire mémoire et de prendre en compte ce qui a été fait au cours des cinquante dernières années. Ensuite, c’est un rapport sans futur : aucune des propositions qui émergent ne permet de repérer une vision claire et prospective en se limitant à des mesures ici et maintenant dont certaines ont pourtant été déjà proposées dans plusieurs contextes que nous rappellerons parfois. Par exemple, en 2013, le rapport de l’Académie des sciences sur les écrans et les enfants avait eu le mérite d’exposer clairement des constats et des propositions (https://www.academie-sciences.fr/pdf/rapport/avis0113.pdf). Même si l’un des auteurs, Serge Tisseron, a bien été auditionné, on peut penser, à lire l’ensemble du texte que les auteurs ont simplement négligé les apports de ce rapport et des écrits et propos qui ont suivi.

 

Une absence de véritable vision : les points aveugles

 

Le rapport commence par une imprécision de citation « fait social total » dont l’auteur initial, Max Weber, n’est bien sûr pas cité…  d’ailleurs le rapport ne comporte aucune bibliographie ou webographie explicite. Cela aurait pu permettre d’en mesurer la qualité, au-delà des personnes et institutions auditionnées….  Ce qui manque en premier dès l’introduction du document c’est l’absence d’analyse de la place du numérique dans la société qui se imite ici à un constat d’évidence :  « il  est  devenu omniprésent, indispensable dans la vie usuelle de tous les citoyens. ». Or c’est de là doit partir toute réflexion sur le sujet. Les mécanismes sous-jacents à cette évidence, qu’il faut certes constater, sont pourtant à la base de toute vision qui pourrait ensuite permettre de donner des axes de travail (et non pas uniquement des préconisations court-termistes. Parmi ces mécanismes, il y a bien sûr un projet politique global, basé sur un libéralisme individualiste qui favorise le développement et l’appropriation des technologies numériques dans le quotidien. Il ya aussi un projet économique fondé sur des modèles d’entreprises surpuissantes qui croisent et parfois collaborent avec des pouvoirs politiques. De plus, il y a un projet psychologique et sociologique « d’assujettissement » de la population à des utilisations des ces technologies, fondé sur l’utilisabilité et la facilitation. En l’absence d’une analyse critique de ces éléments ce rapport semble bien « vide de sens ».

 

Vers une société de contrôle et de répression, mais pas de réelle prévention

 

La suite du rapport est axée sur la jeunesse, l’éducation et parfois les parents… La ligne de force qui sous-tend le rapport est celle qui se fait jour depuis quelques années : méfiance, contrôle mais acceptation sans réserve. Pour le dire autrement, le contraste est important entre d’une part un monde d’adultes qui fait la part belle aux technologies numériques et une éducation qui se devrait protectrice voire coercitive, en particulier pour les plus faibles socialement et économiquement citoyens de nos sociétés. On peut d’ailleurs lire ceci à la fin de l’introduction : « mettre en évidence le fait que l’Éducation nationale ne peut, à elle seule, compenser les défaillances éducatives des parents, qui n’ont pas toujours pris la mesure des risques que peuvent encourir leurs enfants en ligne ». Ajoutant quand même que : « l’éducation au numérique doit être l’affaire de la société dans son ensemble. « . Pour le dire d’une autre manière, les auteurs de se rapports confirme un aveu d’impuissance que la liste finale des préconisations confirme en grande partie. Nous sommes un (le ?) pays des « inégalités éducatives » constatées dans les études sur l’éducation (PISA, PIRLS etc…) et nous ne nous engageons pas sur la voie de la réduction des inégalités les plus criantes de nos sociétés occidentales contemporaines… On pourra toujours penser que les inégalités sont inévitables voire inscrites dans la normalité des sociétés humaines, mais cela n’interdit nullement de tenter de lutter contre et d’éviter de faire un moyen technique une autre levier des inégalités. Après le lire, écrire compter qui s’exprime dès 1791, le pouvoir du livre s’installe ensuite pour définir de nouvelles frontières culturelles, désormais c’est le numérique qui définit de nouvelles frontières sociales et culturelles et il entérine les inégalités sociales (on peut consulter à ce sujet les propos sur la vulnérabilité ou la fragilité numérique).

 

Et pourtant, tous les rapports ouvrent des horizons

 

L’intérêt de ce rapport réside surtout dans les questions qu’il soulève et non dans les réponses qu’il y apporte. On est édifié de voir qu’il semble que l’on manque d’indicateurs quantitatifs et qualitatifs fiables et robustes en particulier de la part de l’institution elle-même. Malheureusement le rapport fait un peu l’impasse sur les travaux scientifiques menés depuis de nombreuses années qui, bien que sujets à des controverses (ce qui est le propre de la recherche qui avance), donnent des indications qualitatives intéressantes et permettent d’éviter les généralités. À propos des ressources, ce rapport confirme notre récente chronique du Café Pédagogique sur les ressources. Cela se confirme à propos des travaux scientifiques sur la question de la nocivité des écrans. En appelant à une conférence de consensus sur les dangers des écrans et plus généralement le numérique, sur les enfants les auteurs montrent bien qu’il y a là un espace de controverse et de débats qui est d’ailleurs amplifié dans les médias en particulier. A propos de la violence et de la sexualité et d’autres dérives, il aurait été préférable que les auteurs du rapport s’interrogent sur « l’exemplarité » du monde des adultes dont le monde politique est parfois le miroir déformant…. en plus de s’interroger, il aurait été nécessaire d’engager une vraie réflexion sur la culture et les usages du numérique au quotidien dans une société dans laquelle les formes de la « concurrence » sont en permanence présentes.

