L'angoisse de l'élève en difficulté

L’élève en difficulté n’est pas uniquement celui qui, couramment appelé cancre » peuple les coins de nos salles de classe. C’est plutôt la masse de ces élèves que l’on qualifie souvent de « moyens » et qui luttent pour exister scolairement. Or ceux là sont ignorés souvent à cause de l’argument qui porte sur les premiers (ces fameux X pour cent qui sont en « grande » difficulté). Et pourtant ce sont ceux là qui peuplent majoritairement notre société : pris en sandwich entre les élites (ceux qui ont réussi à l’école et qui pensent pour nous…) et les exclus (ceux qui sont à la rue ou presque voire dans les centres de rétention).
En ce début de nouvelle année scolaire il me semble important de prendre du temps pour penser aussi à cette masse d’élèves enfermés dans les statistiques et qui pourtant sont bien aussi des personnes qui vont tenter de trouver leur place dans notre société. Le point commun qui les rassemble c’est le risque de basculer de l’angoisse à l’indifférence. En effet face à des difficultés, ils ressentent d’abord de l’angoisse. Comme le disait il y a longtemps Claude Duneton, ils ont plusieurs raisons de l’être : d’abord celle de ne pas y arriver, ensuite celle de se sentir moins bon que les copains, puis celle de se faire admonester à la maison et enfin celle de se faire mettre de coté par les profs (le fameux peut-mieux faire de nos chers bulletins). Cette angoisse souvent cachée est pourtant bien différente de celle de celui qui, habitué à réussir, attend le résultat de l’évaluation. La répétition de l’échec ou de la mise en difficulté est génératrice d’un état général qui peut basculer à tout moment ves la résignation voire l’indifférence.
De nouvelles disciplines laissent souvent l’espoir d’un renouveau, mais malheureusement force est de constater que le système d’enseignement est suffisamment homogène pour générer souvent les mêmes difficultés pour les mêmes élèves. Et il y a les exceptions, les échappatoires. Les enseignants d’EPS ou de technologie, entre autres, repèrent souvent ces élèves mais ne peuvent que rarement faire valoir leur point de vue sur eux et surtout leur ouvrir des pistes nouvelles vers la réussite scolaire, car le système est résistant…
Le développement des TIC peut laisser croire à de telles possibilités de changement. Ainsi le mythe des petits génies dans leur garage s’écroule rapidement en regard d’un système organisé. Est-ce l’objet d’apprentissage ou les modalités d’accès ces apprentissages et à leur reconnaissance qui sont en cause ? On voit souvent de ces élèves en difficulté devenir de brillants usagers des TIC. Mais que signifie ce brillant ? Beaucoup d’enseignant signalent qu’en réalité ils ne comprennent pas bien ce qu’ils font et que de toute manière leurs habiletés ne sont pas scolairement valorisables. En mettant en parallèle ces deux arguments (le second étant souvent implicite) je veux signaler ici un des problèmes centraux de la scolarisation des savoirs de la pratique. Pour beaucoup de jeunes les savoirs de la pratique n’ont pas droit de cité à l’école, dans leur imaginaire. Dans la réalité, ils sont souvent rappelés à l’ordre dès lors qu’ils font référence à ces pratiques. Cette rupture, si rupture il y a, est, à mon avis catastrophique.
Le problème de l’apprentissage, des TIC ou autres choses, n’est pas d’être conforme au moule final édicté par l’institution, mais d’effectuer un parcours qui part obligatoirement des savoirs de la pratique pour aller vers des savoirs partagés et construits. Or pour partager et construire des savoirs, il faut mettre en place un accompagnement, des dispositifs qui rendent possible ce cheminement. L’école, le système d’enseignement, étant principalement conçus par ceux qui en connaissent les voies les plus directes, et les plus productives, il n’est pas étonnant que notre système ne parvienne pas à faire faire le chemin à de nombreux élèves. Surtout lorsque ce chemin est quasiment unique (confère les analyses sur les filières scolaires de réussite). De plus, comme nous le signalions dans un précédent billet, le modèle industriel de la scolarisation en France ne favorise pas des dispositifs alternatifs.
Le développement des TIC dans la société bien avant leur développement dans l’école (dont on peut dire qu’elles y sont en échec après trente années) est une opportunité pour questionner le système : comment de tels outils peuvent-ils faire l’objet de tant d’usages dans la vie quotidienne, personnelle ou professionnelle et ne pas parvenir à s’intégrer véritablement au système d’enseignement ?. Encore faut-il que l’on accepte plus globalement le questionnement porté pourtant par de nombreux observateurs et chercheurs de l’apprentissage, Célestin Freinet, Britt Mary Barth, André Giordan ou d’autres… à savoir celui de rendre possibles des chemins pour tous les élèves vers la connaissance… et leur permettre de diminuer ou au moins déplacer leurs angoisses pour les leur rendre acceptables…
A suivre et à débattre…
BD

2 Commentaires

    • Alain Chanteraud sur 27 août 2008 à 09:40
    • Répondre

    Un autre moyen consiste à mélanger les avantages de diverses disciplines apparemment antinomiques : je suis prof. bivalent technologie / histoire-géo. et je ne manque pas une occasion d’utiliser des techniques « techno. » (petits groupes de travail, TIC évidemment…) en Histoire-Géo. y-compris à distance ou via d’autres canaux audiovisuels. Il faut faire feu de tout bois, pas de recette toujours, mais une grande curiosité sur ce qui peut paraître motivant pour ce type d’élève. Partir de ce qui semble plus naturel pour eux et surprendre par nos propositions pédagogiques.

  1. Le système d’enseignement tel qu’il existe aujourd’hui ne peut intégrer des outils « chronophages » ; le temps est bien ce qui pose problème : les élèves sont contraints d’effectuer leurs apprentissages à marche forcée pour coller au sacro saint « programme », enfermés dans un emploi du temps inhibiteur; dans ces conditions (je ne parlerai pas du travail d’équipe des profs et de la réflexion pédagogique : pas le temps!!) comment envisager l’organisation de parcours adaptés qui respecteraient le rythme des apprentissages et prendraient le temps d’une évaluation valorisante et véritablement formatrice qui permettraient de redonner confiance à ceux qui « peuvent mieux faire » mais ne savent pas comment s’y prendre….La seule solution : changer de système ?

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