Peut-il y avoir des compétences inutiles ?

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Pourquoi se poser cette question ? Parce que de nombreux détracteurs de l’approche par compétence pensent que celles-ci tiennent du registre de l’utilitaire ou du comportemental. Or de nombreuses compétences n’ont aucune utilité (sociale, comportementale, economique) et c’est tant mieux : malheureusement la conception qui est trop souvent véhiculée de l’approche par compétence est celle de la rentabilité (ça sert à quelque chose dans la sociét) issue du passage du terme compétence dans le monde professionnel, ou par celle de comportement, issue elle du passage par la linguistique et par la psychologie comportementaliste.

Quelles compétences peuvent être inutiles(?) ? En voici quelques exemples : celle d’écrire des poêmes, celle de réfléchir à ses croyances, celle de penser, celle de développer une culture artistique, le sens critique…, etc. La question de fond, en terme de réthorique, est la suivante : pour lutter contre l’approche par compétences, il faut enfermer celle-ci dans la définition qu’on refuse. Malheureusement cela ne tient pas dès lors que l’on regarde de près le sens que l’on peut donner au terme compétence dans une perspective anthropologiquement ouverte : mobiliser des ressources (internes et externes) pour agir dans des situations variées et complexes. Le terme agir ici recouvre aussi tous les agir considérés comme invisibles (c’est à dire non directement observables) tels que critiquer, analyser, penser, comparer… La seule question qui peut faire débat ici est celle de la « gratuité ». En effet l’idée de compétence repose sur l’idée que toute action, concrète ou abstraite, repose sur une « intention » du sujet agissant. Autrement dit tout sujet agit en s’appuyant sur une ou des finalités, explicites ou non, qui déterminent la mobilisation de ressources variées.

Il me semble que la grande crainte par rapport à la notion de compétence repose sur la question de l’évaluation. En effet, dans plusieurs rapports publiés au cours des deux ou trois dernières années l’inspection générale de l’éducation nationale a mis en évidence un problème majeur de notre système d’enseignement : il est incapable de nommer clairement les acquis des élèves. Certes chaque enseignant dira qu’il connait ses élèves et qu’il pourrait le nommer. Alors pourquoi ne pas le faire et se limiter aux sacro-saintes notes sans jamais aller jusqu’à cette explicitation de ce qu’elles désignent en terme d’acquisition des élèves ? L’approche par compétence implique de façon importante l’enseignant. Elle est donc déstabilisante pour lui. Il est légitime qu’il soit inquiet face à celle-ci. Surtout que certains de ces contempteurs pensent que, comme la pédagogie par objectifs, jadis, l’approche par compétences est d’une rationalité absolue et d’une exactitude inattaquable. Or il n’en est rien. L’approche par compétence souffre aussi de la difficulté d’évaluer, de préciser, de nommer. Même si elle est issue d’un courant rationaliste (qui est partie de la vieille europe et a été revisitée par le monde anglosaxon avant de nous revenir), elle rencontre de nouvelles limites qu’il ne faut surtout pas négliger si l’on veut calmer les débats.

  • L’approche par compétences vise d’abord à exprimer les apprentissages en termes d’acquis des élèves.
  • L’approche par compétences vise à faciliter le dialogue autour des apprentissages en explicitant les progressions des élèves dans les apprentissages
  • L’approche par compétences implique celui qui apprend. Ainsi quand on entend un élève déclarer : comment voules vous que je progresse si vous ne me précisez pas ce que je maîtrise et ce que je dois travailler.
  • L’approche par compétences n’est pas une inconnue pour les enseignants, elle est surtout une pratique insuffisamment explicitée : il suffit de prendre une copie corrigée (avec précision) par un enseignant pour se rendre compte que celui-ci est très précis dans ses analyses. Malheureusement cette copie et ce qui a précédé et suivi nous montre aussi que l’implicite est bien plus grand que l’explicité. Autrement dit nombre d’élèves découvrent après la correction les attentes de l’enseignant qu’ils n’avaient pas comprises avant… parce qu’elles n’avaient pas été dites. Nombre d’élèves oublient d’un travail à l’autre les attentes de l’enseignant parce qu’elles ne sont pas explicitées… (contrairement à ce que disent nombre d’enseignant, les élèves ont du mal à déchiffrer les attentes réelles de leurs enseignants). Ainsi donc les enseignants sont familiers de cette démarche, l’explicitation en moins mais aussi le suivi « longitudinal » de cette explicitation…

L’arrivée du socle commun de connaissances et de compétences est l’occasion d’un débat sain dans nos établissement. Malheureusement les a-priori idéologiques et irrationnels sont en train de prendre le pas des analyse rationnelles. Il va falloir encore longtemps débattre, si l’on veut que les choses avancent, quel qu’en soit le sens… On est dans le monde de l’éducation, dans lequel les changements sont toujours beaucoup plus lents que dans d’autres milieux qui n’ont pourtant pas démérité…

A débattre

BD

1 Commentaire

  1. Vous posez là une excellente question, tout comme l’analyse que vous en faites. Je partage entièrement votre point de vue sur les avantages marginaux, peu mesurables, qui découlent des compétences.

    L’une des difficultés inhérentes aux compétences est leur caractère évolutif, contrairement aux connaissances qui sont plus ponctuelles. Par conséquent, elles constituent une cible facile aux critiques qui n’y voient qu’un état d’imperfection constant.

    Je crois néanmoins qu’il y a lieu de s’inquiéter quand une surcharge de compétences nuit à l’acquisition de celles jugées plus essentielles. Votre billet m’a incité à aborder ce dernier point sur mon blogue :

    http://www.opossum.ca/guitef/arc...

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