Pourquoi finalement je n'aime pas l'école… à l'ère du numérique mais aussi avant ?

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Partant du titre provocateur d’un ouvrage publié en Amérique du Nord et relayé par certains tenants de l’école traditionnelle (celle qui répète qu’il faut répéter pour apprendre), mais ouvrage souvent mal compris, il me semble nécessaire de reposer les équations qui me semblent fondamentales pour parvenir à un développement personnel au mieux de ce qui est possible. Avant de trouver des solutions, il faut essayer de comprendre. Première chose à éliminer l’idée d’un modèle uniforme qui marcherait pour tout le monde. Autrement dit la méthode universelle. Pourquoi, parce que nous sommes tous différents et que ces différences sont à la base du fonctionnement d’une société (au sens ethnologique). Accepter la différence est quelque chose de très difficile dans un monde qui cherche, en particulier depuis les Lumières à trouver une voix identique à tous et une voie identique pour tous.
En quoi le monde numérique pose-t-il problème dans ce contexte ? Parce que de ce côté aussi la tentative d’uniformisation est grande. Partir de 0 et de 1 pour accompagner le monde et ses activités, c’est réduire la réalité à une forme qui n’est pas la réalité. Et pourtant, nous avons pu y croire avec les premiers temps de l’intelligence artificielle dans les années 1980. Or nous pourrions encore y croire avec le retour de cette même intelligence artificielle, revue et corrigée à l’aune de la puissance de calcul des ordinateurs, qui nous promet encore ce même modèle uniformisé (bien qu’il s’en défende souvent). Nos politiques, centralisateurs et républicains de tous les côtés de l’échiquier, savent bien que le peuple est « toujours difficile à gouverner » (citation de Régis Debray qui évoque un propos de Mr Darcos en 2002). Justement parce qu’il entend que les différences soient reconnues et acceptées et non pas qu’elles soient écrasées par un « en haut » théorique. Du coup les tenants de la critique du système s’emparent de cela pour encore davantage tenter de « normaliser » la société.
L’ambiguïté de la pensée humaine est constante. Entre le moi et le collectif nous sommes en permanence en tension. Dès l’école, voire la crèche même, en tout cas dans l’ensemble de l’Education, cette question est posée : « comment je me construis différent dans un monde qui me préfère identique ? ». Le projet de l’école, incarné dans l’ensemble de ces mécaniques internes de fonctionnement s’est informatisé de manière massive au cours des quarante dernières années. Cette informatisation n’a eu de cesse que de renforcer l’identique. Entre l’Environnement Numérique de Travail (ENT) et mon Environnement Personnel d’Apprentissage (EPA) il y a un écart, et les organisations (école, université, administrations, entreprises) ont tendance à essayer de faire disparaître le second au profit du premier : « ton EPA, c’est l’ENT » ! Et l’ENT, au-delà des textes officiels s’est enrichi de multiples fonctionnalités, englobant toute l’activité scolaire. Désormais en s’intéressant au BYOD (cf. le référentiel CARMO), la tentative de colonisation de l’EPA se développe… pour la bonne cause bien sûr, celle qui utilise l’argument de la prise en compte de l’utilisateur pour mieux le contraindre.
Mais l’école c’est aussi simplement apprendre. Là encore, le développement des sciences du cerveau montre qu’un même chemin se trace progressivement. Au nom des neurosciences, on contraindrait le cerveau à entrer dans un modèle de développement cognitif. Le marketing ne doit pas être très loin d’ailleurs qui vise peu ou prou le même objectif (utiliser le temps de cerveau disponible pour le normaliser). Le rêve de la mécanique du cerveau, que nous avons d’ailleurs souhaité, envisagé, il y a plusieurs années en faisant des études de psychologie, puis en nous intéressant à l’informatique et à l’intelligence artificielle, reste tapi dans l’inconscient de chaque humain.
Et pourtant il y a des jeunes qui souffrent d’être élèves. Et pas forcément des jeunes atypiques. Car être élève c’est entrer dans ce processus de normalisation. Lorsqu’enfant on se réveille en pleurant pour ne pas aller à l’école parce que celle-ci vous rend malheureux, il n’y a pas d’alternative. Lorsqu’enfant on attend impatiemment la récréation pour enfin vivre dans l’espace clos de la cour et que l’on se voit contraint d’y renoncer par punition, on enrage non seulement de la salle de classe, mais de l’école toute entière. Lorsque même avec l’ordinateur on est enfermé dans la logique scolaire alors qu’on y perçoit une source d’enrichissement et d’ouverture on sent bien qu’il n’y a pas là non plus de porte de sortie.
Mais alors que faire de cette thèse selon laquelle on n’apprend bien que lorsque l’on a déjà appris. Autrement dit il faudrait installer des automatismes mentaux pour passer à la compréhension du monde. Que faire de sa traduction en milieu scolaire qui viserait à faire de l’école un système de mécanisation des cerveaux (cf. The Wall de Pink Floyd, ou encore Tranche de vie de François Béranger) ? Le problème est plus global. Les témoignages de jeunes qui vivent dans des conditions familiales très difficiles pourraient nous ouvrir les yeux, mais ils sont trop rares pour être entendus et trop radicaux pour être entendables, surtout en ce moment. L’égalité républicaine promise doit renoncer à son idéal de 1791. Vouloir normaliser les esprits est un projet vain. Avec ou sans le numérique, l’Ecole n’y peut rien. Car l’un des projets du tout numérique à l’école n’est pas d’ouvrir de nouveaux espaces mais bien plutôt d’encadrer ces nouvelles libertés offertes par ces nouvelles machines. Mais ces nouvelles libertés ne sont accessibles qu’à certains, qui s’empressent de les refuser aux autres dès qu’ils les ont mises à profit pour eux-mêmes.
Et surtout il y a le projet économico-politique qui sous-tend le développement du numérique dans la société actuelle. Ce projet dépasse largement le cadre du monde académique dont il connaît les limites. Ce projet invente la normalisation par l’usage. Un usage normalisé qui repose sur des contraintes souterraines (algorithmes, données, marketing, travail…) qui donnent l’impression de liberté mais qui au contraire enferme la liberté individuelle dans des procédures écrites par certains et imposées à tous. On peut retrouver les ferments de ce projet dans la philosophie ergonomique de sociétés comme Apple et désormais de la plupart des sociétés du monde informatique : rendre les produits numériques tellement intuitifs que l’on ne perçoit même pas qu’ils vous imposent leurs règlent et qu’ils tentent de vous normaliser…. Quant à l’école, elle a été le précurseur de ce mouvement, maintenant elle en deviendrait facilement la caution…
A suivre et à débattre
BD

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