Humeurs du jour

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Va te faire voir… sur Internet, telle aurait pu être le titre de ce billet. De plus en plus irrité par le bruit qui sévit sur Internet à propos de tout et de n’importe quoi, il semble nécessaire de faire un arrêt sur image pour mieux comprendre ce qui est en train de se passer. Une hypothèse : se montrer, se faire voir, reste le moteur central des nouvelles formes de médiatisation à l’instar des anciennes. Pour ce faire les stratégies ont changé mais l’objectif et l’effet reste le même.
Pour se faire voir, avant Internet et les réseaux numériques, il fallait un réseau humain chargé de relayer et en particulier un réseau composé de responsables des médias qui pouvaient ainsi « faire voir ». Sur d’eux certains professionnels déclaraient que quelqu’un qu’on ne montrait pas c’était quelqu’un qui ne méritait pas d’être montré (il n’y a pas de génies méconnus !!!). Ils oubliaient simplement qu’eux mêmes étaient inclus dans un système qui entretenait cette sélection au service d’un pouvoir, le leur, et accessoirement celui des autres, les puissants.
Avec l’arrivée d’Internet, on peut naïvement penser à la libération de ce joug arbitraire. Autrement dit chacun peu désormais s’exprimer et donc n’a pas besoin de réseau humain puisque la technologie permet une exposition directe. Mais c’était sans compter sur l’histoire et sur la résistance. D’une part les médias dits de masse continuent d’avoir une très forte audience (même si quelques érosions sont perceptibles). D’autre part les professionnels de la médiation et de la médiatisation ont bien perçu le danger de ces nouvelles possibilités. Aussi se sont ils emparés de l’espace pour mieux le contrôler et y imposer progressivement leurs règles anciennes. Regardons les débats actuels sur les tablettes numériques/livres numériques, ou encore sur les évolutions des moteurs de recherche et leurs méthodes de classement. Des échanges récents à propos du travail des professionnels -journalistes- montraient leur manière de travailler en éducation (http://blog.educpros.fr/emmanueldavidenkoff/2010/06/10/je-ne-suis-pas-emmanuel-davidenkoff/) et donc de « sélectionner » l’information. On le note là encore, la puissance des intermédiaires n’est pas prête de s’écrouler. Autrement dit la légitimité des propos tient à leur popularité (dans un cercle donné) et non pas à leur pertinence. Deux exemples peuvent contribuer à enrichir ce propos : Noam Chomsky et Jacques Ellul. Ils illustrent, parmi d’autre et dans d’autres milieux, ce phénomène de la popularité.
Aujourd’hui, les réseaux continuent d’avoir le même effet : au delà du travail réel de la pensée, de la réflexion de la recherche, ils permettent de propulser des propos et leurs auteurs quelqu’en soit leur légitimité. On pourra objecter que rien n’empêche de travailler soi même dans le développement des réseaux. Mais il faut choisir : l’énergie que l’on met à entretenir les réseaux risque d’entamer celle que l’on doit à la réflexion et ainsi l’appauvrir. Mais la façon de faire réseau a changé au moins par les outils. Par exemple il vaut mieux ouvrir un blog sur une plateforme de blogs d’un média que de garder un blog indépendant. En effet si vous êtes sur une plateforme de média vous avez le risque de voir le réseau s’activer automatiquement (vous appartenez à une « écurie ») et populariser vos propos au delà de leur légitimité propre. De même il vaut mieux s’agiter sur de multiples plateformes qui entre-elles se relaient pour propulser vos propos.
En d’autres termes, la question de l’identité numérique doit être aussi analysée à l’aune de cette popularisation et des processus sous jacents à celle-ci. Il faut apparaître innovant, être suffisamment technophile, avoir une langue bien pendue, savoir se situer dans les réseaux des autres, si l’on veut espérer la popularité et donc développer une partie de son identité numérique. Les compromis et la compromission que supposent ces processus ferment la porte à certains et l’ouvrent à d’autre. Dans une société de « la construction de soi » comme première par rapport à « la construction du bien commun » on comprend aisément le processus. On voit aussi se poser la question de l’auteur et de l’autorité dans la suite de cela. L’un et l’autre ne vont pas de soi, ils se disjoignent encore davantage qu’auparavant. Tenir parole n’est pas toujours faire autorité, cela l’est encore moins aujourd’hui.
Le renvoi au lecteur de la capacité à discerner ce qui est pertinent ou non ne doit pas faire ignorer que cette capacité est de plus en plus complexe. Les jeunes qui entrent dans le monde que nous leur avons construit n’ont pas, pour la plupart les clefs de lecture avant de nombreuses années (si tant est qu’ils puissent y accéder). Or l’un des enjeux essentiels de l’éducation numérique des prochaines années réside dans ce processus de discernement et dans celui qui y est adjacent le processus d’élaboration de la parole. Accéder à la parole, pour la lire et pour la produire est un processus qui s’est fortement complexifié en deux temps : le premier a été le moment de l’émergence de la diffusion massive de l’information (massification) et le deuxième celui de la parole donnée à chacun (la démocratisation). Mais c’était oublier l’un des termes de ces processus : la mise en lien de l’auteur et de son récepteur. C’est là que réside l’une des clefs essentielles de cette éducation.
Dans les premières formations sur la recherche d’information que j’ai eu l’occasion de faire à la fin des années 1990 (web 1.0), je mettais les usagers en face de la recherche des indices de légitimité d’une parole sur Internet. Aujourd’hui, le travail est devenu beaucoup plus difficile car l’accès à ces éléments est de plus en plus difficile à effectuer, et de plus non seulement leur forme à changé (web 2.0) mais surtout leur « prolifération accompagnée » a enfoui les indices. Le lecteur se trouve désormais confronté à un devoir d’analyse de plus en plus difficile, et l’éducation à ce travail s’avère quasiment impossible, en tout cas dans le cadre scolaire, quoique en disent les professionnels de l’éducation qui non seulement sont aussi en difficulté face à cela, mais qu’ils sont aussi parfois les complices objectifs de cette complexification….
A débattre
BD

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