Pour des pédagogies adaptées à un contexte "numérique"

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A force de dire et d’entendre dire que les pédagogies traditionnelles ne sont pas adaptées aux TIC, ce que la difficulté de leur intégration par les enseignants confirmerait. A force de dire et d’entendre dire qu’il faudrait une nouvelle forme de pédagogie adaptée à ce nouveau contexte, mais d’observer que ce que l’on nous propose (cf M Fourgous, http://www.jmfourgous.com/, dans ses analyses et propositions récentes au ministre de l’éducation) n’est qu’un placage d’idées pédagogiques mal comprises sur une réalité peu analysée, il me semble nécessaire d’essayer d’engager le débat sur la nature de « ces nouvelles pédagogies qui prendraient en compte le fait TIC en éducation » mais aussi sur leurs réalités pratiques.
Deux choses doivent être précisées en premier lieu.
– Il ne peut y avoir une seule pédagogie qui s’impose à tous. C’est pourquoi je parle ici au pluriel, mais sans oublier que cela ne doit pas se faire sans cohérence dans les finalités. Les oppositions médiatiques apparues au cours des dix dernières années ne sont que le résultat du système du spectacle qui, en organisant le débat selon ses règles, oublie simplement la réalité des pratiques (cf le débat sur les méthodes de lecture)
– Prendre en compte le fait TIC en éducation est plus important qu’utiliser les TIC en éducation, même s’il est souhaitable et dans certains cas indispensable de s’y contraindre. En éducation est ici choisi car le fait TIC dépasse les limites des sphères de l’activité d’un jeune au quotidien : éducation scolaire, éducation familiale, éducation sociale sont les trois principales composantes qu’il faut tenter d’articuler chacune dans ses spécificité. Cependant les trois peuvent aussi repenser les pédagogies adaptées à leur contexte. Le fait TIC est ici employé pour préciser qu’il n’y a pas de volonté progressiste ou de résistance, mais simplement la volonté de prendre en compte ce qui s’impose dans un contexte social donné qui, s’il nous dépasse au quotidien, est quand même le fruit des choix collectifs d’une nation, voire d’un type de société ou d’un type de culture.
Trois propositions qui ne se veulent ni exhaustives, ni idéales, mais pour donner à réfléchir et à débattre :
1 – Une pédagogie de l’apprendre ensemble qui change les symétries traditionnelles de la classe
2 – Une pédagogie de l’appropriation qui impose de dépasser les limites des murs de l’école
3 – Une pédagogie de l’autonomie réflexive accompagnée qui soit structurante, avant d’être strictement structurée
1 La pédagogie de l’apprendre ensemble
A partir du double constat des écarts d’habileté et de l’inflation info-communicationnelle sur Internet, on ne peut que favoriser les démarches qui associent le jeune et l’adulte dans la construction des connaissances. Construire les connaissances, c’est effectuer le passage qui va de l’accès aux savoirs à l’usage des savoirs dans des contextes variés. Construire les connaissances c’est aussi être en nteraction pour rendre possible la structuration des connaissances en référence à des cadres que les médiateurs (enseignants, parents…) sont en mesure de proposer de par leurs propres connaissances et expériences.
– Les écarts d’habileté doivent pouvoir être dépassés car ils ne sont que sur la dimension de la maîtrise technique. La condition de ce dépassement est que l’on centre l’apprentissage non sur l’outil mais sur le contenu et le processus amenant à passer du savoir à la connaissance. Le médiateur, en pédagogie est celui rend possible la construction des connaissances par des ajustements successifs qu’il propose/soumet à celui qui apprend. Ces ajustements visent à maintenir celui qui apprend dans la « bonne direction » et lui permettre de s’autonomiser progressivement.
– L’inflation info-communicationnelle rend caduque toute volonté pour quiconque de restreindre l’espace d’apprentissage sauf à s’enfermer de manière très rigoureuse à l’abri de cet univers. Ceci est possible et parfois souhaitable, mais sans jamais oublier que l’absence physique d’instruments n’empêche pas le fait que chacun soit marqué dans sa mémoire par la trace des usages antérieurs.
L’organisation des enseignements se base alors sur un « contrat de but à atteindre » et sur la recherche commune de stratégies adaptées à ce but. L’environnement de travail, souple et adapté aux différentes formes nécessitées par les activités possibles, permet une interaction réelle entre l’ensemble des participants à la séance d’apprentissage et garanti aussi une trace aussi bien collective qu’individuelle. L’autonomie de chacun est accompagnée par trois éléments : le but, les « fiches de travail »(ensemble des supports permettant de construire le cheminement et sa trace) et l’accompagnement
2 La pédagogie de l’appropriation
Parce que chacun à un passé et un avenir, un dedans et un dehors de l’école, l’appropriation est ce processus qui permet de faire sien un « objet externe » c’est à dire de le rendre réutilisable par celui qui se l’est approprié de manière pertinente, et parfois transformée (braconnage). Les TIC, par ce qu’elles permettent de dépasser ces limites imposées par la forme scolaire largement partagée par les acteurs de l’éducation, questionnent tout système d’enseignement fermé. Que ce soit la question des pré-connaissances ou celle de la formation tout au long de la vie, dans la salle de classe, l’élève est « de passage ». Or c’est au cours de ce passage que l’élève doit pouvoir passer d’une pratique spontanée des connaissances à une pratique structurée et ensuite de cette pratique structurée à une pratique réutilisable et transférable dans différents contextes et de manière durable.
