L'argent m'a tuer…

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Le développement des TIC dans le monde actuel voit s’affronter plusieurs groupes de pression autour d’un enjeu majeur de notre devenir : « argent et liberté ». Un exemple pour illustrer cela : Denis Olivenne déclare récemment que, enfin, « tous » sont d’accord pour réglementer les téléchargements et les copies sur le web… Regardez bien qui sont les « tous » en question : les usagers en sont absents. Or c’est à eux que s’adressent cette réglementation… pour conserver les industries et les profits qui en sont extraits. Le « bien commun » à condition qu’il se limite à ce qui me permet de faire du profit !

Les évolutions politiques récentes en France tendent à promouvoir une idéologie de la réussite personnelle comme porte de salut pour la société. L’habileté de ce raisonnement est de renvoyer à l’individu la responsabilité de sa réussite. Or ceux qui promeuvent cette approche ne sont pas dupes, ils ont déjà atteint un niveau de réussite (laquelle ?) qui les amènent à vouloir l’imposer aux autres, en particulier à ceux qui l’espèrent. Mais ceux la même qui promeuvent cette idée ont cherché des alliés dans le peuple de ceux qui espèrent, et ils en ont trouvé. Dans le même temps ces promoteurs continuent d’enrichir leur « réussite », en profitant de toutes ces complicités. En d’autres termes la question qui se pose à moi est la suivante : suis-je complice ? Et la réponse est a priori « oui », même si je m’en défends. La question qui va venir ensuite est : comment faire? Et là il n’y a pas de réponse simple.

L’intérêt qu’il y a à analyser le développement des TIC en éducation (scolaire ou non) c’est que l’on a là un bon objet d’observation. En effet se cotoyent des générations autour de l’objet central de l’éducation : « pour quel devenir dans et de notre société ? ». Or il est impossible d’analyser ce développement sans prendre en compte le paramètre idéologique posé en titre : quelle place chacun donne à l’argent dans ce domaine ? Je commence donc par moi-même. J’ai « la chance » d’avoir un « bon niveau de vie » et peut penser que j’ai obtenu une certaine « réussite ». Quelle est la place des TIC dans ce contexte ? Elles me permettent de conforter ma réussite mais aussi mon niveau de vie. Suis-je donc complice de ces idéologies ? en quelque sorte « oui » ! Je peux dès lors tenter de me mettre à l’écart de tous ces progrès en les associant à cette idéologie. Mais quoique je fasse dans le domaine, la force collective promeut ces développements.

Une analyse un peu plus fine me permet de voir que, par exemple, avec Internet je donne accès à tous ceux qui ne le pouvaient pas, à des quantités d’informations jusqu’à présent inaccessibles pour des raisons de coûts. C’est le cas des livres. Il n’y en a pas dans de nombreux pays pour les étudiants et leurs enseignants. Internet permet cet accès nouveau et beaucoup moins coûteux. Mais il y a la fracture numérique dira-t-on. Mais de quoi parle-t-on ici ? N’y avait-il pas une fracture analogique et livresque ? Heureusement il y avait la télévision qui permettait une transmission nous objectera-t-on ? Il suffit d’aller à Alger et de regarder les antennes paraboliques pour comprendre ce succès… On peut penser que cela aurait suffit pour permettre à tous d’accéder à une « réussite ». En fait les médias de transmission ne libérent pas, ils ouvrent des fenêtres mais interdisent d’entrer dans le paysage qui s’offre à nos yeux. On a le droit de regarder mais pas de toucher.

La véritable révolution Internet c’est « le droit de toucher ». La résistance qui s’organise autour des puissances financières est très subtile. On a eu IBM, puis Microsoft et maintenant on a Google (et je ne parle pas des autres domaines non TIC… comme les fonds de pension par exemple). Est-ce un hasard ? Non. Ce n’est que le développement logique d’une ligne de force qui entend maintenir un pouvoir d’une idéologie. Mais l’argent serait devenu incontournable et pour l’avoir il faudrait s’associer à ces puissances. Va-t-on vers un droit de toucher « contrôlé » ?

Les tendances lourdes que l’on observe dans de nombreux pays c’est la volonté de contrôle. Politique et militaire d’un coté, financier et réglementaire de l’autre. Mais dans tous les cas le résultat est le même. La fenêtre ouverte est-elle en train de se refermer ?

L’histoire de l’éducation est une histoire de libération. L’histoire d’Internet est aussi une histoire de libération. La force du développement humain serait une lutte entre ces deux logiques ? Certes un peu réducteur, comme toute dichotomie, il nous faut cependant observer que les tendance lourdes au contrôle de l’Internet, rejoignent celles de l’éducation… dans des idéologies qui semblent éloignées mais qui sont celles qui visent à préserver les intérêts des privilégiés ?

Mais ne suis-je pas moi aussi un privilégié ?

A débattre

BD

5 Commentaires

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  1. Internet s’est imposé comme nouveau media, et l’accès à ce nouveau media se fait par l’ordinateur. C’est là le fait fondamental : internet est un nouveau media en face duquel on est incité à répondre. Tout ce que l’on nous dit au sujet du web collaboratif peut finalement se résumer à cela : répondre.

    Pour la première fois, il ne s’agit plus seulement d’entendre, de voir ou de lire. Il s’agit aussi de communiquer. Eduquer, libérer, j’aime bien ce parallèle. Mais on peut lui ajouter cet autre : apprendre à lire (ou à "décrypter", comme on aime à dire improprement) et apprendre à écrire.

