Pour un droit au suicide numérique ?

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A la différence du monde du papier, le monde numérique a une capacité de traçabilité étonnante. En effet si dans le monde du papier je dois mener une action physiquement perceptible pour inscrire, reproduire et diffuser ce qui est écrit, le monde numérique se limite à la seule phase de l’inscription, et encore, est-elle souvent menacée ? Si le papier ne garde pas trace de son auteur tant que celui-ci ne s’en préoccupe pas (et ce ne sont pas les experts en graphologie qui me feront rapidement changer d’avis), le numérique identifie son auteur (réel ou virtuel) dès que possible. Tel document est sur telle machine, sur tel serveur etc… Ainsi lorsque je paramètre mon traitement de texte, lors de son installation, je peux décider qu’automatiquement tous les textes que je rédige porteront ma trace. Il n’est pas rare, quand on reçoit un document écrit avec Word par exemple, de découvrir le nom de son auteur (ou de l’installateur du logiciel) et parfois même d’autres caractéristiques qui vont affiner la connaissance que le lecteur peut avoir du contexte de production (dates de création, date de révision et parfois même versions successives…) Dans le monde du papier la relation inscriptive de l’auteur au contenu ne peut (globalement, hormis si les moines copistes s’en mêlent)se faire à l’insu de celui-ci. En effet s’il veut que sa trace soit associée au contenu il faut, soit qu’il l’inscrive lui même dans le corps du document, soit qu’il passe par un des acteurs de la chaîne de diffusion qui se chargera de cela. Même si le papier ne permet pas de garantir totalement l’auteur, il peut au moins garantir l’anonymat…

Avec le numérique il en va tout autrement et de récentes évolution nous questionnent : le développement de la carte santé, le développement de l’impôt sur le revenu en ligne, le développement des e-portfolio, le développement des puces RFID (cf le livre de Michel Alberganti)….

Les pratiques en ligne, volontaires ou non sont désormais traçable à l’insu même de leur auteur. non seulement elles sont traçables mais elles sont reproductibles et diffusables sans que l’auteur puisse en avoir une quelconque maîtrise. Dès lors que ce message est mis sur Internet, il va commencer sa vie propre sans que je n’ai la moindre possiblité d’interférer avec ce devenir, ni même de le suivre. Les dénonciateurs des atteintes à la vie privé et à la liberté ont là un bel objet de travail. Dans une période d’enthousiasme technologique, de crainte sécuritaire, de reconfiguration sociale identitaire, le niveau d’acceptation de ces technologies est très élevé. Non seulement les gens l’acceptent, mais ils l’acceptent d’autant mieux qu’ils l’ignorent totalement. Dès lors que mon action a pris une forme numérique, elle mène une vie virtuelle propre et totalement indépendante de moi. C’est alors qu’entrent en jeu les « traitements de l’information ». pour diverses raisons, avouées ou non, valables ou non, les systèmes de duplication, d’extraction, de classement, de modification éventuellement vont se mettre à l’oeuvre. Un exemple simple permet de le percevoir lorsque je fais une recherche sur Google avec mon nom. Je vois remonter un grand nombre d’informations qui sont la preuve de ce repérage, ce classement, ce tri, cette extraction, cette transformation (le résumé…) et éventuellement le rapprochement avec d’autres données qui ne sont pas de mon fait. Le moteur de recherche est en réalité une formidable machine à traiter l’information (allant évidemment jusqu’à la dupliquer et garde une trace antérieure (cf « en cache »)


Comme nous venons de le voir, la multiplication des traitements de l’information dépossède en quelque sorte « l’auteur »(pris au sens large) de son bien, ce qu’il a produit. C’est pourquoi il me parait important de questionner l’ensemble des acteurs de notre société à partir de ce qui peut sembler une provocation : « le droit au suicide numérique ». Le développement de l’identifiant unique, en cours de normalisation, permettra (espérons-le) probablement d’imposer à tous les manipulateurs d’information une plus grande transparence sur le devenir de nos actions numériques. Il pourrait même autoriser quelqu’un à « disparaître numériquement » autrement dit à redevenir un simple « être humain » libre. L’insouciance actuelle face à cette dérive est trop irresponsable. Il me semble qu’il est nécessaire de s’arrêter quelques instants sur ces questions d’autant plus importantes que ceux qui initient ces technologies sont sollicités par des instances politiques qui pourraient avoir d’inquiétants projets.

Le « suicide numérique » n’est pas un projet utopique, c’est une volonté d’imposer un débat pour permettre à chacun de prendre conscience de la place nouvelle qu’il est en train de se construire, grace ou à cause des TIC, et en ne le sachant pas toujours….

A débattre

BD

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