Les TIC font elles le lit des bonnes vieilles méthodes ?

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Comme tous ceux qui regardent d’un peu près les questions scolaires, vous avez surement remarqué que le clan du retour aux bonnes vieilles méthodes est très virulent. En Suisse, au Québec, en France… les échanges apparaîssent à rythme régulier. Parmi le florilège de ces échanges deux récents me donnent envie de réfléchir un peu plus « N’est-ce pas à coups de craie blanche sur tableau noir que nous avons réussi à envoyer des gens sur la Lune ?! »… déclare Patric Lagacé http://lesfrancstireurs.telequebec.tv/entrevue.html. ou encore Un philosophe français (par ailleurs professeur à l’école polytechnique) qui sur le plateau de l’émission Riposte (france 5) déclare qu’il faut bouter Internet et les TIC hors de l’école car trop de savoir s’ajoute à trop de savoir… enre autres arguments.

Ce qui est intéressant dans les deux argumentaire c’est la question de la place des élites. D’une part c’est ceux qui vont dans la lune, d’autre part c’est ceux qui se passent d’Internet. Dans les deux cas la norme d’enseignement c’est l’élite. Malheureusement il n’y pas qu’elle…dans les classes !!! Il suffisait, dans les années 60 70 de passer du temps dans les classes et les amphis de fac pour se rendre compte des effets de la méthode élitiste : une sélection par « l’épuisement intellectuel ». En effet 4 heures de cours magistral, fut-il du plus brillant philosophe (et j’en ai suivi quelques uns) ne valaient jamais ces 2 heures d’échanges à quelques un avec un enseignant. Dans le premier cas le professeur avait fait son cours et quelques élèves avaient appris, dans le deuxième cas les étudianats avaient appris et le professeur ajusté ses apports à la compréhension des étudiants. Dans le cas de notre philosophe français, Internet est diabolisé. Pourquoi ? car il rajoute du trouble dans la transmission du savoir. Effectivement, il a raison, Internet est l’occasion pour l’élève d’aller plus loin que le cours, d’aller à coté du cours, voire même de contester le cours. Et c’est là que les choses se dégradent. Dès lors qu’un élève se trouve confronté à des thèses contradictoire il est toujours plus facile de ne lui donner que la thèse de l’enseignant présent plutôt que de l’amener à comprendre la différence des thèses proposées… Car Internet, outre ses débordements si connus parce que médiatisés, est avant tout un espace qui permet de poser la première pierre du débat philosophique. Malheureusement notre philosophe ne l’entend pas de cette oreille, si tant est qu’il entende ces arguments. La sanctuarisation du lieu d’enseignement est un mythe pour quiconque a enseigné ailleurs que dans les « meilleures » (???) classes. C’est justement par ce que le mausolée scolaire est en train d’éclater que la question se pose. La récente campagne publicitaire d’une officine de cours particuliers (dont les enseignants sont parfois aussi ceux de nos établissements) suite à une émission de télévision qui les « encensait » donne le signe de l’alternative à l’école : les pratiques encore plus discriminatoires qu’amène le recours à des services privés pour remédier au système scolaire…

L’écrit et le livre a été l’outil de la domination. Sa diffusion dans le grand public des premiers temps à nos jours a toujours été objet de polémique : que devient le savoir si tout le monde y accède. Internet n’échappe pas à cette polémique. Tant qu’on a pu contenir le savoir dans les livres puis dans les écoles, l’élite y a trouvé son compte. La massification a été un choc incroyable pour ces élites. Internet, qui évite soigneusement l’école dans le développement de ses usages (cf Mediappro), serait donc un miroir de la massification. Marginalisons le à l’école, pour mieux le contrôler (rassurons nous les élites fréquentes aussi assidument Internet, il suffit de lire les statistiques d’équipement) pensent certains. Ignorons le, disent leurs rétheurs, cachant soigneusement leur incompréhension du phénomène et surtout en contournant les effets par des pratiques cachées.

Internet va-t-il devenir un outil de domination ? En tout cas nous ne pouvons qu’observer que sur la planète c’est un formidable outil de contre-pouvoir. Birmanie, Chine, Corée et bien d’autres (Echelon aux USA) souhaitent surveiller, contrôler, filtrer…, voire interdire ces sources de trouble. De même nous ne pouvons qu’observer que les élites (certaines) nous invitent aussi à éviter ces sources. Faut-il pour autant faire un parallèle. Non s’il s’agit des personnes qui croient encore à la démocratie. Oui s’il s’agit de personnes qui sentent que leur position élitiste est menacée…

Quant aux enseignants, font-ils partie de l’élite ? Force est de le croire si nous croisons pratique professionnelle des TIC et discours de ces pourfendeurs. La réalité dans les établissements est beaucoup plus complexe. Même si les pratiques des TIC restent minoritaires, il faut reconnaître que les échanges entre enseignants sont souvent d’une autre nature. Malheureusement, ils sont souvent soumis aux dictats de quelques uns et pris dans les nasses des contradictions réglementaires et des moyens inadaptés.