    Comment les livres seraient-ils perçus si seulement quelques uns savaient écrire? Comment internet serait-il perçu si seulement quelques uns savaient programmer? Toute la complexité de cette analogie résidant, bien sûr, dans le fait qu’écrire désigne une action qui parle à l’imagination de tous, alors que programmer relève d’un domaine qu’on n’aborde pas si simplement.

    C’est pour cela qu’il est d’autant plus important de l’aborder tôt. D’apprendre à "écrire" en même temps qu’on apprend à lire, à devenir utilisateur des nouvelles technologies. Et quel autre lieu que l’Ecole pour cet apprentissage ?

    • Koenig sur 3 décembre 2007 à 12:05
    • Répondre

    Je suis avec attention vos réflexions depuis longtemps. Ce n’est donc pas sur fond qui m’aide régulièrement à infléchir ma pratique professionnelle de documentaliste en milieu scolaire que je souhaite m’exprimer. J’ai eu beau lire et relire avec attention votre billet, je n’ai pas réussi à trouver la raison de ce titre volontairement provocateur. Est-ce un test de votre part pour évaluer l’impact d’internet sur l’orthographe ? Ou alors le signe que l’écriture virtuelle tend à pousser l’auteur à publier sans avoir pris le temps de la relecture attentive, ce que les délais de l’édition permettaient ? A moins que l’argent ne vienne lui aussi tuer l’accord du participe passé ou sacraliser l’infinitif
    Il est vrai qu’à force de lire des textes remplis de "fotes" on finit par ne plus les voir dans ses propres écrits ! Néanmoins, dans un titre, c’est un peu trop visible !
    Tout ceci très amicalement évidemment
    Didier KOENIG

  2. Pour la faute d’orthographe, j’imagine que c’était une allusion au fait divers?

    • Bruno Devauchelle sur 5 décembre 2007 à 05:20
    • Répondre

    « Omar m’a tuer » était l’inscription popularisée par un triste fait divers qui avait amené à incluper un jardinier puis à le disculper. Au delà de la faute d’orthographe, je trouve que cette phrase est pleine d’interrogations surtout si la faute est intentionnelle. Je la trouve emblématique et elle aurait pu figurer dans de beaux livres policiers si elle n’avait été simplement écrite à la main et en lettre de sang dans la réalité. Reprendre la faute d’orthographe (ou plutôt de grammaire en l’occurence puisqu’il s’agit d’un accord non respecté) c’est aussi exprimer par rapport à l’argent quelque chose qui me questionne et que Félix Leclerc (si je ne me trompe) avait magnifiquement interprété lors d’un concert public dans une chanson sur les 100 000 façon de tuer quelqu’un et dans laquelle la conclusion était que la meilleure façon était de « le payer à ne rien faire ». Je suis très attaché à cette chanson et à ce questionnement plus général sur le rapport entre travail et rémunération. En effet la dématérialisation de notre vie sociale rend de plus en plus difficile la perception de la valeur du travail (et non pas de la valeur travail). Comme de surcroit toutes ces évolutions (appelées parfois à tort progrés) apportent une forme nouvelle de confort et en suppriment d’autres plus anciennes, il me semble qu’il est nécessaire de réinterroger le développement des TIC au regard de la logique d’argent et non pas en fustigeant d’abord les grandes sociétés mais en commençant par questionner nos propres rapports individuels avec celui-ci. Je perçois actuellement la situation comme étant suffisamment grave pour commencer à lancer un appel à échange sur le fond. Quant à la forme elle est provocatrice, c’est sûr. BD

    • Didier Koenig sur 7 décembre 2007 à 14:39
    • Répondre

    Ouf, me voila rassuré ! Mais pour rebondir sur votre propos, c’est la société du l’argent virtuel qui m’inquiète de plus en plus. Nous consommons sans le voir, et tout nous laisse croire que beaucoup de choses sont gratuites. Déjà, quand on signe un chèque, il faut expliquer à nos enfants qu’il s’agit d’argent, ce qui ne se voit guère au premier coup d’oeil ! Mais aujourd’hui le téléphone portable permet de consommer (beaucoup souvent) sans s’apercevoir que l’argent file aussi, bien que le prélèvement mensuel permet de temps en temps de s’en apercevoir. Cette société du crédit et de la surconsommation n’est pas nouvelle. Par contre l’usage d’internet donne le sentiment aux jeunes que tout est gratuit, google est gratuit, les services divers proposés par les administrations aussi, les encyclopédies en ligne également, les logiciels libres, les bases de données, que puisqu’on peut télécharger, c’est que c’est donné, puisqu’on peut copier, c’est que s’est gratuit … on pourrait à l’infini lister les exemples plus ou moins pervers de cet « aveuglement » qui progressivement fait perdre le sens de la valeur des choses, qui fait croire que tout est du et qu’il n’est pas normal de payer un service. A l’apparence d’intelligence magique que les nouvelles technologies tentent de développer se rajoute une illusion pernicieuse de gratuité. Il est urgent me semble-t-il d’amener les jeunes au moins à prendre conscience que tout a un cout, qu’il y a forcément quelqu’un qui paye à un moment le temps passé, la mise en forme et à disposition, … et que même la publicité qui par son financement développe cette cécité se rémunère sur le cout des objets que nous achetons. Tout ceci est bien à l’image de la société française qui vit à crédit elle aussi depuis très longtemps et qui n’arrive pas à prendre conscience réellement de la situation. Internet amplifie l’effet « caverne de Platon » … Didier KOENIG

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