Vous avez dit distance ?

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Dans la circulaire  NOR : MENH1303000C circulaire n° 2013-019 du 4-2-2013, sur les obligations de service des enseignants on peut lire le passage suivant :
« Dix-huit heures  seront consacrées à l’animation pédagogique et à des actions de formation continue. Les actions de formation continue doivent représenter au moins la moitié des dix-huit heures et être, pour tout ou partie, consacrées à des sessions de formation à distance, sur des supports numériques  »
La lecture de la loi sur la refondation de l’école enrichit la compréhension de ce passage en développant à plusieurs reprises l’idée d’un service, de ressources, de supports, de dispositifs, de formation numérique. Mais il reste une inconnue de taille. De quoi parle-t-on quand on parle de « formation à distance sur des supports numériques » ? Il semble en effet que dans le maquis des évolutions actuelles des dispositifs d’enseignement intégrant le numérique (e-learning ! diraient certains) la variété des dispositifs proposés révèle qu’il est désormais indispensable de préciser clairement ce que l’on met derrière une expression du type « mettre de la distance dans l’enseignement ou la formation ». Quelques exemples vont illustrer cela et mettre en évidence l’idée qu’une Véritable Ingénierie Pédagogique doit être menée pour répondre à de telles questions.
Dès le début des développements du réseau Internet pour l’enseignement à distance, on a vu apparaître le syndrome « PDF ». Faire de la FAD, c’est mettre des contenus textuels en ligne. Très rapidement, les souvenirs de l’Enseignement Assisté par Ordinateur (EAO) ont enrichi ces documents, simple transposition du papier, par des exercices informatisés. Ainsi on avait bonne conscience par ce qu’il y avait un entraînement possible de celui qui apprend et en plus la possibilité de l’évaluer. Evidemment ces deux perspectives se sont vite trouvées mises en cause et trois enrichissements se sont développés : en premier lieu, nommé FOAD, le O signifiant ouverture, on renonçait au tout à distance ou au tout en présence. Ouvrir une formation c’était mixer les systèmes (aujourd’hui le terme hybride reprend une partie de cette problématique). En second lieu est apparu le tutorat, mis en place pour offrir à celui qui apprend la possibilité d’un interlocuteur pouvant le soutenir dans ses apprentissages ou tout au moins, dans sa trajectoire. Enfin est apparu l’option du travail de groupe, renommé collectif ou collaboratif, basé sur l’idée que l’on apprend dans l’interaction, en particulier avec les pairs. D’autres évolutions existent, visioconférence, plateformes sociales, mobile learning, serious games etc… Mais elles ne marquent pas de la même manière le paysage de la formation à distance. Sur la base de ces évolutions et en les mélangeant, on peut désormais imaginer de nombreuses formes de formation à distance. Mais au vu de cette variété de possibles (et des conséquences que certaines ont sur l’apprentissage, comme le montre la recherche Hysup) on peut s’interroger sur ce qui est sous jacent à des propositions de développement de la formation à distance.
Dès la remise au gout du jour de la formation à distance du fait des technologies numériques, les discours tenus ont embarqué des rêves, des illusions, des désillusions. Au premier rang de ces discours, celui qui porte sur l’économie que permet de réaliser ce type de dispositif. On a pu aussi entendre des discours sur l’efficacité lié au plurimédia (allusion au plurisensoriel). On a aussi entendu des discours sur l’automatisation et la systématisation de l’apprentissage… Encore maintenant on retrouve ces exemples au travers des discours sur les MOOC ou sur l’enseignement inversé. Après avoir mis les PDF, on met les vidéos en ligne… L’un des arguments clés de ce passage aux vidéos est le formidable développement de plateformes de partage et de diffusion de vidéos. On retrouve là de nombreux aspects de ce que l’on a connu depuis plusieurs années. On le sait, dans le domaine du numérique, on bégaye beaucoup et l’amnésie est monnaie courante. On ne sait jamais vous dira-t-on avec cette nouvelle technologie, les choses ne sont pas comme avant, sous entendu, on peut recommencer ce qui a été fait en vain…
On le voit cette approche très technicienne est largement insuffisante. Il faut donc enrichir le questionnement sur plusieurs dimensions : les contextes de l’apprentissage, l’ingénierie pédagogique, les théories de l’apprentissage, la culture des personnes concernée etc… En fait élaborer un dispositif qui permet d’apprendre (nous ne parlons pas de dispositif d’enseignement uniquement), en présence et/ou à distance suppose un véritable travail d’analyse et de conception qui ne peut se limiter à l’application d’un modèle industriel. En effet le modèle scolaire et le modèle universitaires ont l’avantage d’être une forme, ancienne, d’industrialisation de l’enseignement. Ils ont fait économiquement leur preuve… Mais alors d’où vient cette impérieuse injonction à mettre de la formation à distance ? En l’absence de réponse explicite, on renvoie à l’imaginaire collectif pour se rendre compte que l’on retrouve les vieux rêves d’antan liés à une forme nouvelle de mécanisation de l’enseignement. Le travail d’élaboration que nous préconisons s’oppose à une vision jacobine, centralisatrice et normative qui semble être sous jacente. Quand Condorcet évoque le manuel scolaire comme vecteur central de l’enseignement, il ne fait rien d’autre que d’introduire de la distance dans la formation des enseignants. D’ailleurs aujourd’hui encore, quand on regarde la place du manuel scolaire dans la vie de l’enseignant, on mesure sa force d’imposition dans le quotidien. L’envahissement du numérique par l’autorité ministérielle relève probablement de la même logique. Il faut pouvoir diffuser la même formation en s’affranchissant des contraintes du local. Cette tentative repose aussi sur le constat de la diversification des sources. Les enseignants vont de plus en plus voir ailleurs que dans les relais institutionnels. Certains même trouvent en ligne des ressources « clandestines » pour leur formation, est-ce concevable dans la vision actuelle de nos dirigeants ? Probablement pas, et plusieurs projets actuels semblent le montrer. Reprendre la main sur ces dérives est bine une préoccupation du prescripteur. Cela se fait au nom d’intentions louables : égalité, coût, lutte contre l’individualisme et la concurrence. Mais en faisant cela, compte tenu des contextes de pratiques du numérique, le risque d’échec est grand, tant se développent les pratiques non cadrées, jusque dans le coeur de l’enseignement et de la formation.
Le rêve de la formation à distance des enseignants doit être réfléchi. Des injonctions de surface ne remplaceront pas l’importance de penser ce que le monde académique entend faire de ces pratiques que certains qualifient de sauvages, car elles ne sont pas sous contrôle. pour l’instant l’état tient le monopole, mais pour combien de temps encore ?
A débattre
BD

1 Commentaire

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  1. Bonjour Bruno,
    et merci pour cette réflexion … Encore une fois, ‘on’ s’intéresse au moyen avant de définir la finalité d’une action ! « Il faut pouvoir diffuser la même formation en s’affranchissant des contraintes du local », j’ai bien peur que les auteurs de ce texte n’aient pas beaucoup de connaissances sur ce qu’est réellement la formation à distance, comme vous le présentez si bien !
    Bonne continuation

  1. […] Vous avez dit distance […]

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