Vous avez dit "pronétaire"

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La réputation de spécialiste des TIC de Joel de Rosnay n’est plus à faire, même si elle est parfois contestée. Celle de Carlo Revelli est en construction pour tous ceux qui ne sont pas encore sur le chemin de la « veille informationnelle ». Ces à ces deux auteurs que l’on doit ce néologisme « pronectaire » dont l’origine est transparente à tous ceux qui connaissent l’histoire du développement de la société industrielle (Joel de Rosnay, avec la coll de Carlo Revelli, La révolte du pronétariat, Des mass média aux média des masses, transversales, Fayard, Paris 2006.).

La médiatisation des deux ouvrages de J de Rosnay, « le Macroscope (1975) et l’homme symbiotique(1995) et le rôle de celui-ci à la cité des sciences, ont assis une réputation d’analyste, voire de prospectiviste.

L’ouvrage publié se situe donc dans la suite des deux précédents, utilisant le même procédé littéraire de couverture qui consiste à trouver un mot « charnière », c’est à dire un mot qui invite à ouvrir la porte, à tourner les pages. Cette fois ci la proximité du mot « pronétariat » avec son illustre prédécesseur « prolétariat » interroe le lecteur qui peut s’attendre à une analyse de la lutte des classes à la lumière du développement des médias. Même si l’intention est bien celle-là, la lecture de l’ouvrage montre qu’il s’agit d’un potentiel et non encore d’une réalité d’aujourd’hui. Autrement dit les auteurs montrent, à partir de l’analyse des développements les plus avancés d’Internet et de ses pratiques, qu’il y a actuellement les prémisses d’une prise de pouvoir par les masses qui agissent sur Internet. Cette prise de pouvoir se ferait selon le modèle historique cher à Feuerbach puis à Marx : pour sortir de leur « esclavage moderne » le peuple écrasé par les « mass médias » qui innondent leur esprit de prêt à penser, s’emparent d’un outil nouveau pour prendre le pouvoir « informationnel et communicationnel ». C’est en s’appuyant sur l’observation de l’importance grandissante de la voix de chacun de ceux qui s’expriment sur Internet que le raisonnement des auteurs et construit. Ils y voient les ferments d’une révolution, qui certes serait douce mais n’en serait pas moins un changement radical dans le société.

Permettons nous d’apporter ici une première critique en disant qu’une analyse sociologique des acteurs appelés ici – injustement selon moi – « pronétariens » montre que ceux dont il est actuellement question ce sont ceux qui effectivement ont effectué les révolutions : la bourgeoisie qui souhaite le départ de l’aristocratie et qui a besoin du peuple pour y arriver et prendre le pouvoir. Et ici les auteurs nous montrent que les bourgeois du web mettent actuellement en place les outils nécessaires à cette lutte contre les aristocrates des grands médias et des grands capitaux. Le seul problème est qu’il reste à convaincre le peuple de se révolter… et l’on n’en est pas encore là, mais on peut penser que c’est la thèse souterraine de l’ouvrage. Décrivant avec force détails toutes les pistes ouvertes et allant dans ce sens, les auteurs « positivent » cette révolution, qui serait douce (rérérence à Patrick Viveret par exemple) et qui réconcilierait les partis. En fait les auteurs oublient de parler de ce « peuple », les vrais pronétariens et c’est ce qui manque principalement à leur analyse pour aller au bout de sa logique.

La lecture de cet ouvrage permettra à chacun de faire « un état de l’art » des pratiques du web en court de développement et des conséquences possibles. A ce titre il s’agit d’un assemblage habile et intéressant qui tente de proposer un regard sur une variété importante d’expériences actuelles.

– On déplorera que trois passages sur l’éducation et l’enseignement soient aussi maltraités. Expédiés en quelques lignes comme des évidences ces passages rappellent cette évidence pourtant si souvent décriée de la place de l’école dans ce développement. La méconnaissance des auteurs du milieu de l’enseignement apparaît nettement dans ces propos (on pourrait malheureusement le dire de beaucoup de personnes qui s’arrogent le droit de parler de l’enseignement primaire et secondaire alors qu’il en sont très éloignés, et parmi eux certains enseignants d’université en font partie). Ainsi à propos de la recherche d’information sur Internet (p.108-112, puis bizarrement plus loin p.162-164) on lit des analyses et des conseils qui sont travaillés depuis plus de cinq années dans les formations d’enseignants et dans les centre de documentation des établissements scolaires.

– Les références à Ignacio Ramonet et Daniel Schneidermann prises dans cet ouvrage sont corollaires d’une position de défiance à l’égard du « grand capital centralisateur ». Même si l’auteur s’en défend doucement, il adopte une position de défiance à l’égard d’une dérive qu’il observe : l’annonce de la mort du modèle capitaliste issu du 19è siècle industriel amène ses acteurs principaux à raidir leur position et prendre de plus en plus de pouvoir sur les mass médias (rachat de la presse par des groupes industriels divers) pour mieux contrôler le peuple. Il se situe donc du coté de la « bourgeoisie » visionnaire qui a choisi le camp du peuple…

– Observons aussi que cette ouvrage est « fouilli ». La lassitude peut prendre le lecteur quand il a l’impression de relire (cf information) à plusieurs endroits des choses proches ou d’avoir des reprises de thèmes ou encore des surcharges d’exemples trop rapidement évoqués. On observera que le nombre d’autoréférences est à peu près égal aux alloréférences, la greffe aurait trop bien pris… que l’on oublie le donneur au profit du receveur, mais au delà de ce propos de dérision, saluons la richesse et la variété des informations contenues dans un livre aisément accessible à tout lecteur.

Il me semble nécessaire de terminer cette analyse en saluant simplement l’intérêt qu’il y a à se questionner à propos de ce passage des mass média aux média des masses.C’est le coeur de l’ouvrage et au delà de l’analyse qui est proposé, ce sont surtout les faits présentés qui doivent interroger l’ensemble de la planète enseignement. En effet, cet ouvrage contient un ensemble de vraies raisons d’intégrer Internet dans l’école. Pas de bonnes raisons, mais de vraies, car il va s’agir de se positionner dans cette lutte. C’est là qu’il faut savoir prendre parti : faut-il subtilement détourner le média des masses pour le faire redevenir un média de masse ? Faut-il faire l’inverse et encourager un mouvement d’insurrection virtuel ? Faut il regarder la scène qui se déroule sous nos yeux ? A la réponse que chacun de nous portera, aux choix qu’il fera, suivront les engagement de terrains, c’est à dire les actions concrètes dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement

A lire

BD

1 Commentaire

  1. Je partage ton point de vue sur le livre, Bruno. J’aime surtout ton analogie concernant le fait «qu’il reste à convaincre le peuple de se révolter…» pour «que les bourgeois du web» succèdent aux «aristocrates des grands médias et des grands capitaux».

    Mon avis sur ce point est que l’écart ira en s’agrandissant entre les gens pour qui le Web est d’une totale insignifiance vs ceux qui lui accordent une certaine crédibilité. Ce sera pire encore dans les écoles. Deux solitudes presque condamnées à suivre des trajectoires qui les éloignent les uns des autres…

    Mais (parce qu’il y a toujours un «mais») je compte beaucoup sur la jeunesse. Les «digital kids» sauront faire la part des choses… avec ou sans le concours de l’école!

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