Un livre qu'on peut ne pas lire

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Natacha Polony, Nos enfants gâchés. Petit traité sur la fracture générationnelle, JC Lattès Paris 2005.

L’éthique, l’honnêteté scientifique et la réthorique, sont les trois expressions que l’auteure a oublié d’intégrer dans son ouvrage. Faut-il y lire une intention, consciente ou non ? Je me refuse à cette interpétation sauvage qui me ferait entrer dans ce que je réprouvele plus, en matière de procédé réthorique et d’éthique, dans cet ouvrage publié, fort à propos, en ces temps de rentrée scolaire. On ne peut que saluer la volonté de transparence exprimé dès les premières pages du livre. Mais il faut déplorer la réelle opacité du propos, tant l’embrouillaminis des arguments, des idées et des phrases me semble en décalage avec l’idée que je me faisais de l’intention exprimée par l’auteur et compte tenu de sa qualité. Comment accepter ces approximations scientifiques, ces oublis historiques, ces citations extraites de leur contexte et encore bien d’autres formes d’expressions qui depuis quelques années deviennent le mode privilégié d’expression du débat sur l’école. Car le propos central du livre est de tenter de promouvoir le transmettre contre le communiquer. Malheureusement l’entreprise échoue pour le lecteur un peu attentif. Il aura vite compris qu’il faut utiliser les mots sans jamais les définir ou alors en niant tout ce qui fait la richesse des « termes ». Jacques Ardoino, l’un des pères des sciences de l’éducation (discipline « vouée aux gémonies » par Mme Polony), nous a suffisamment démontré, dans ses séminaires de DEA comme dans ses écrits, l’attention qu’il fallait y porter pour ne pas déplorer qu’une agrégée de Lettres n’y fasse même pas attention. A moins que ce ne soit la journaliste de Marianne qui se soit exprimée. Auquel cas, compte tenu du paysage médiatique actuel, on comprendra beaucoup mieux le propos, le style et les attaques à répétitions contre des personnes et leurs idées. La réelle problèmatique centrale du livre ne doit cependant pas nous laisser indifférent. Reconnaissons l’importance de la question de la transmission culturelle, de son sens et de ses modalités (le temps, le retour sur le passé). Par contre refusons qu’au nom de cette question le mépris de certains (bon nombre d’enseignants, de jeunes des banlieus, d’intellectuels ‘différents’…) ou la désignation de boucs émissaires (l’école, les technologies de l’information et de la communication…) serve trop souvent d’argumentaire en lieu et place d’une simple analyse scientifique (on ne peut considérer que le rapport étonnant de faiblesses rédigé par quelques membres de l’académie des sciences à l’automne 2004 relève de ce type d’approches tant il est peu scientifique, il le revendique lui-même). Notre propos sera ici de discuter principalement (parce que j’y travaille depuis trente années, comme enseignant, formateur et chercheur) de la charge contre les TIC énoncée de manière récurrente dans cet ouvrage. Il y avait pourtant de nombreuses critiques à formuler et non des moindres sur ces TIC et ses acteurs, elles sont absentes. En lieu et place de ces critiques nécessaires (et d’ailleurs engagées par nombre d’entre nous depuis longtemps dans nos débats), on ne trouve aucun autre argument que le refus de l’idolatrie de la modernité, du progrès et de l’adaptation de l’école au monde du travail. On peut reconnaître que ces questions sont réelles, pas nouvelles (on peut lire à ce sujet Jacques Ellul, Gilbert Simondon et bien d’autres philosophes et penseurs), mais on ne peut se dispenser d’aller plus loin. L’analyse du contexte économique social et intellectuel aurait permis de mieux éclairer le rôle difficile que les uns et les autres tentent de faire jouer aux TIC. Au lieu de cela, l’auteure instrumentalise ces TIC (il suffit de lire les lignes sur la comparaison entre technique et technologie pour comprendre la figure de réthorique utilisée). La réalité est bien différente, mais dans ce livre la seule réalité qui vaille est celle que l’auteur perçoit (confère le passage sur les TPE) et non pas celle que l’observation « élargie » permet d’entrevoir. La diabolisation d’Internet et des TIC est un propos de surface dans cet ouvrage. Ce n’est pas une analyse de fond. En bannissant en deux lignes les réseaux et l’information, l’auteure a oublié d’envisager la question au delà de la seule culture française et de comprendre l’histoire de la pensée. Elle y aurait trouvé de bien nombreux exemples, à commencer par une relecture de l’histoire de la chrétienté dans les dix permiers siècles de notre ère.

Non l’introduction des TIC à l’école ne répond pas au seul souci de modernité. Il ne répond qu’au seul souci de maintenir l’école dans la temporalité de nos sociétés, temporalité basée sur le passé et le présent avec le souci d’en permettre l’articulation. Si certains zélateurs de ces technologies ont pu tenir de tels discours, ils ne sont pas dans l’école, ils sont autour d’elle, c’est à dire que quelque soit leur appartenance professionnelle (scolaire ou non), ils ont déjà choisi de ne plus se situer dans l’école. D’ailleurs, après avoir vu passer au moins trois vagues informatiques en trente ans, on peut observer que ces zélateurs ont rapidement changé de contre d’intérêt, prompts qu’ils sont à se jeter sur tout ce qui est médiatique. C’est d’ailleurs ce qui est inquiétant dans ce propos : ne s’agit-il pas de la démonstration de la proposition qu’il prétend dénoncer ?

Dommage qu’une question aussi importante soit aussi « maltraitée », tout comme le sont les quelques références scientifiques du monde de l’éducation.

Nous recommandons à l’auteure une lecture avancée de l’ensemble de l’oeuvre de Philippe Breton, depuis son « dictionnaire de l’informatique » jusqu’à ses écrits récents sur la « Parole manipulée ». Nous lui recommandons de (re ?)lire, avec attention et précision l’ensemble des programmes officiels de l’école et du collège.

A débattre

BD

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