Au Québec aussi l'école ne fait pas école (pour les TIC)

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La lecture du compte rendu de la partie québecoise de la recherche mediappro mise en ligne en cette fin mars est très instructive. Parmi les nombeux aspects que nous avons pu noter, l’un d’eux retient notre attention : la place de l’école dans l’appropriation des TIC par les jeunes (p.71-76). Au Québec, cette place est en recul. L’équipement et la pratique familiale marginalisent progressivement les pratiques scolaires. Cette situation n’est pas un problème pour les jeunes, c’est simplement un état de fait, matériels et logiciels parfois désuet ou difficilement utilisables (contrôles divers, filtrages…), quant aux enseignants, ils n’invitent pas vraiment à l’utilisation des TIC.

« Les témoignages des jeunes semblent être un constat de l’absence de projets scolaires d’envergure centrés sur l’exploration des possibilités pédagogiques des TIC ou même d’innovations pédagogiques fondées sur l’utilisation et l’appropriation des TIC au service de l’apprentissage des matières scolaires traditionnelles. Il apparaît donc clairement que l’école n’est pas devenue le laboratoire d’expérimentation sur l’apprentissage des nouveaux médias que les investissements massifs consentis au milieu des années 1990 pour brancher les écoles et renouveler les parcs informatiques pouvaient laisser espérer. « 

A cela les auteurs ajoutent : « Bien au contraire, nos discussions avec les élèves nous ont permis de constater qu’Internet est reconnu aujourd’hui, par tous leurs enseignants, comme une source de référence précieuse et incontournable dans la réalisation des travaux scolaires. Mais cette utilisation ne s’effectue pas beaucoup à l’école, sinon de manière marginale à la bibliothèque scolaire. « 

Ainsi l’équipement familial développe des pratiques qui, une fois la découverte passée (et souvent avec l’aide du système scolaire comme le montrent les précédentes études), vont bien au delà de ce que l’école peut accompagner par elle même. Autrement dit le divorce est en train de se faire. Même si les enseignants québecois sont devenus des maîtres en matière de détection de plagiat, ils sont notablement mis à l’écart à l’instar de leur institution qui ne peut « suivre » les pratiques réelles des jeunes.

Comme pour le rapport français fait par le CLEMI et dont nous avions déjà fait l’analyse, l’école et son cadre (nécessaire de par son organisation et obligatoire de par la loi par exemple) apparaissent comme de freins aux pratiques. On peut penser que les enseignants avec leur équipement personnel observent les mêmes difficultés (auxquelles s’ajoutent d’autres freins vus précédemment dans nos billets) et que leur résistance à intégrer les TIC dans leur pratique rélèvent au moins en partie du même argumentaire. Dans un billet précédent j’avais dénoncé la mainmise de certains « techniciens » qui se sont arrogés des pouvoirs qu’ils appuient d’ailleurs désormais sur la loi. Malgré toutes les bonnes intentions qui sont sous-jacentes au travail de ces personnels, il est désormais clair que le cadre de leur travail (qu’ils le construisent ou qu’ils le subissent) est un facteur qui défavorise les pratiques pédagogiques des TIC dans un contexte éducatif.

Faut-il lancer ici un appel à un renouvellement des conceptions de la place des TIC dans le système éducatif ? Cette question doit désormais être au centre de nos préoccupations quand de tels rapport montrent cet écart. Comment un école qui prétend préparer des jeunes aux réalités du monde peut elle être éducative si elle ne montre du monde qu’une part qui n’a rien à voir avec la réalité qui se déroule une fois la porte franchie. Certes il ne faudrait pas inféoder l’école au monde extérieur, mais comment éduquer à la liberté si l’on ne dispose pas des outils pour le faire. Il restera Voltaire et Montesquieu diront certains. L’école ne doit pas être à la botte du monde du profit diront certains et on les entendra. Est-ce pour autant qu’il faut cacher la réalité de ce profit et s’interdire de l’analyser et d’en comprendre les logiques ? L’école doit être un sanctuaire, diront d’autres. Mais comment analyser la clairvoyance de ces moines qui du fond de leur abbaye comprennent souvent mieux le monde que ceux qui croient en être les véritables acteurs. En fait un sanctuaire n’est pas le mot adapté. L’école doit être le lieu de la « distance » d’avec le quotidien. Mais qui dit distance ne dit pas ignorance ou limitation. La distance implique la pleine conscience du rapport que chacun entretient avec les objets (sociaux, matériels…) qui l’entourent. Construire cette pleine conscience suppose aussi de pouvoir en aborder tous les aspects. Ainsi l’école, dans sa mission égalitaire serait en train de nouveau d’être inégalitaire en ne permettant pas de comprendre les véritables enjeux des TIC, en particulier aux plus démunis, puisqu’elle renvoie à la maison leur usage. Le B2i, en France, est d’ailleurs relativement faible sur ce point, mais plein de bonne volonté car ce n’était pas la finalité initiale.

Souhaitons qu’une véritable analyse de ce phénomène amène à sortir des discours convenus et des satisfecit habituels propres au discours politique….

Bruno Devauchelle

1 Commentaire

  1. Beaucoup de nuances très intéressantes dans ce texte. Merci Bruno!

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