Histoire de traces

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La publication du numéro 160 de la revue « communication et langage » en juin 2009 propose un dossier sur la notion de « Système d’Information (SI) ». Cette expression, souvent captée par la sphère informatique dans le monde professionnel subit pourtant des évolutions dans la compréhension qu’en ont les acteurs (Yves Chevallier, Dominique Cotte). Cette évolution fait passé l’expression de son cadre technique pour emprunter des chemins que l’anthropologie permet de mieux comprendre, ainsi que les sciences de l’information et de la communication. Pour autant cet écrit n’a pas vocation à synthétiser cette lecture, mais à emprunter à ses contributeurs le thème de la « trace » pour tenter de le « traduire » dans le contexte éducatif.
L’élaboration de la trace de l’activité humaine n’est pas nouvelle, elle pourrait même être considérée comme une des marques de ce qui fait la spécificité humaine. Ces traces ne se réduisent pas à l’écrit, mais s’inscrivent bien évidemment sous des formes multiples dans notre environnement quotidien (paysages compris). L’apprentissage scolaire est une activité qui vise justement à faire sienne les traces des autres, choisies par ceux qui les ont incorporées précédemment. Les plus importantes, souvent nommées les bases, sont celles qui s’inscrivent dans le marbre de l’imaginaire scolaire.
Les chercheurs soulignent que l’évolution des techniques permettant de générer et d’utiliser ces traces se sont très récemment développées (depuis 1940, en particulier) et que nous vivons une évolution radicale de l’importance des traces pour notre vie en société. L’histoire montre que la fabrication des traces a touhours été essentielle à la structuration des sociétés (pensons aux temples grecs, aux pyramides égyptiennes et aux amphithéatres romains, voire aux cathédrales gothiques). Autrement dit fabriquer des traces durables est un élément essentiel de nos sociétés et, avec la notion de patrimoine, a induit des comportements de conservation qui semblent de plus en plus importants.
Cependant il existe des traces beaucoup moins durables et qui pourtant structurent de plus en plus notre vie sociale. L’informatique parce qu’elle permet de générer de nombreuses traces est au coeur de l’activité humaine contemporaine. Les égyptiens inscrivaient sur des poteries cassées les traces de leurs activités fiscales, commerciales et patrimoniales (ostraka). Ces traces quasi invisibles au grand public sont pourtant de celles qui permettent de lire, au delà des traces « officielles que sont les grands sites archéologiques », le quotidien d’une partie de la population.
Lorsque je consulte mon compte Facebook, je regarde les traces de mes contemporains, au moins ceux qui ont accepté de les partager. Si jadis la difficulté de traces a réduit leur contenu à l’essentiel, la facilité de faire des traces invite de plus en plus à en commettre alors que leur utilité sociale ne semble pas essentielle. L’émergence de la question de la surveillance des traces de chacun est liée au fait que les traces que je laisse sur Internet peuvent désormais être réutilisées par ceux qui y ont accès indépendamment de celui qui les a générées, à l’instar de l’historien devant la trace d’une activité antique.
Facilité de fabrication, réutilisation par d’autres, deux phénomènes qui doivent interroger la formation que l’on donne aux jeunes. Ils entrent dans une société de traces permanentes. Les exemples se multiplient depuis plusieurs années et doivent nous inciter à la réflexion et à l’action. En inscrivant mon propos en lien avec l’histoire ancienne je souhaite d’abord rappeler que la question des traces ne doit pas se limiter à une époque récente. Elle doit aussi prendre en compte la question de la disparition de ces traces. Combien de fois n’a-t-on pas observer les limites de nos investigations historiques par la rareté des traces, quand ce n’est pas aussi (surtout pour l’histoire contemporaine) la variabilité des témoignages (autrement dit la source des traces).
Apprendre à lire et à écrire dans un monde dans lequel les TIC sont devenues banales c’est être en mesure de s’interroger sur les traces, celles qu’on laisse et celles qu’on observe. Le fait que des systèmes techniques se substituent progressivement à des choix humains dans ces  processus (la machine génère des traces qui se superposent à celle que le sujet élabore volontairement) doit alerter les éducateurs et les inviter à faire réfléchir ceux dont ils ont la charge d’éducation. Le premier impératif est de situer son propre rapport à la trace, et par là même à la mémoire : qu’est-ce que je fais dans mon quotidien par rapport aux traces ? Quels sens expriment ces activités ? Lorsque je remplis mon album photo en ligne, ou sur papier, lorsque je choisis de les montrer, qu’est-ce que cela indique de mon rapport à la trace.
On le voit la question de la trace est de plus en plus importante comme aussi le rappelle dans cette même revue Brigitte Juaanals à propos de la nouvelle gouvernance des populations qui est en train de se construire du fait des TIC. Avec l’arrivée des ENT (les SI de l’école ?) il va être absolument nécessaire d’y réfléchir.
A débattre
BD

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