Numérique, écran, à la recherche d’un juste équilibre

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À intervalles réguliers, des chroniques, discours, documentaires, tribunes tentent de donner des points de vue sur la place des écrans et du numérique à l’école. La dernière illustration en est ce documentaire, conçu et diffusé en 2024 sur la chaîne Public Sénat, réalisé par Gilles Vernet et intitulé « et si on levait les yeux, une classe face aux écrans ». (https://www.publicsenat.fr/emission/documentaire/et-si-on-levait-les-yeux-une-classe-face-aux-ecrans-e0). Au demeurant fort intéressant, car il donne à voir un travail d’une année dans une classe de CM2, il n’échappe pas au travers de l’appel ponctuel à des experts dont les propos dans le film sont très réduits mais qui tiennent trop souvent une parole d’autorité alors que le documentaire veut davantage inviter à la réflexion . Ce sont surtout les témoignages des élèves et des parents, ainsi que de l’enseignant, lui-même réalisateur du documentaire, qui apportent de quoi réfléchir. La capacité d’analyse (certes sélectionnée pour les besoins du média) des élèves semble très vive et la franchise des parents particulièrement intéressante. Derrière ce documentaire, on retrouve les rituelles questions qui circulent en ce moment (mais aussi bien avant, avec les anciens médias).

Un  documentaire qui pose de bonnes questions

Parmi ces questions, rituelles mais néanmoins importantes : la place et la responsabilité des adultes dans leurs propres usages des moyens numériques, la possibilité d’éduquer au numérique dans les familles, la question, non explicitée ici, de l’intention sous-jacente aux moyens numériques (les écrans…) et que l’on résume et simplifie trop souvent par « les algorithmes », le problème de la relation humaine au sein des groupes humains (allusion à l’inquiétude du « faire société » que nous proposons depuis de nombreuses années ici même), la question du point de vue de chacun qui ne peut servir de modèle à tous.

Deux éléments sont à signaler à la suite de ce visionnage :

– il est fait allusion au fait que « les écrans » participent de la lutte contre le sommeil (revendiqué par certains concepteurs de produits numériques, jeux ou réseaux), rejoignant ainsi le fameux « temps de cerveau disponible ». Ces deux visions issues d’un modèle marchand libéral (qui n’en a que l’apparence, tant il veut être manipulateur) mettent en évidence l’une des intentions sous-jacentes au développement technologique.

– La question de la facilitation dont le corollaire est la faiblesse humaine face à des technologies et les services qui en découlent. Un récent article (https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/02/18/les-smartphones-sont-ils-voues-a-disparaitre_6217159_3234.html) parle du lendemain des smartphones en nous présentant les évolutions techniques qui se proposent de les remplacer.

L’histoire des techniques met en évidence les avancées, les succès et les disparitions de certaines d’entre elles. Le critère, signalé il y a quelques années par un journaliste nord-américain, est celui de la facilitation apportée par le moyen technique. Ce qui est étonnant c’est que l’article cité ici ne prend pas du tout en compte ce critère mais fait plutôt oeuvre commerciale à l’instar des concepteurs de ces nouveaux « objets techniques » qui pour les vendre se sentent obligé d’en faire un paysage d’avance réussi. Or nombre de produits ont disparu après quelques tentatives ou parce qu’un autre produit a apporté une autre facilitation (on peut parler du fax ou télécopieur, ou encore du magnétoscope ou encore des formats d’image vidéos).

 

Facilitation, besoin et choix

Comme on le constate, la pression commerciale et médiatique a un effet important sur l’ensemble de la société et donc aussi l’école, comme le montre ce documentaire (parmi de nombreux documents). Ce qui nous intéresse ici, c’est d’envisager la manière de « faire avec » tout en restant libre et responsable de nos choix. Il suffit de regarder dans un transport en commun le nombre de smartphones utilisés par les passagers pour comprendre combien nous avons adopté ces machines parce qu’il nous facilitent la vie. Il est intéressant à ce sujet de faire une analyse critique du smartphone et de ses usages à l’aune de la « pyramide de Maslow » qui situe les « besoins » selon une hiérarchie qui va du plus vital ou moins important. Dans les familles, la question est d’autant plus vive, que ces moyens techniques occupent désormais une partie plus ou moins importante « des communs de la vie quotidienne ». Pour le dire autrement, les activités et le relationnel intrafamilial sont transformés par les moyens numériques. Et les enfants ne s’y trompent pas, eux qui tentent de « faire avec » dans leur quotidien (cf quelques propos d’enfants du documentaire, mais aussi des contenus d’interview d’élèves que nous avons réalisés).  Quant aux adultes, ils confirment, ce que le confinement avait mis en évidence, les conditions de vie quotidienne induisent fortement la relation aux moyens techniques numériques et les disparités voire les inégalités dans ce domaine sont fort nombreuses.

Équilibre et posture

À la recherche d’un équilibre dans l’éducation, il est (de plus en plus) difficile de faire des choix responsables. Les adultes et les enseignants en particulier, du fait de leur posture professionnelle, sont en difficulté. Maëla Paul (dans un article de 2012) définit ainsi « la posture désigne une manière d’être en relation à autrui dans un espace et à un moment donné. C’est une attitude « de corps et d’esprit ». Cela signifie que nous sommes à la recherche d’un « entre deux » (cf le dernier numéro de la revue Phronésis 1-2024) mais qui ici se définit aussi par la question de la place des objets numériques dans le quotidien familial, scolaire, et par la manière de trouver une « juste place » au sein des « communs sociaux ». Le rôle de l’école peut-il être de dire « le bien et le mal » se comporter ? En commençant par s’interroger sur ses propres fonctionnements et ses propres équilibres et déséquilibres, le monde scolaire peut déjà entrevoir une autocritique en matière d’équilibre. les politiques s’en emparent régulièrement (cf. la demi heure d’exercice physique…) mais de manière trop ponctuelle et intentionnelle pour être vraiment efficace, surtout que les changements de directives sont trop fréquents et surtout ne laissent pas aux acteurs de terrains des marges d’initiatives suffisantes.

Peut-on se détacher et choisir ?

À la maison, comme à l’école, personnellement et collectivement, nous sommes à la recherche d’équilibres. Ce sont les contraintes d’une part, les besoins (de tous niveaux), d’autre part, qui forment à notre insu d’autres équilibres que ceux que l’on souhaiterait avoir. C’est par la compréhension et une éthique du choix que nous pouvons surmonter ces pressions permanentes. Il ne s’agit pas de résister au sens traditionnel et réactionnaire, mais au contraire de construire plutôt que d’être construit. La forme scolaire dont on parle beaucoup, mais que l’on ne parvient pas à faire évoluer, est l’une des principales responsables de ces contraintes et de ces besoins qu’elle impose aux jeunes et aux adultes. Certains parviennent à s’en dégager, mais beaucoup subissent et ne choisissent pas leurs équilibres ou plutôt construisent leurs équilibres sur des bases qui posent problème et qui s’imposent de l’extérieur. Difficile de ne pas céder aux écrans dans un tel contexte… Il n’y a pas de bons ou de mauvais écrans, mais des intentions qui s’affrontent….

 

A suivre et à débattre

BD

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