Un nouveau pas vers la "numéritie"

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Dans un texte précédent, j’évoquais le concept de numéritie défini comme « l’ensemble des compétences et des connaissances réfléchies nécessaires pour évoluer dans une société qui intégre à un niveau de plus en plus élevé les technologies fondées sur le numérique ». Suite à ce texte, mon collègue de travail Nicolas Lacoste m’a demandé de préciser quelques éléments, ce que je commence à faire ici.

Plusieurs remarques méritent d’être faites ici pour enrichir le distinguer le concept

1 – Aller au-delà de la lecture, de l’analyse des vecteurs et de l’esprit critique

A la lecture d’un document récent sur la littératie et publié dans les éducaguides suisse par le CTIE(Lire, écrire, nouveaux médias Comment les TIC peuvent-elles être judicieusement associées à l’encouragement des langues ? – http://www.educaguides.ch/dyn/20112.php), il semble que certains soient tentés d’élargir le concept de littératie aux médias (et donc… à Internet). La lecture de ce texte amène à penser que s’il est nécessaire d’intégrer les écrans comme surface amenant à questionner la littératie (centrée sur l’écrit), cela est insuffisant pour rendre compte de l’ensemble de la question de l’impact du numérique sur l’être humain. C’est pourquoi le terme numéritie se situe dans la complémentarité avec celui de littéracie, mais s’en distingue du fait de l’intégration de nouvelles dimensions (entre autres psychosociologiques) dans l’espace social du fait du développement rapide des moyens d’information et de communication basés sur le numérique. A cette première distinction s’ajoute celle qui a trait à l’esprit critique. Dans le langage commun l’esprit critique se résume très souvent à l’idée que je suis capable de mettre à distance ce qui m’entoure, d’en faire une analyse et de me positionner à partir de là. L’esprit critique Voltairien suppose lui l’implication sociale. Or ce passage à l’action caractérise le potentiel, traditionnellement confié à des élites de diffuser partout ses propres analyses, qui est désormais ouvert à tous. La possibilité de prise de parole suppose donc de dépasser le traditionnel esprit critique, considéré comme mise à distance, pour passer à un esprit critique basé sur la tension analyse/action/implication.

2 – Quelques principes structurant le concept de numéritie

Pour parler de numéritie, il nous faut nécessairement prendre en compte les approches anthropologiques, les approches informatiques, les approches philosophiques, les approches psychologiques. On peut considérer en quelques sortes que le concept de numéritie appartient au champ des « sciences cognitives » dans la mesure ou il relève de l’étude de phénomènes qui interviennent au croisement de l’activité humaine et de l’environnement de son développement potentiel.

3 – Pour préciser quelques éléments des plus signifiants

Les trois éléments constitutifs de la numéritie sont la dimension technique, la dimension usuelle et la dimension culturelle. Indissociables les uns des autres ces éléments sont appelés à s’articuler à tous les niveaux de compétence. Il faut ajouter en transversalité de ces éléments la dimension de régulation qui s’appuie aussi sur le juridique et le politique.

La dimension technique est à la base dans la mesure où elle rend possible, bien au delà du fonctionnement humain, des performances de flux et de traitement de signal. Si nous considérons tout développement technologique comme « l’amplification » de la capacité humaine nous assistons avec le développement des technologies de l’information et de la communication à un saut important tant sur le plan quantitatif (loi de More (?) par exemple) que sur le plan qualitatif (modèle sécurisé de transfert d’informations basé sur le binaire) La dimension usuelle est celle qui permet la transformation du technique par son passage dans le social. En rendant de plus en plus aisée l’appropriation, des technologies des pratiques usuelles se développent et traversent, traduites, toutes les strates de la société. Développées sous la contrainte ou librement adaptées ces pratiques témoignent de la possibilité réelle de la technique. La dimension culturelle est émergente en cela qu’il est encore actuellement trop tôt pour la mesurer réellement. Cependant elle apparaît progressivement dans de nombreux contextes. Emergente aussi en cela que le développement actuel des pratiques est tellement mouvant qu’il est difficile , voire impossible, de stabiliser de telles évolutions dans un cadre culturel stable. L’impact perceptible de cette évolution dans les dimensions usuelles et techniques ne peut donc s’imaginer sans la dimension culturelle. Si nous considérons l’approche culturelle comme la capacité des humains à « réfléchir » leurs pratiques en la mettant en forme de manière structures, on voit émerger progressivement cette culture numérique en particulier dans l’étude des représentations sociales qui se construisent actuellement dans ce domaine.

Comme nous l’avons indiqué plus haut, la régulation est partie prenante de ces développements. Qu’elle s’appelle norme, loi, mode, … la régulation est un des éléments structurants d’une évolution parce qu’elle inscrit dans un temps fixe ce qui relève d’un mouvement. Elément de stabilisation, mais aussi de réification, la régulation rend possible, à l’instar de la culture, la mise à distance et donc la possibilité même d’un esprit critique.

4 – Commencer à élaborer un référentiel pour la numéritie

Il est encore probablement trop tôt pour figer un tel référentiel tant les évolutions sont nombreuses et inégalement réparties selon les régions et les peuples. Toutefois, se lancer dans un tel projet c’est aussi avoir l’ambition de proposer un « objet » de réflexion et de débat, donc une base de savoir nouveau pour en faire émerger un autre.

Nous avons commencé à identifier des entrées possibles pour un référentiel. Voici les principales :

1 Le développement de contextes numériques articulant technique, contexte et pratique sociale

            * Identifier dans le contexte la place et le rôle du numérique.

2 L’apprendre collectif et collaboratif en interaction avec la construction identitaire

            * Développer, à partir de son environnement, une trajectoire personnelle construite en interaction avec les ressources, humaines ou non disponibles.

3 Le vivre ensemble dans une société mondialisée basée sur une conception du bien commun

            * Construire une représentation de sa relation au monde et en expliciter les finalités et les modalités permettant d'aller dans leur sens

4 L’analyse socio-historique et ethnologique de la dialectique humain-communication

            * Identifier les modèles sous jacents de la relation humaine en intégrant les paramètres spécifiques introduits par le développement des outils d'information et de communication et leur mise en oeuvre

Plusieurs types d’attitudent caractérisent l’attitude générale face à la numéritie :

   * L'étranger : l'attitude de celui qui veut se tenir à l'écart    * Le passif : l'attitude du spectateur ou du consommateur.    * L'actif prescrit : l'attitude de celui qui agit par obligation de son milieu    * L'actif choisi : l'attitude de celui qui explore les possibles    * Le créatif : l'attitude de celui qui construit de nouvelles formes d'usage

Chacun de ces niveaux peut être décliné selon les ages et/ou les développements respectifs des personnes auxquelles on veut proposer ce référentiel. Ainsi donc on obtient une matrice en trois dimensions dont nous allons progressivement essayer de mettre en évidence différentes parties.

A suivre, à enrichir et à débattre

BD

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