Dehors, autour, dedans : quelle place du numérique dans l'éducation ?

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A plusieurs reprise, récemment on a pu constater que l’introduction du numérique en éducation et en particulier dans le monde scolaire repose sur une pluralité d’acteurs, de situations, d’organisations qui finalement ont souvent une efficacité relative. Rassemblés autour d’une table officielle pour discuter de ces questions on repère différents types d’acteurs qui sont plus ou moins éloigné du coeur de l’action, mais surtout qui ont des difficultés à prendre en compte les problématiques au delà de leur propre sphère. Or souvent ceux qui prennent les décisions ne sont pas toujours très au clair avec le fonctionnement interne des lieux éducatifs dans ce qu’ils ont de plus intime, la salle de travail, et en particulier les relations entre les acteurs qui y sont rassemblés autour d’un objectif large : instruire, mais surtout éduquer.
Le dedans de l’éducation, c’est, par exemple, l’intimité de la salle de classe, du bureau du CPE etc… Ce dedans est bien souvent une boite noire. Non pas qu’il soit impossible d’y entrer et d’observer ce qui s’y passe, mais les codes sociaux font que chacun entretien une certaine étanchéité sur ce dedans. Ainsi lorsque l’on constate l’écart entre les pratiques numériques déclarées par les enseignants et celles observées  par les élèves, on peut se questionner. De même le niveau d’usage ordinaire des TIC en classe reste suffisamment modeste et l’on n’a pas vraiment d’explications analysées sur le fond.
Le autour de l’éducation c’est la manière dont sont déployés, autour de la salle de classe, des dispositifs numériques de toutes natures qui tentent d’influencer les pratiques, certains pensant même que le numérique pourrait, à lui seul, transformer la pédagogie. Logiciels de vie scolaire, de gestion des notes, cahier de texte numérique ou ENT illustrent parfaitement cet autour. Au sein de l’établissement d’ailleurs, on remarque qu’entre l’enseignant et les personnes qui gravitent autour de la classe, les relations ne sont pas simples : liens difficiles avec les services informatiques, difficulté même de relation entre enseignants et enseignants documentalistes, ou encore avec les CPE et autres personnels d’éducation… Les gens qui sont autour sont en quelques sortes tenus à distance et se tiennent aussi eux-mêmes à bonne distance de l’espace dedans. Le autour c’est aussi les structures périphériques de l’éducation nationale, rectorat, crdp, etc… Ces structures peuvent légalement passer dedans, mais avec précaution. Les relations sont d’ailleurs parfois tendues avec ce deuxième cercle de l’autour qui tente parfois d’être prescripteur pour le dedans.
Le dehors c’est l’ensemble des acteurs qui, hors les murs de l’école agissent à propos du numérique pédagogique et éducatif. Collectivités territoriales, familles, médias, constructeurs et éditeurs de logiciels etc… Tous ont des intérêts envers l’éducation et en particulier le système scolaire mais pour des raisons souvent différentes. Le dehors parvient souvent à bousculer le dedans, parfois même en se passant du autour. Une dotation de matériel aux établissement, la promotion médiatique de telle ou telle technologie avec un discours d’accompagnement sur les bienfaits pédagogiques, des pressions plus ou moins fortes sur les nécessités de l’utiliser, autant de manières d’agir qui sont souvent ignorantes des conséquences de telles injonctions. La volonté externe de faire avancer le dedans est souvent accompagné d’une sorte de déni de ce qu’est ce dedans ou tout au moins, à défaut de déni, accompagné d’un imaginaire du dedans qui n’a pas toujours à voir avec le réel. Sachant que de plus chacun, dehors, dedans, autour, revendique la légitimité de sa vision, il est parfois surprenant de voir que derrière ces rapprochements physiques autour de projets communs, il y a d’abord un travail d’analyse des distances et donc des possibilités de rapprochement, voire des nécessités d’aller au delà de proximités de surface.
En d’autres termes nombre de projets numériques qui associent les trois lieux révèlent cette difficulté de compréhension mutuelle, réciproque mais surtout systémique. L’impression, pour l’observateur, est celle d’une sorte de grand écart entre des discours de rapprochement et le sentiment d’une étanchéité à plusieurs niveaux. Cette étanchéité s’appuie d’abord sur la méconnaissance, puis sur la méfiance et enfin sur le pouvoir. La méconnaissance, bien que relative, s’exprime par exemple au travers de dotations étonnantes de collectivités envers des établissements par exemple : deux tablettes par établissement et on verra !!! Relative car chacun à une représentation empirique de l’autre. Méfiance, car l’expérience antérieure à souvent révélé que chacun « roule pour sa chapelle » et qu’avant d’accepter l’autre il faut le mesurer… Pouvoir enfin car derrière des interventions des uns et des autres, du lieu ou ils parlent, il y a aussi la préservation de son espace de pouvoir quand ce n’est pas simplement l’ambition de prendre le pouvoir sur l’autre. Cela peut aller jusqu’à certaines formes mentales liées à l’idée de persécution… Mais bien sûr chacun nous dira que cela n’est pas vrai, dès lors qu’on va le lui demander explicitement, alors que l’on sent bien que des tensions existent.
Entre les extérieurs, collectivités, médias grand public, les périphériques, inspections, formateurs, et les intérieurs, enseignants éducateurs, élèves, des frontières sont en train de devenir poreuses. Le numérique rend possible des visibilités nouvelles, des relations a-hiérarchiques, des espaces communs de confrontation nouveaux. Nous vivons, avec l’introduction du numérique dans l’école, un moment fort du découpage décisionnel et organisationnel. La loi de décentralisation de 1983, relayée dernièrement par ces nouveaux articles de la loi qui est en train d’être examinée au parlement pour le numérique et l’école, entre autres, redistribue les cartes antérieures. Le numérique pose des problèmes difficiles à résoudre sans de nouveaux positionnements. Chacun rêve d’une forme de jacobinisme qui l’arrangerait bien. Les porosités techniquement possibles seront peut-être le ferment d’une réflexion plus générale sur les interactions entre le dehors, le autour et le dedans. Si chacun ne se sent pas immédiatement menacé de là où il est, alors il est possible, qu’en confiance, des modes de fonctionnements anciens changent. C’est en tout cas à ce prix, parfois cher à payer, qu’il sera possible de faire de l’introduction du numérique dans le monde scolaire autre chose qu’une suite de plans marqués par l’écart constant entre les discours, les intentions et les réalisations
A suivre et à débattre
BD

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