Nés avec le numérique ?

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L’hypothèse d’une révolution culturelle liée au fait que les générations nées depuis 2000 évoluent dans un environnement largement marqué par le numérique est de plus en plus souvent évoquée, comme en témoigne le dossier du Monde de l’Education d’Avril 2008. L’expression « digitales natives » fait d’autant plus recette que l’utilisation de l’expression dans sa langue d’origine réveille souvent des fantasmes bien connus dans la société française. Plutôt que de se laisser emporter par une vague médiatique il est nécessaire d’y regarder de plus près.
Comme à plusieurs reprises au cours des cinquante dernières années, la question des conflits intergénérationnels a été marquée par l’emprise du mythe américain : comme si la mère Europe ne comprenait plus sont enfant Amérique du Nord…. Ce mythe est largement marqué par les technologies de la voiture et la moto (James Dean) à l’avion, en passant par la télévision puis les technologies de l’information et de la communication. La société française est d’autant plus interrogée en ce moment que la fameuse exception culturelle dont le sort fait au livre est un des symboles les plus forts, est progressivement remise en cause^, désormais par les élites (? qui sont-elles ?) elles-mêmes. Rappelons nous l’effet de cette chronique récente de Régis Debray, publiée dans le Monde, sur l’évolution du livre et qui a fait débat parce qu’elle annonçait la fin de l’exception symbolisée par la loi Lang sur le prix du livre.
L’accélération apparente du progrès technique et de sa traduction dans nos vie quotidienne repose la question du philosophe : si l’on ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve, qu’en est-il aujourd’hui de la qualité de notre « bouillon culturel » ?
Né avec la télé(1960), né avec l’ordinateur(1980), né avec Internet(2000), trois générations se succèdent soulevant les mêmes interrogations globales et les mêmes débats enflammés. Comment l’environnement matériel, économique et social pourrait ne pas avoir d’influence sur notre façon de penser, d’agir, puisqu’il modifie d’abord notre façon de se représenter le monde. Alors que l’être humain d’aujourd’hui reste biologiquement très voisin, et pourtant différent, de celui d’hier, le seul environnement matériel et technologique peut-il modifier fondamentalement le rapport au monde. Il faut d’abord inscrire ces réflexions dans la perspective des craintes millénaristes. Toute évolution porte en elle un risque d’idée apocalyptique. Dans quelle mesure le débat sur les « nés avec le numérique » s’inscrit dans cette dynamique ? Reprenons ici le travail de Patrice Flichy sur l’innovation technologique pour aller dans le sens d’une réponse positive à cette question.
Cependant il y a toujours un risque à isoler un facteur, fut-il aussi important que celui vécu avec les technologies, pour mettre en évidence un changement culturel. Or l’approche actuelle des « nés avec le numérique » n’échappe pas à ce risque et favorise ainsi de nombreux discours qui demandent à être davantage étayés scientifiquement (ce qui est d’ailleurs reproché à Marc Prensky, mais avec aussi peu d’étayage). On peut identifier en ce moment deux discours : l’un parle de changement culturel complet lié aux TIC, l’autre parle de la superficialité des acquisitions et de l’appropriation des TIC. Ces deux discours ne s’opposent pas radicalement, mais offrent une complémentarité intéressante. Le premier constate en vue d’interpeller, le second met à distance en vue de relativiser. Dans le même temps ceux qui ont mené les enquêtes sur le sujet (Mediappro) nous alertent sur l’évolution continue des pratiques et leur développement. S’il y a interpellation, c’est sur le fait que se développent des pratiques « non maîtrisées » par le monde adulte qui se trouve questionné par les effets de ce qu’il propose à ses enfants. S’il y a mise à distance c’est sur le constat que le mode d’appropriation n’est pas conforme au modèle de l’enseignement scolaire, représentant encore très puissant d’une forme d’othodoxie de l’accès au savoir. On constate la multiplication des usages dans toutes les couches de nos sociétés. On constate le développement de formes techniques variées mais qui ont des traits communs : information et communication tout le temps, par tous et pour tous. Ce qui permet de relativiser cette évolution c’est qu’elle peut s’inscrire dans le développement rapide et continu de l’information et de la communication depuis plus de 2 siècles, appuyé par des moyens techniques nouveaux. Ce qui amène à s’interroger, c’est la construction de nouveaux modes relationnels qui, inscrits plus largement dans un contexte socio politique qui a grandement changé depuis 1989 en particulier (chute du mur de Berlin), et un contexte socio économique globalisé (mondialisation accrue), sont en train de modifier des traits essentiels de « l’être au monde possible » : que perçoit du monde un jeune qui nait en ce moment et à travers quels supports et avec quelle médiation humaine ?
Geneviève Jacquinot parlait d’écrans qui font écran, peut-être faut-il se réinterroger sur nos rapports à l’écran, adultes comme jeunes. Les jeunes sont souvent le miroir déformant des pratiques des adultes qui les entoure, en serait-il autrement avec l’usage des TIC ?
A débattre BD

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