 

Quand le transversal est déconsidéré au profit du découpage disciplinaire

 

En revenant sur le thème de l’enseignement, les auteurs du rapports ne sortent pas de l’idée des « heures de cours » qu’il faudrait imposer dans les programmes : heures de numérique, heures d’Éducation au Média, heures d’éducation à la citoyenneté…. En appelant à ne pas faire de la transdisciplinarité, ils en oublient un élément essentiel que constitue la « cohérence éducative du monde des adultes ». Au sein d’une équipe éducative, est-il possible qu’il y ait autant de pratiques et de différences entre les uns et les autres et qu’elles ne soient jamais discutées au sein de ces communautés… Mais ce que les auteurs oublient aussi c’est qu’il ne suffit pas d’un enseignement plus ou moins spécifique pour répondre à des problématiques sociales transversales. Ici il ne s’agit pas d’un ensemble de savoir qu’il faut connaître, mais bien plus le développement de la possibilité pour chacun de « faire face » à l’attendu et l’inattendu informationnel avec les moyens suffisants pour les « mettre en questions ». En parlant de saupoudrage, le rapport veut nous faire croire qu’il s’agit d’un ensemble cohérent qui serait émietté alors qu’il s’agit d’une complexité à laquelle il faut s’éveiller. À juste titre le rapport met en question la multiplication des éducations à dont on connaît le peu d’efficacité réel. Cela n’empêche pourtant pas l’incohérence d’un discours qui reprend ensuite cette appellation d’éducation à alors qu’il vient de fustiger cette expression au profit d’un enseignement !!!. Cependant, incapable de donner une définition précise, les auteurs écrivent pourtant « Les rapporteurs insistent sur la remise en, cause nécessaire de la dimension transversale de l’éducation au numérique. » On le constate à la suite de la lecture, le flou et l’imprécision du propos tient en fait à l’objet lui-même que l’on ne peut réduire à un « objet de savoirs » pas plus qu’à un « référentiel de compétences »… et donc qu’il est incompréhensible de vouloir rapporte à une discipline d’enseignement à part.

 

Questions de culture sociale

 

La suite du rapport concerne plus globalement la société dans son ensemble, ou au moins le tente, à propos de « VERS UNE IMPLICATION PLUS STRUCTURÉE DE L’ENSEMBLE DE LA SOCIÉTÉ POUR ÉDUQUER LES ENFANTS AU NUMÉRIQUE ». Cela confirme notre approche précédente sur l’absence de vision. Il se situe comme « sachant » pour d’autres qui seraient « ignorants »… Ce surprenant passage survient alors : « Afin d’éduquer efficacement les enfants au numérique, il est absolument crucial que le monde dans lequel ils évoluent soit également formé sur ces question ». De quoi parle-t-on exactement quand on évoque cela ? Le rapport tente une approche en « dézoomant » en partant de l’Éducation Nationale puis se tournant vers les parents pour passer par les producteurs de contenus puis les plateformes pour enfin se tourner vers l’État, sorte de boite magique que l’on met en avant quand on ne peut rien proposer d’autre qu’une « réglementation ». On en revient alors à la question centrale du moment : les logiques de pilotage du développement à l’oeuvre au coeur du numérique sont devenues incontrôlables. Alors, plutôt que de s’interroger sur ce qui a produit cela, sans le remettre en question (voir le début de notre article), on préfère d’abord réglementer (en espérant que ça marchera alors que l’internationalisation du numérique n’est qu’un des éléments plus vastes de la mondialisation dont nous commençons à peine à mesurer l’impact). Nous avons affaire aussi bien à du commercial que du politique, mais aussi du culturel et du social…

 

Malheureusement…

 

Encore un rapport qui va tomber aux oubliettes… Il va surement soutenir les volontés réglementariste du législateur et donc l’émergence de nouvelles lois (d’ailleurs largement inapplicables…). En oubliant une critique socio-historique de cette question qui a émergé au début des années 1980, le rapport d’information parlementaire reste donc simplement un regard d’étape, mais pas un étayage de fond sur la question du numérique. On sent bien que le politique est très en décalage par rapport à la réalité du numérique dans la société mais aussi dans le système scolaire. Déplorant pour commencer l’absence de chiffrage clair et précis, les auteurs auraient mieux fait d’examiner ces points pour faire évoluer leurs représentations. Il serait bien, aussi, que les élus et les responsables institutionnels sortent de leur « cocon » qui ne leur fait voir de la réalité que ce qu’on veut bien leur montrer (cf. certains passages d’auditions). Trop souvent il faut satisfaire l’autorité en place si l’on ne veut pas être « marginalisé ». Certains chercheurs en ont et continuent d’en faire les frais, certains médias en sont aussi là : écoutés par les acteurs, surveillés par les décideurs… mais rarement suivis dans leurs travaux qui s’inscrivent dans le temps long alors qu’un tel rapport s’inscrit dans le ici et maintenant de la politique actuelle !!!

 

A suivre et à débattre
BD

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