Quand la télévision va disparaître….

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L’enquête sur les pratiques culturelles des Français récemment publiée permet de s’interroger de manière « spectaculaire » à partir de données dont les auteurs ont signalé qu’il fallait les prendre avec précaution, souci méthodologique légitime. La richesse du matériaux et la qualité des analyses permettent de poser des hypothèses sur ce que pourrait être le devenir de ces pratiques. Les auteurs à nouveau nous invitent à poursuivre le travail ce qui, dans cet univers de la recherche, doit aussi être signalé et salué car ouvrant des horizons. Pour le monde scolaire, cette enquête est un outil précieux pour tenter de démêler les fils de l’écheveau de l’évolution actuelle de la population, en particulier parce que le plan  culturel a directement à voir avec les apprentissages scolaires. Parmi ces hypothèses que l’on peut commencer à explorer quelques une retiennent mon attention, et son formulées ici de manière provocatrice en vue d’engager le débat
1 – La télévision va disparaître en tant que vecteur audiovisuel à flux continu
2 – Internet est un outil de pouvoir, comme le livre l’a été pendant plusieurs siècle
3 – La génération des « nés avec » est en train d’émerger, la quatrième génération médiatique
4 – La place de l’école dans l’évolution des pratiques culturelles doit être questionnée.
Si on les examine une à une on peut dégager des axes d’attention et de questionnement en particulier sur les conséquences possibles à terme de ces évolutions culturelles.
1 – Si l’on regarde l’évolution des chiffres d’usage d’Internet par la population jeune (15-24) et l’évolution de l’offre, on peut penser que la diffusion en flux continu va disparaître au profit d’une diffusion en flux choisis. D’une part les jeunes utilisateurs semblent supporter de moins en moins une offre dont ils ne dominent que les deux extrêmes le début et la fin. Certes ils ont visité le zapping, mais cela n’améliore pas vraiment les choses. En effet même avec le zapping il faut supporter le dictat de l’émetteur. Avec la mise en ligne de plus en plus fréquente des émissions de télévision, il est de plus en plus souvent possible de se constituer des choix de programmes personnalisés à voir au moment et parfois même avec le support de son choix, en tout lieu… Ainsi l’offre et la demande convergent. On peut se poser ici la question de la transposition d’une telle pratique dans un monde en flux continu : celui de l’école avec cela en moins que le début et la fin sont en plus indépendant de l’enfant…
La disparition de la télévision en flux continu risque de marquer un changement radical dans les pratiques, mais aussi dans l’offre. D’ailleurs celle-ci est déjà en train de s’organiser pour être présente au moment du basculement, et certains acteurs des médias en rêve. Restera l’incompressible : le direct qui ne s’entend que dans une unité continue de temps…
2 – L’observation de la corrélation entre CSP est pratiques culturelles amène à penser que les classes dominantes de la société sont en train de prendre le pouvoir sur Internet et ainsi de garder le leadership intellectuel, culturel. Cette analyse est confortée par l’opposition avec les classes défavorisées qui sont d’abord les plus grosses consommatrices des médias de flux. L’hypothèse est que les médias de choix sont plutôt colonisés par les groupes sociaux favorisés et que les autres catégories sociales sont victime d’une sorte de discrimination choisie insidieusement. L’évolution constatée dans les analyses de cette enquête met en évidence ce fait. Si l’on regarde les consommations de livre et de bibliothèques au cours de l’histoire on s’aperçoit que l’on passe d’une domination par les livres et l’écrit, à une domination par l’interaction en ligne. Il faut transposer cela dans le monde scolaire pour s’apercevoir que les réussites scolaires passées ont été fortement marquées par la présence des livres dans les familles. Les catégories favorisées (les enseignants y compris), promptes à refuser l’intrusion d’Internet dans les écoles, sont les premières à l’utiliser en dehors. Comme si l’intrusion dans l’école risquait d’ôter la longueur d’avance acquise sur ce support. Une analyse des rapports nord sud donne à peu près les mêmes résultats. Si l’école veut s’en emparer, il en est encore temps, et même davantage cela est indispensable si l’on croit à une écologie du social…
3 – Contrairement au discours médiatique, la génération des nés avec n’est pas encore arrivée, mais elle émerge lentement. En France c’est à partir de 2002 que le phénomène d’équipement devient significatif. Autrement dit la génération des nés avec n’arrive pas encore au delà de l’âge de 5 ou 6 ans. Tous les propos sur la présence de cette génération ne sont peut-être qu’une agitation ayant pour but de mettre en garde, voire de manipuler les foules… On ne pourra réellement parler de génération C ou nés avec que lorsque la quasi totalité d’une tranche d’âge, toutes positions sociales confondues, aura vécu dans un tel environnement et pas seulement les plus favorisés. L’intérêt de cette hypothèse est qu’elle suppose qu’il y aune stabilisation des rapports que l’ensemble du corps social peut entretenir avec ces objets. C’est comme si l’on analysait l’impact social de l’école sur l’ensemble d’une génération alors que seulement 20% y auraient accès. On se retrouve actuellement encore dans ce contexte, même s’il évolue vite, mais une année c’est une année et le temps ne s’accélère pas par la seule volonté de la parole…
4 – L’école est-elle encore en mesure de peser sur les pratiques culturelles ? Quelle qu’en soit l’intention et la forme, elle le fait, parfois même à son insu. N’entend on pas parfois dire que l’école freine le désir de lire des jeunes ? L’école continue donc de jouer un rôle primordial. Mais la question est celle de l’intention du monde scolaire en regard de ces pratiques culturelles. Certains politiques pourraient aisément penser qu’il ne s’agit, à l’école que de faire acquérir des techniques, en particulier à ceux qui ont des capacités manuelles et peu de capacités intellectuelles (selon une théorie politique et anthropologique bien particulière). L’école est désormais, depuis la massification, un lieu commun à toutes les classes, même si la réalité de l’observation des établissements montre bien que si le lieu est institutionnellement commun, son peuplement est loin de l’être et que cela à des conséquences graves sur le développement possible des pratiques culturelles. La place données aux TIC et surtout à leurs usages est un indicateur fort de la volonté de l’école de s’immiscer dans le développement des pratiques culturelles. Pour l’instant on n’en est encore très loin, tant la dimension culturelle des TIC est éloignée de la culture de la majorité des enseignants (témoignages recueillis régulièrement). Reste aux décideurs à choisir le sens de l’action.
Un jour la télévision de flux laissera la place au choix de la culture audiovisuel et semble-t-il bien au delà. Encore faudra-t-il apprendre à choisir. Malheureusement un des manques  les plus graves de l’école actuelle est son inaptitude à éduquer aux choix, et même à proposer des choix. Certes un discours habiles maquille bien les choses, la réalité sociologique mérite qu’on y regarde de plus près. Le développement de contenus aux choix peut être le moyen de penser ce que serait réellement une éducation aux choix et qui avant de s’atteler à celui du métier (lien avec l’orientation scolaire), s’attèlerait à donner vraiment à chaque élève le moyen de choisir les contenus auxquels il accède avec les outils intellectuels adéquats pour y accéder… et il y a du travail
A suivre et à débattre
BD

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