Le livre récent d’henry Mintzberg « Des managers, des vrais, pas des MBA. Un regard critique sur le management et son enseignement » Editions d’organisation (2004 – 2005), est un ensemble de points d’interrogation qui, venus des USA et à propos de la formation des chefs d’entreprise, qui méritent qu’on s’y attarde. En s’interrogeant sur la formation apportée par les MBA, Mintzberg, très connu pour ses travaux sur les organisations, interroge non seulement les pratiques des établissements de formation, mais aussi le contenu de leurs formation et plus généralement le lien entre les formes de ces formation et leur effet sur les entreprises et plus généralement la société. On peut ainsi résumer ses interrogations de la façon suivante : La façon dont le fonctionnement des entreprises américaines dérive actuellement est principalement lié à la façon dont est conçue la formation de ses managers. Ce qui induit plus généralement l’idée que la forme que prend actuellement le modèle entrepreneurial et libéral dominant de notre société occidentale est issue de ces modèles. Le principal accusé de cette charge est le modèle analytique. Ce modèle ignorerait l’approche synthétique et considérerait que la juxtaposition de connaissances dans des domaines qui ont tous traits au même objet suffirait pour former les personnes qui en auraient la responsabilité. Pour Mintzberg il ya plusieurs réductions successives : une première qui fait passer du management à la prise de décision (oubliant l’amont et l’aval de ce moment). La deuxième fait passer la prise de décision à l’analyse (comme s’il suffisait de découper un problème et d’analyser chacune des parties avec un modèle approprié). Enfin le troisième réduit l’analyse à la technique, autrement dit il suffirait d’appliquer des techniques pour aborder chacune des parties à analyser. L’intérêt de cet ouvrage, outre qu’il est une mise en question par un enseignant de l’enseignement dont il est un représentant important, ce qui est rare, c’est qu’il permet d’entrevoir deux aspects importants : l’un concerne les conséquences politiques possibles d’un etl modèle, l’autre, dans un tout autre ordre est celui du découpage disciplinaire. Dans le rapport Périssol, rendu récemment à la commission des affaires culturelles, on peut lire une attaque frontale du découpage disciplinaire dans l’enseignement scolaire et des dérives qu’il amène en matière de lobbying. Comme H Mintzberg le montre, l’approche analytique, que l’on pourrait rapprocher de l’approche disciplinaire serait à remettre en cause. Un certain nombre d’opposants à ce modèle déclarent qu’avant d’avoir une approche globale, systémique, il faut avoir des connaissances dans chacune des discplines. D’où la querelle entre ceux qui revendiquent un strict découpage disciplinaire dès le primaire avant de pouvoir, dans l’enseignement supérieur, aborder une vision systémique, holistique et ceux qui, au contraire pensent qu’il faut travailler à partir d’objet complexe pour arriver aux contenus spécifiques. La confrontation, même si elle est ici présentée sommairement, est importante. En effet, trancher d’une façon ou d’une autre aura inévitablement des conséquences dans les pratiques scolaires. Cette question n’est d’ailleurs pas étrangère aux querelles récentes au Québec, en Belgique ou en Suisse à propos des réformes du système scolaire. Les sciences cognitives apportent un éclairage intéressant à cette question avec la notion de « contexte »(Cl. Bastien). En démontrant que tout apprentissage et toute mobilisation de compétences acquises antérieurement ne peut se faire indépendamment d’un contexte, elles nous invitent à dire que le découpage disciplinaire est toujours risqué dans la mesure où il restreint inévitablement le contexte à la discipline considérée. Autrement dit, s’il est clair que les disciplines sont reliées entre elles et que la maîtrise de cette reliance est indispensable la question se pose de savoir à quel niveau d’apprentissage cela devient nécessaire. Les psychologues de l’enfant et du développemnt montrent que l’enfant est constamment confronté à des situations complexes et qu’il est vain de se limiter à découper la situation en morceaux indépendants à acquérir chacun indépendamment avant de pouvoir faire du lien. Le lien ne vient pas de l’apprenant, mais de la situation d’apprentissage. Certes l’école génère un milieu « propre » d’apprentissage, qui peut être considéré par certains comme hors contexte. L’observation des élèves en classe montre qu’il n’en est rien, A Giordan, comme B.M. Barth ont montré l’importance des préconnaissances des préconceptions dans l’apprentissage. Autrement dit que le contexte d’apprentissage est non seulement extrinsèque mais aussi intrinsèque, l’histoire individuelle est aussi un élément de contexte. La recherche systématique d’une explication rationnelle du monde environnant touche rapidement ses limites comme nombre de chercheurs l’ont exprimé à travers l’analye de leur pratique (Relier les Connaissances, Edgard Morin). Ainsi considérer qu’il faut aller du simple vers le compliqué, fondé sur une rationalisation a posteriori de la réalité se heurte à la confrontation aux situations vécues par un apprenant. Aucune situation d’apprentissage n’est simple, même si l’objet visé l’est. Chaque situation est complexe avant d’être compliquée. La nécessité de faire du lien veint du fait même de cette complexité constatée dès lors que l’on interroge quelqu’un sur le processus de développement de la maîtrise d’une connaissance et d’une compétence. Pour essayer d’éclairer le débat, il semble qu’un mouvement dialectique entre l’approche analytique et l’approche globale est nécessaire pour que tout apprentissage soit autre chose que la simple « mémorisation/restitution d’une procédure »; à moins que l’on ne revendique la division de la population en deux catégories principales : ceux qui appliquent des procédures et ceux qui les pensent dans la globalité. Plus encore qu’un mouvement dialectique, il semble nécessaire de faire en sorte que la forme scolaire permette de sortir d’une double dérive : la scolarisation des objets d’apprentissage d’une part, la pédagogisation de la société (J. Beillerot).
Bruno Devauchelle
1 Commentaire
La façon d’apprendre dépend aussi de "l’apprenant" (mot que je trouve horrible). Nous n’avons pas tous la même façon d’apprendre ou de travailler. J’ai, par exemple, beaucoup de mal avec les cases à cocher. Cette méthode est pourtant très utile pour évaluer les élèves. Je crois que j’ai une vision globale de la performance. Cette approche plus systémique est à mon avis également liée à la l’expérience de chacun. Le sujet est très complexe et, comme souvent, la vérité est dans le subtil dosage de l’analytique et du systémique comme indiqué dans l’article. Ayant travaillé dans le domaine de la qualité je peux dire que ce problème est également présent en entreprise.
Je terminerai sur deux interrogations. Sommes nous capables d’appréhender des systèmes complexes par la seule méthode analytique? Sommes nous tout simplement capables d’appréhender des systèmes complexes?