Le numérique éducatif entre-t-il en glaciation ?

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Discernement pour l’éducation à l’information, pas d’écran avant 6 ans, etc.… tout, dans les propos du ministre (différents bien sûr de ceux tenus par la même personne n’étant pas alors ministre…) indique que nous entrons dans une ère de glaciation pour les questions du numérique éducatif. Glaciation ne signifie pas disparition, mais plutôt « arrêt sur image ». En disant en conférence de presse qu’il va consulter, écouter, mais en même temps en affirmant certains points de vue, à partir de travaux scientifiques ou non (il faudra être vigilant là-dessus) on peut s’interroger sur l’ensemble de ces propos comme ce passage de l’interview (parmi tant d’autres) qu’il a donné à Paris-Match dans lequel il déclare :
 » Il faut prendre en compte la révolution numérique, en retenant ce qu’elle a de positif et en écartant ce qu’elle a de négatif. Comment un monde de plus en plus technologique peut être un monde de plus en plus humain ? C’est la grande question de notre temps. D’abord, il ne faut pas exposer les enfants aux écrans jusqu’à 6 ans. Ensuite, l’écran doit apparaître progressivement. La technologie numérique bien pensée peut contribuer à d’importants changements pédagogiques. Je prête une attention particulière aux robots et à l’intelligence artificielle, qui ont un effet révolutionnaire. C’est déjà pertinent, par exemple, pour la sociabilité des élèves autistes ou pour des jeux de calcul mental. »
Et de poursuivre aussi sur les neurosciences auxquelles il attribue des vertus dont il faudra probablement débattre dans les cénacles scientifiques… On le voit quand il évoque l’intelligence artificielle sans préciser de quoi il parle… mais c’est un ministre pas un scientifique (? juriste pourtant). En lisant ces quelques lignes comme nombre d’autres publiées ou énoncées ces temps-ci, on voit se dessiner une sorte de « philosophie composite » ou qui tente de l’être (faire mieux avec de nouveaux matériaux !!!). Dans cette manière de penser, il y a de l’attentisme prudent et sélectif entre ce qui passe dans l’opinion publique (le nouveau scientisme qui émerge autour des neuros-trucs et astuces) et les sujets polémiques (efficacité, plus-value, protection des données, pour ce qui est de l’informatique et du numérique).
Après l’enthousiasme des participants de Ludovia-14, le soufflet retombe face aux textes et aux discours officiels. Alors que tout dans la société pousse au développement des technologies issues de l’informatique et plus généralement nommées sous le terme générique de numérique, le monde scolaire continue sa valse-hésitation. Scolaire et pas universitaire. En effet si l’on contrôle facilement des écoliers, c’est beaucoup moins facile pour des étudiants, la plupart adultes et déjà bien entrés dans le monde tel qu’il est (les taux d’équipements sont impressionnants). On sent bien qu’en ce moment chacun, en particulier les décideurs et responsables politiques, est soucieux que le monde scolaire retrouve une légitimité aux yeux de la société. Certes ce n’est pas un « c’était mieux avant », mais plutôt un « c’est mieux comme on vous le dit, on le sait depuis longtemps et la science nous appuie ». Derrière cette approche il y a l’idée que le processus de scolarisation est capable seul de lutter contre le processus de socialisation. Dans l’école vs hors l’école comme en témoignent les projets devoirs faits, internats et aussi la glaciation numérique.
Ainsi le scolaire s’éloigne à nouveau du social. Alors que l’informatique a infiltré le quotidien de chacun, personnel, professionnel et administratif, le scolaire prétend éduquer en cantonnant celle-ci à quelques espaces restreints et peu polémiques. L’histoire de feu le B2i, ainsi que des compétences du socle liées à l’informatique et au numérique, dans leur mise en œuvre concrète met en évidence : d’abord que la plupart des acteurs de l’éducation n’ont pas, semble-t-il, compris les enjeux réels, d’autre part que la plupart de ces acteurs ne sait pas par quel bout prendre les choses. Dans les deux cas, l’accompagnement, la formation, les moyens mis en œuvre, bref le contexte favorisant une véritable acculturation n’a pas été mis en place. Et ce ne sont pas les passionnés et autres geeks et tous ceux que l’on croise régulièrement dans les évènements qui y sont consacrés qui sont la norme. Mais il y a un entre-deux qui est fait de la plupart des acteurs de l’éducation qui se sentent peu portés par le cadre de travail dans lequel ils sont. Il semble d’ailleurs que les cadres intermédiaires de l’institution aient une certaine responsabilité dans cet attentisme.
Nous entrons probablement dans une ère de stabilisation du numérique dans la société, non seulement pour les raisons évoquées ci-dessus pour le monde scolaire, mais aussi parce que nous sommes aussi dans une phase de saturation des usages : équipements personnels, connexions aux réseaux, usages quotidiens, désormais la quasi-totalité de la population est concernée, consommatrice et actrice. Cette ère de stabilisation (cf. les attentes vis à vis d’Apple pour sa prochaine Keynote du 12 septembre) est une étape nécessaire dans le processus d’appropriation sociale des inventions. Certes on voit revenir sur le devant de la scène les questions autour d’objets mal définis : Intelligence artificielle (rappelons-nous les années 70 – 90 sur le sujet), robots… (rappelons-nous « les temps modernes » de Charlot et « les sous doués passent le bac » Cela sert à agiter un univers de rêves, mais cela devrait surtout amener à interroger les allants de soi lus et vus (même ceux du ministre).
Le monde scolaire est en réalité confronté à une question fondamentale et fortement médiatisée : comment résoudre le problème de l’incapacité du système scolaire à résoudre les inégalités sociales et intellectuelles ? PISA continue de montrer au fil des années que notre système accroit les inégalités. C’est donc devenu notre problème principal. Mais dans le même temps la diffusion massive des moyens numériques dans la société est en train de produire les mêmes déséquilibres que jadis le livre et l’écrit imprimé. Comment imaginer que le monde scolaire passe à côté de cette équation ? Or la glaciation que nous pressentons bien au-delà des discours et des propos médiatiques est à rapprocher de ce que l’on observe aussi dans la formation des adultes : il n’y a pas de miracle pédagogique par la technologie. Il y a surtout un fantasme d’économie et de rationalisation.
C’est notre environnement techno-cognitif qui est en transformation. Cela impacte en premier les individus qui sont soumis au dictat du monde du travail et celui des marchés et désormais des administrations. Cela transforme la culture au sens large. Cela transforme les « postures mentales » de chacun de nous. Souhaitons que cette glaciation soit aussi une chance pour reposer globalement la question de l’Education dans une société désormais soumise aux lois des moyens numériques.
A suivre et à débattre
BD

1 Commentaire

4 pings

    • Michel MATEAU sur 6 septembre 2017 à 06:24
    • Répondre

    Vous dites : » Il semble d’ailleurs que les cadres intermédiaires de l’institution aient une certaine responsabilité dans cet attentisme. » Qui sont ces cadres intermédiaires ? Les directions d’établissement ? Les enseignants eux-mêmes ?
    Par ailleurs on peut quand même se rassurer en pensant que le poids d’un ministre n’est sûrement pas crucial au point de figer le numérique à l’école si les autres acteurs souhaitent réellement son développement.
    Enfin, poser, même de façon maladroite, la question du numérique du point de vu anthropologique (et pas seulement social) peut être intéressant.

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