Restent les élèves… qui adoptent souvent une attitude de mise à distance des pratiques scolaires des TIC pour se réserver pour d’autres usages… parfois beaucoup plus attrayants, mais distractifs.

A débattre

BD

3 Commentaires

  1. Avec un tel billet, voila que vous allez me forcer à prendre la défense de Finkielkraut, on aura tout vu.

    Je pense en effet que vous mésinterprétez une partie de ses propos ; si ce dernier s’en prend à la présence d’Internet dans les classes, ce n’est pas pour pester contre la subversion contestataire des savoirs circulant sur le net, mais contre la détérioration des capacités d’attention, de l’ascèse qu’exige, à un moment ou à un autre, le travail intellectuel, et le nivellement culturel qui met sur le même pied d’égalité Britney Spear et Maria Callas, Nietsche et BHL. Ou Finkelkraut.

    Il est faux de dire qu’Internet est "AVANT TOUT un espace qui permet de poser la première pierre du débat philosophique". The Internet is for porn, comme dit la chanson (http://www.youtube.com/watch?v=6... ), en tout cas le medium par lequel les marchands friands de temps de cerveau envahissent maintenant les jeunes et les abreuvent d’une junk culture industrielle, qui les empêche d’acquérir les outils intellectuels nécessaires à la conquête des postes les plus élevés (et chasse gardée des "élites").

    C’est pourquoi il me semble que l’école doit rester non pas un temple, mais un havre, qui maintient à distance certains éléments du monde (l’angoisse du chômage, la pression de la compétition, la junk-culture envahissante…) nuisibles à l’épanouissement intellectuel des jeunes.

    Cependant, à distance du monde ne veut bien sûr pas dire coupé du monde. Internet est, comme le fut le livre, l’outil d’une révolution des savoirs, et sa présence dans les écoles une nécessité, mais qui exige un accompagnement pédagogique autrement plus pointu que ce qu’est capable de faire l’Education Nationale pour l’instant.

    • Bruno Devauchelle sur 27 octobre 2007 à 16:19
    • Répondre

    Effectivement mon interprétation, mais il faut que je me repenche sur les propos tenus par Finkielkraut, peut être partielle voire partiale (il faut dire que quelques propos qu’il tient ici et là me laissent rêveur, comme par exemple ses récents propos sur le sport dans le supplément de l’Equipe…). Ceci dit, je crois qu’Internet n’est pas envahi de la même manière que celle que vous semblez indiquer (« média par lequel les marchands… ») En effet à la différence des autres médias, nous pouvons (encore) accéder à l’expression sur Internet ce qui n’est pas le cas sur les grandes chaînes commerciales dès lors que je ne suis pas un « bon client ». Il me semble que la vision qui consiste à assimiler Internet aux autres médias de diffusion, fut-il le livre ou la presse classiques, est une erreur de vue. Quant à mon « avant tout », je dirai qu’il est mal formulé. Ce n’est pas qu’il est par nature même la première pierre, mais qu’il rend bien plus accessible cette possibilité de proposer le débat philosophique qu’un autre support car il autorise ce débat ce que ne permettent pas les vecteurs traditionnels. Si je dis qu’il permet le débat philosophique, je n’ai pas dit qu’il est vecteur de philosophie. Parce qu’Internet est une autorisation de la parole, il est porteur de cette potentialité. Restent les utilisateurs d’Internet. Toute nouvelle technologie d’information et de communication attire très rapidement les instincts les plus vils de la nature humaine. C’est assez logique car le développement de nouveaux vecteurs est d’abord un espace de non-droit. Dès lors que les limites sont posées et acceptées, le cadre défini reprend alors ces droits. Peut-être qu’Internet est « prématuré » ! De plus les utilisateurs sont loin d’être aussi manipulables qu’on le pense. Surtout quand des espaces leurs sont accordés. Il suffit de regarder comment la grande majorité des jeunes a mis de l’ordre dans les chat et messageries instantanées dans leur pratique pour se rendre compte de la grande maturité dont une grande partie fait preuve (et parfois plus grande que leurs parents eux-mêmes). Enfin, d’accord avec vous pour dire que le système scolaire et universitaire français est notablement en incapacité d’accompagner cette évolution. Débat à poursuivre BD

  2. Disons que les propos de Finkielkraut ont cet avantage d’attirer l’attention vers des questions que même les professionnels des TICE ont parfois tendance à oublier, ce qui mène à des échecs regrettables (http://www.opossum.ca/guitef/arc... ) (Mais n’allez tout de même pas vous replonger dans ses propos, le masochisme a des limites !)

    Je suis d’accord avec vous pour dire que ces échecs plaident, et c’est le sens du billet de François Guité, pour une plus grande et meilleure intégration des TICE, non pour leur retrait des écoles… Vaste chantier.

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