Un reportage de la Radio Télévision Suisse Romande a été proposé le 11 aout dernier, alors que le Canton de Neuchâtel reprenait la classe. On y présente le nouvel enseignement intitulé « Éducation numérique ». On peut écouter ce podcast : https://www.rts.ch/audio-podcast/2022/audio/neuchatel-introduit-des-cours-d-education-au-numerique-des-la-rentree-scolaire-25844362.html, ou consulter cette vidéo https://www.rts.ch/info/regions/neuchatel/13300094-leducation-numerique-au-coeur-de-la-rentree-scolaire-a-neuchatel.html.
Mais pour aller plus loin à propos de ce canton de 19586 élèves qui s’est bien réveillé pour le numérique on peut consulter cette page : https://www.ne.ch/medias/Pages/20220811_rentr%C3%A9e2022.aspx mais aussi lire la page 13 du document : https://www.ne.ch/medias/Documents/22/08/CP_rentr%C3%A9e_2022-23_dossier%20presse_def.pdf qui précise les contours de cet enseignement.
Cet enseignement évite de diviser et propose donc une approche triple : science informatique, usages et médias. Cette approche qui semble être « intégrée et systémique ». Le projet peut se résumer ainsi : « Concrètement, il s’agit de lier l’usage des écrans à des principes de prévention spécifiques aux cycles scolaires (âge des enfants), d’encadrer clairement et d’accompagner les activités connectées proposées, mais aussi de guider les élèves dans une réflexion approfondie sur les enjeux sociétaux, politiques, économiques et environnementaux de l’usage du numérique. »
Dans le même temps, France Info rapporte un article d’un journal chinois à propos des « stylos connectés » : https://www.francetvinfo.fr/societe/education/numerique-a-l-ecole/chine-des-stylos-connectes-distribues-en-classe-pour-espionner-les-eleves_5305291.html#xtor=CS2-765. Le développement des moyens de tracer l’activité individuelle s’invite donc dans la salle de classe, dans la main de l’élève. Bien sûr, ce bref article méritera d’être approfondi de façon à ne pas laisser le fantasme remplacer la réalité. Toutefois, cette idée de tracer individuellement l’activité de l’élève n’est pas nouvelle et renvoie à la question du suivi individualisé de l’apprenant.
En rapprochant ces deux informations, on peut mieux comprendre les différences de conception de la place du numérique pour l’éducation et en particulier l’enseignement. En 2018, le ministère de l’Éducation française annonce lui un enseignement de l’informatique pour tous les élèves en classe de seconde et plus généralement le développement de la connaissance du code (un langage) informatique et de sa mise en oeuvre. L’existence du PIX d’une part (successeur du B2i rebaptisé par le ministre CRCN…) et la crise informationnelle apparue en 2020 amènent en 2022 les responsables à annoncer des initiatives dans le domaine de l’éducation aux médias et à l’information via un vadémécum mis en ligne (accompagné d’une circulaire du 29 01 2022). D’un côté une vision éducative qui tente d’articuler les trois dimensions, usages informatiques, information et une vision éducative qui tend à environner l’école de moyens de « suivi individualisé et automatique des élèves ».
L’idée de surveillance des élèves via les moyens numériques n’est pas nouvelle. Si les Chinois proposent de nouveaux outils, des produits logiciels de surveillance des postes de travail élèves existent depuis longtemps, en particulier dans les salles informatiques. Désormais ces logiciels de « surveillance » concernent tous les appareils numériques. La question qui est posée ici concerne le suivi individualisé et les raisons qui amènent à le mettre en oeuvre. Le recueil de données de toutes sortes (les fameuses « data ») est devenu de plus en plus courant et l’éducation n’y échappe pas. Regarder l’activité de l’élève par-dessus son épaule (de manière numérique et sans être vu parfois) et enregistrer son activité (pour en faire un traitement plus ou moins automatique ensuite) sont deux évolutions qui peuvent inquiéter. L’objectivation de l’activité de l’élève qui apprend est une source qui intéresse les chercheurs qui veulent comprendre comme l’élève effectue son travail. Mais cette source intéresse aussi les politiques et les acteurs qui veulent « mieux » évaluer les élèves et leur travail, en en ayant une vue plus précise. Et, rappelons le, trop souvent, sommeille en chacun de nous une envie de savoir ce qui se passe dans la tête de ces enfants dont nous avons la charge.
Deux axes d’évolution qui ne se rencontrent a priori pas, mais qui posent la question de la « vision » éducative fondamentale. L’enfant que l’on accompagne dans son entrée dans le monde peut-il le faire en toute liberté, faut-il le surveiller, que faut-il lui proposer ? Car les choix du canton de Neuchâtel en Suisse méritent qu’on s’interroge sur la vision sous-jacente. Dans celle-ci il y a bien une sorte de méfiance, de crainte (allusion aux seuils d’utilisation des écrans proposés par S Tisseron). Mais il y a aussi, ce que chacun semble admettre désormais, le fait numérique inéluctable et à propos duquel on ne peut revenir, en particulier sur un plan économique. Dans le même temps, et c’est trop souvent ce qui manque dans la réflexion (éthique et politique), la question du faire société de demain dans un contexte largement numérisé mais aussi plus largement en crise en particulier sur les plans sanitaires et climatiques. L’analyse sur l’évolution climatique proposée dans cet article proposé par Anne Sophie Novel (https://www.lemonde.fr/blog/alternatives/2022/08/04/valerie-paumier-a-la-course-contre-le-rechauffement-climatique-les-remontees-mecaniques-sont-encore-gagnantes/) apporte, sur le plan méthodologique, un cadre de réflexion qui pourrait très bien se transposer à propos du numérique. En effet, devant le sentiment d’évidence que chacun d’entre nous ressent à propos du numérique, sommes-nous encore en capacité d’envisager un « autre monde » et d’interroger nos manières de faire société?
Pourra-t-on continuer longtemps à tenir un double discours : celui qui prône le développement du numérique et celui qui propose une forme de sobriété numérique ? Si nous sommes nombreux à être fascinés par ces technologies qui facilitent la vie, sommes-nous en capacité d’y faire face et surtout de les maîtriser aux multiples niveaux impliqués ? Les choix d’un enseignement qui articule les trois pôles du questionnement actuel, est-il préférable à celui qui les décompose (comme cela se passe en France). En 2000, le pari de la transversalité a été fait, cela a été un échec. En 2018, c’est un choix différent, principalement autour de l’informatique. Il s’est avéré très insuffisant pour répondre aux besoins de la société, la crise sanitaire l’a démontré. Maintenant que nous pouvons prendre un peu de recul, il faut qu’un cap plus clair soit proposé et élaboré avec les premiers concernés…. ceux qui demain vivront avec.
A suivre et à débattre
BD