Une norme… imaginaire

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Après Books, Télérama se fait l’écho du texte de Nicholas Carr : Internet (Google ?) rend-il bête. A partir de ce témoignage de quelqu’un qui est en train de s’apercevoir que, sollicité de plus en plus souvent et facilement par l’information disponible, il en vient à ne plus aller au fond des choses. Autrement dit il zappe et surfe sur l’information plutôt qu’il n’effectue une plongée dans la lecture longue et silencieuse. En d’autres termes, il est désormais en largeur plutôt qu’en profondeur. Son cerveau serait-il en train de se modifier ? Est la question qui surgit alors de cette observation…
Et la presse intellectuelle d’embrayer sur le sujet et de relayer le débat. Malheureusement l’oubli trop fréquent de ces écrits sur des écrits c’est la réalité de la sollicitation sensorielle et de la réponse que chacun de nous y donne. Pour être sur sollicité par par des supports comme la télévision ou Internet, encore faut-il que le cadre de vie personnel et professionnel s’y prête. Pour avoir le temps de « lire en profondeur » il faut aussi que le cadre s’y prète. Dans de nombreux foyers il n’y a jamais eu beaucoup de livre, pas plus que de « grands lecteurs ». Mais il y en avait.
Le problème c’est que derrière ce discours se tient l’affirmation d’une norme imaginaire qui voudrait que le « lire long » soit le mieux dans notre société. Ceux qui disent cela ne s’y trompent pas, c’est ce lire long qui leur a permis de réussir dans notre société. Autrement dit ils ont compris le lien qu’il y avait entre le pouvoir et le mode d’accès à l’information. Redoutant toujours que ceux qui ne lisent pas aient accès au savoir/pouvoir, ils s’en émeuvent dès qu’une technologie les met en concurrence. Ainsi les feuilleton et la presse populaire du XIXè siècle ou même les livres pas chers… voir vendus en grande surface ne pouvaient être qu’un danger pour cette élite.
Car l’enjeu est probablement là : l’élite doit se retrouver un terrain d’élitisme compte tenu du nouvel environnement médiatique.
Premier acte : dénigrer voire ignorer le nouveau support tout en allant discrètement l’explorer (l’émergence des médias de masse et d’Internet).
Deuxième acte : mettre au jour la polémique sur le nouveau savoir et le nouveau cerveau ainsi créé en dénigrant la qualité de cette forme « massive » pour en dénoncer la médiocrité.
Troisième acte, à venir celui-là : construction d’une nouvelle modalité élitiste dans ce nouveau contexte (on est en train de voir cela émerger mais très lentement)
Le cas du système scolaire peut très bien être analysé sous cet angle. Dans la façons dont les enseignants s’équipent personnellement en refusant l’intégration dans l’enseignement d’abord; puis la prise en main d’outils proche de ce qui fait l’autorité de l’enseignant comme le vidéoprojecteur ou le tableau blanc, et enfin la définition d’une norme d’usage comme par exemple la mise en cause de wikipédia ou du copier coller sans aller voir au delà pour réinstaller un pouvoir, mais c’est encore à venir…
L’environnement façonne notre cerveau, mais ce cerveau à aussi une origine et s’inscrit dans une dynamique, il faut tenir les trois à la fois. D’abord je viens de quelque part et j’ai un patrimoine génétique, il me faut l’assumer. Ensuite au cours de mon développement je me suis trouvé dans une variété de situations qui m’ont amené à m’adapter et donc à mettre mon cerveau en marche adaptée. Enfin il me faut maintenir ma dynamique de développement et me situer par rapport aux deux premiers paramètres. Or c’est dans ce troisième axe que se trouve probablement une des clefs de notre problème. Les élites, en fixant une norme imaginaire, s’empressent souvent de l’interdire ou de l’empécher à ceux qui n’appartiennent pas à leur cercle (rendre des cerveaux disponibles…) tout en les conservant pour trier entre ceux qui ont le droit de leur appartenir.
Mais le problème de fond c’est le métissage. Cher à des chercheurs comme Bernard Lahire ou Dominique Pasquier, ce qui fait surtout peur à l’élite c’est le métissage culturel. Car non seulement tout le monde peut désormais accéder aux mêmes sources qu’eux (le prix des livres est balayé par Internet) mais en plus ils s’aperçoivent qu’ils sont séduits par ce monde qui pourtant les met en péril. Plutôt que de s’interroger sur le bien fondé de cette évolution, il vaut mieux prendre le parti de la fustiger pour ensuite mieux refonder une nouvelle norme, il y va de la conservation du pouvoir… Mais le niveau de métissage est désormais tel qu’il est probable que ce à quoi nous assistons est beaucoup plus profond qu’on ne le pensait. S’il peut y avoir une tyrannie de la majorité chère à Hannah Arendt, il y a surtout une ouverture des cerveaux et c’est cela surtout qui fait peur.
A débattre
BD

2 Commentaires

  1. On peut être élitiste sans refuser leur place aux nouveaux médias. On peut vouloir plus de gens sachent lire en profondeur sans dénigrer les autres formes de lecture. On peut espérer qu’il y ait plus de livres dans les foyers sans y éliminer les ordinateurs.
    Le problème de l’article de Carr et des articles qui en parlent, c’est qu’ils ne se vendent qu’en réinventant une (fausse) querelle des Anciens et des Modernes. Ceux qui prennent position dans cette querelle inventée ont déjà donné raison à l’article.
    Quant à la « norme », elle est peut-être arbitraire, mais certainement pas imaginaire. A moins que ceux qui la défendent soient eux aussi imaginaires, ou bien qu’ils ne la défendent qu’en imagination…

  2. J’ai du mal avec ce genre de commentaire…
    Quelques mauvaises réactions :
    On trouve toujours des gens qui…
    Parler d’un article serait donner raison d’avance à l’auteur alors il est impossible d’écrire à propos de ce que les autres écrivent
    Non la norme peut- être imaginaire dans la mesure ou une norme est un quelque chose d’officiel et qu’ici ce n’est pas le cas, elle se construit dans l’imaginaire collectif et les représentation sociales. Par contre une norme est toujours arbitraire, car elle relève bien d’un arbitrage.
    A moins que les mots n’aient un autre sens que j’ignore… mais j’ignore de plus en plus de choses
    Bruno Devauchelle

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