Gratuité et intelligence collective

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Les anciens lecteurs de la liste de diffusion Veille et Analyse TICE s’en souviennent : la question de la gratuité n’est pas nouvelle. Quelque vifs échanges à ce propos avaient lieu dès l’émergence du web dans le grand public. De la même façon, et à la même époque, la question de l’intelligence collective émergeait, aussi bien avec les écrits de Pierre Lévy qu’avec le développement des listes de discussions et autres newsgroups… Deux publications attirent ces temps-ci notre attention : Le Courrier International (n°800 du 2 mars 2006) inscrit sur sa couverture : « Vous avez dit gratuité ? Promesses et limites de l’économie non marchande ». Au même moment, la revue Sciences Humaines met sur sa couverture la question : « Des fourmis à Internet, L’intelligence collective, Myhte et réalité ».

Il faut donc revenir à ces questions, d’autant plus d’actualité que la loi DADVSI revient devant le parlement. On ne reviendra pas sur la gratuité, l’illusion de la gratuité, et la réalité des coûts. Dans une société marchande, tout a un coût ! Même ne rien faire a un coût, les chômeurs le savent bien… Par contre on s’attardera sur l’idée émise dans l’un des articles du numéro de Courrier Internation intitulé « la gratuité ça paie toujours » et extrait du Financial Time et signé par Michael Schrage (p.32). On y découvre que la gratuité est un appat ! Il se pourrait même que ce soit une subvention déguisée. En renversant la question de la gratuité, l’auteur interroge : « A qui profite la gratuité ? » Dans un domaine d’échange de biens non matériels (numérique) et dans lequel la mise à disposition ne retire pas la jouissance du bien à celui qui le donne, il est donc logique qu’une certaine forme de « gratuité » se développe. En fait il s’agit surtout de « marchandises d’appel », autrement dit de moyen de générer des flux de visiteurs vers quelque chose qui peut devenir payant. C’est cela que Soulinge M. Shrage, il ne faut pas s’y méprendre : une économie de la gratuité est en train d’émerger, elle cherche son statut, son rôle et sa fonction dans la société et c’est cela qui dérange.

Pourquoi dès lors faire le lien avec l’intelligence collective ? Parce que outre la dimension mythique que cette expression, comme celle de gratuité recouvre, il y a derrière ces deux questionnements une évolution globale des modes de pensée dans notre société occidentales. Est-ce la peur de la Chine ou de l’Inde et de leur modèle social ? Est-ce la disparition du communisme ô combien mythique ? Il est possible que ces éléments soient des facteurs accompagnants cette réflexion. On peut aussi émettre l’hypothèse que l’individualisme capitalistique, si bien symbolisé par l’image de l’être humain seul devant son ordinateur, est arrivé au bout de sa logique et qu’il n’apporte rien de plus à chacun de nous.

L’intelligence collective fascine l’individu. De la magie des foules à celle de l’organisation taylorienne du travail, en passant par les fourmis et les abeilles, l’idée de l’intelligence collective peut n’être que l’illustration du secret espoir, pour l’Homme, de rester « le meilleur ». individuellement il se rend compte de ses limites, de ses faiblesses. Collectivement il les cache, et peut même penser partager avec d’autres une forme nouvelle d’éthique collective… Les TIC créent volontier cette illusion ou, en tout cas, rendent possible cette illusion. Il suffit de fréquenter les blogs pour se rendre compte de cela ou plus encore d’analyser les comportements des Internautes autour des sites d’échange de toutes natures (biens, rencontres, idées). Si l’on observe plus finement les choses et si l’on revient à quelques idées plus classiques, l’idée d’intelligence collective s’inscrit dans la continuité de l’idée des réseaux. Ce qui, pour faire court, signifie que, pour que l’intelligence collective devienne réalité, il faut d’abord que chaque individu accepte sa juste place dans ce collectif. Désigner l’intelligence collective comme un autre c’est en faire un objet extérieur. Or l’intelligence collective, qui a toujours existé, n’existe que lorsqu’elle est en chacun des individus qui s’en réclament et se positionnent en son sein.

Ce qui est inquiétant dans ces phénomènes, c’est que l’observation des espaces collectifs et collaboratifs montrent que, pour l’instant, une écrasant majorité est extérieure, spectatrice de cette intelligence collective (bien qu’en faisant partie). Autrement dit les faibles taux de participation aux espaces de discussion collectifs sont révélateur de cette difficulté à « faire communauté », « faire collectif », être dans « lintelligence collective ». L’humilité qu’impose l’appartenance à l’intelligence collective reste le principal obstacle à la réalité de celle-ci. Pour l’instant elle reste principalement un étendard défendus par quelques uns, comme la gratuité… A moins que pour cette dernière chacun de nous s’engage dans le projet proposé par Lawrence Lessig autour des Commons Creative dont l’illustration se traduit par ces contrats :

http://fr.creativecommons.org/contrats.htm

A suivre et à débattre

BD

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