L'information c'est la mise en scène des faits !

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Plusieurs lectures récentes (voir ci-dessous) nous invitent à réfléchir au sens de l’objet « information ». Le dernier numéro de la revue Médias, dont, au delà des critiques que chacun peut être améné à porter sur la ligne éditoriale de cette revue, on doit souligner la richesse et la qualité, nous apporte à ce propos des éléments de réflexion. Les interviews de Noam Chomsky, ou de Robert Solé ou encore celle de Pierre Nora  apportent de quoi nourrir notre réflexion. Dans le même temps les débats sur les blogs, leurs auteurs (http://www.versac.net/) et le journalisme invitent aussi à réfléchir à « l’information ». La revue communication et langages n° 155 de Mars 2008, par son dossier sur l’écriture et les blogs, de même que la revue Médiamorphose n°21 (3-2007), par son dossier sur le web 2.0, nous apportent de quoi alimenter la réflexion sur le même sujet.
La constante d’interrogation tourne autour de la « mise en scène des faits ». Comment les faits, en devenant informations, sont-ils mis en mots et donc, dans cette perspective selon une approche que je situerais plutôt dans le champ de la psychanalyse, « mis en scène » ? Parce que l’humain qui transforme le fait en langage, ou encore la machine qui capte des éléments du fait (pilotée, en direct ou non, par un humain), sont des éléments de la scène dont il tente de donner « les mots » (fussent-ils des photos, des vidéos, des dessins…), les faits sont « mis en scène » pour devenir information. Dire qu’ils sont éléments de la scène (celle qu’on capte en recevant l’information) nous oblige à aller plus loin : de quelle manière, avec quelle qualité sont-ils devenus éléments de la scène ? Et il faut aussi ajouter qui les autorise à devenir éléments de la scène : les faits, les récepteurs ou eux-mêmes ?
Il nous faut ici faire un détour par le « Sujet ». Générer une information c’est traduire une intention dans une trans-formation. C’est cette intention qui doit constamment être analysée pour comprendre ce processus. Le « Sujet » de l’intention porte en lui, de plusieurs angles différents, un pouvoir de mise en scène très important, mais qu’il doit dépasser s’il veut produire l’information. Ce dépassement, c’est peut-être le processus d' »in-conscientisation » qui est en action. Ce processus correspond à ce lent travail éducatif, tout le temps reproduit au cours du développement du sujet, qui vise à rendre « automatique » ce qui est « habituel ». Et parfois même tellement automatique que cela s’inscrit dans les schémes d’organisation interneuronaux.
Pour illustrer, maladroitement cette hypothèse, quelque exemples s’imposent :
1 – La caméra de surveillance installée sur la grand place d’une ville porte dans les images des faits qui sont dans son champs et qu’elle transmet, l’inconscient collectif autour de la sécurité
2 – Le journaliste qui publie un article dans le journal duquel il est salarié traduit en mot l’inconscient collectif des membres de la « communauté éditoriale » (financeurs compris).
3 – Le blogueur « influent » traduit dans ses billets l’inconscient collectif qu’il construit à partir de son réseau personnel de relation et de son contexte – synchronique et diachronique – de vie
4 – Le témoin d’une arrestation dans un lieu public porte dans son témoignage l’inconscient émotionnel de son rapport à la situation vécue.
Les historiens sont confrontés quotidiennement à ces questions. C’est, en partie, pour cela que les débats sur les faits historiques sont si difficiles. Le journaliste est évidemment constamment confronté à cela, d’autant plus qu’il est souvent « témoin de témoin » et que ce niveau d’intervention suppose une vigilance d’autant plus grande que les faits sont « chauds ».
Du coté de l’enseignant, la question est d’autant plus complexe que les faits, qui constituent la base de ses objets de travail, sont « scolarisés » et donc « refroidis » selon un processus, parfois appelé didactisation, qui rend extrèmement difficile l’expression de cette « in-conscientisation ». Or comment éduquer (pris au sens de conduire hors de) à la lecture des faits quand on est dans de telles conditions ?
Les pouvoirs en place ne peuvent admettre facilement le processus d’extraction qui est pourtant indispensable, et encore moins admettre qu’on y éduque toute la population au risque de se voir questionnés, comme le souligne Noam Chomsky, peut-être remis en cause. La montée en puissance de l’argument de la « théorie du complot » ne simplifie pas les choses et introduit encore plus de trouble dans toute analyse raisonnable de l’information. Ainsi la récente libération d’Ingrid Bétancourt a immédiatement fait émerger des informations complémentaires aux récits officiels, l’un pour une rançon, l’autre pour l’utilisation des signes de reconnaissances de la Croix rouge internationale. Il devient dont très facile de mettre en question, de relativiser l’information officielle dès lors que du trouble peut-être suggéré. Ce trouble veut nous inviter à penser une possible « mise en scène » (cela a été clairement nommé pour Ingrid Bétancourt). Face à ces éléments, les pouvoirs en place discutent donc aisément du contrôle possible qu’ils peuvent exercer sur l’information (pas sur les faits, comme en témoigne la Chine vis à vis du Tibet, apr exemple). La revue Médias propose aussi à notre réflexion un compte rendu d’un séminaire tenu au Qatar sur cette question.
La « mise en scène » des faits peut sembler un phénomène banale à certains. Au moment où les médias de masse tentent de reprendre le contrôle de « l’information » sur la sphère de l’expression sur Internet, Il nous faut nous questionner. On peut facilement y relire le débat qui agitait il y a trente ans déjà l’émergence des radios libres et leur « normalisation » qui s’est ensuite opérée à l’aide du pouvoir en place et du cadre économique qui s’est ensuite imposé à elles. La peur des médias de masse est double et ils se légitiment à partir de là : d’une part d’être concurrencés auprès des lecteurs, d’autre part de ne plus être la seule instance de contrôle du processus informationnel. Ils veulent donc retrouver leur puissance de diffusion (il suffit de regarder l’audience des sites pour observer que c’est presque définitivement fait), et aussi fixer le cadre de la « vérité informationnelle », autrement dit leur « mode de mise en scène des faits » (en imposant un cadre professionnelle de vérification, supposée rigoureuse, de l’information).
Ainsi la blogosphère, et plus généralement les sites internet hors médias, dont on a dit qu’ils étaient influents sont en train d’être marginalisé, à moins de rentrer dans le rang des médias comme en témoignent au moins partiellement le site Rue89 ou, dans une moindre mesure, le Café Pédagogique.
A débattre

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