– Le premier incontournable de cette pédagogie est la triple référence : ce que l’élève sait, ce à quoi l’élève peut accéder, ce que l’élève peut devenir. Ces références sont à la base d’une pédagogie qui interroge toujours l’élève sur ce qu’il sait en commençant un apprentissage. C’est ensuite une pédagogie qui impose la confrontation des savoirs entre les sources, l’enseignant/médiateur en étant une parmi d’autres, comme tous les participants à la séance. C’est enfin une pédagogie qui impose la réutilisation régulière des apprentissages réalisés en dehors du contexte initial d’acquisition, en dehors des contextes d’évaluation/contrôle, dans des cadres peu voir pas scolaires.
– Le deuxième incontournable de cette pédagogie est l’attention constante au processus en train de se développer. Pour y parvenir, les temps de réflexivité, individuelle et collective, doivent être inclus dans l’activité. Cette réflexivité se base sur des interactions et peut, à l’aide des TIC, dépasser les limites du temps et de l’espace de la classe et de la séance.
3 La pédagogie de l’autonomie réflexive et structurante
Le développement des TIC introduit dans l’environnement de chacun de nous un ensemble d’éléments auxquels nous n’avons jamais eu accès de manière aussi instantanée, immédiate et aisée. Les chemins de lectures (sous toutes les formes), jadis tracés par des maîtres ou par les formes mêmes du discours, sont en train de se modifier. D’une temporalité inscrite dans le contenu (linéarité du discours a priori) à une temporalité définie par l’usager (linéarité du discours qui se construit par le lecteur) le passage est de plus en plus important et rend le lecteur de plus en plus responsable, auteur de sa lecture. D’une passivité inscrite dans les modalités du discours (autorité du maître, support non modifiable, absence d’interaction émetteur récepteur) à une interactivité, voire une interaction, presque imposée (liens hypertextes, espace de collaboration, messageries instantanées, blogs, wiki), l’évolution est d’autant plis importante qu’elle change radicalement certaines symétries sociales ancrées dans les pratiques depuis plusieurs centaines d’années.
Les nécessités d’accompagner la construction des cheminements, le pilotage des interactions, la mise en lien linéaire du non linéaire sont, parmi d’autres, des urgences éducatives de plus en plus criantes auxquelles nous ne sommes pas encore prêts à répondre. Les modèles traditionnels ressurgissent jusqu’au coeur même des outils par lesquels ils sont mis en cause, comme avec les TBI/TNI ou encore davantage, avec les écrits de l’écran. La tentation est forte pour les médiateurs, tels les journalistes ou les enseignants, de transposer les pratiques sans TIC dans un univers avec TIC. Ce combat, actuellement très médiatisé dans le monde du livre dont on perçoit clairement l’évolution, est pourtant le signe d’une nécessaire réflexion sur l’accompagnement à fournir aux jeunes d’abord, mais à tous dans une pédagogie qui s’appuie sur une autonomie qui ne soit pas sur survalorisation responsabilisante du moi, et dans des pratiques permettant la structuration et qui ne soit pas l’imposition d’un ordre préalable établi qu’il s’agirait de conforter.
Cette pédagogie s’appuie au quotidien dans l’utilisation courante de pratiques qui donnent à celui qui apprend la responsabilité partagée du but atteindre et surtout la responsabilité « négociée », « transactée » avec l’enseignant, de la trajectoire permettant d’accéder à la connaissance. La conduite de la classe est basée sur des buts à atteindre autorisant, voire nécessitant une « ingénierie » de trajectoire et une évaluation constante de la progression (démarche type la main à la pâte par exemple de manière partielle ou encore la méthode des objectifs obstacles ou des situations problèmes chères à  Gérard de Vecchi ou à Jean Pierre Astolfi). A la traditionnel dyssymétrie fondée sur la position par rapport au savoir se substitue une dissymétrie par rapport aux processus et aux méthodes pour accéder aux savoirs. D’une exigence bien supérieur pour l’enseignant, elle suppose une abandon d’une position ancienne de pouvoir par la connaissance sans pour autant renoncer à la connaissance et la mise en place d’une position nouvelle dans l’accompagnement des processus sans pour autant définir un nouvel espace de pouvoir dans l’imposition de trajectoires types.
L’autonomie n’est pas comprise ici comme la survalorisation de l’ego responsable comme cela est souvent dénoncé en tant que démarche libérale (mais aussi déresponsabilisante pour les enseignants), mais plutôt comme la nécessité de permettre l’émergence d’une conscience individuelle de celui qui apprend. L’autonomie lui permet de s’affranchir progressivement des cadres donnés par les enseignants, les éducateurs pour pouvoir ensuite mieux les solliciter pour poursuivre, de lui-même sa trajectoire dans un contexte aussi abondant et varié que celui proposé par les TIC.
Conclusion
Comme on le voit, l’opérationnalisation quotidienne de ces pédagogies mériterait d’être travaillée davantage. Cependant la lecture de nombreux pédagogues anciens et innovants pourrait donner matière à concrétiser ces orientations. Cette tentative de décalage n’a d’autre but que de susciter une prise de conscience collective du monde de l’enseignement et de l’éducation sur l’importance de tenter de proposer des évolutions pédagogiques qui sortent des éternels débats dans lesquels une spectacularisation de la pensée nous a enfermés depuis près de dix ans en éducation. Les alertes sont nombreuses depuis plusieurs années (fin des années 90) mais l’attentisme général, le sentiment d’impuissance, l’amnésie pédagogique ou encore la peur de prendre des coups en ont fait renoncé plus d’un…
A suivre et à débattre
BD

6 Commentaires

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  1. Bonjour,
    Je trouve votre article assez clair sur l’analyse de la non-intégration des TIC dans l’école.
    Il est impératif de rassurer les collègues sur leurs compétences techniques (les écarts d’habileté posent trop les enseignants dans une position inconfortable), mais cela ne suffira pas à intégrer ces techniques. En effet, sans une connaissance des possibles en matièere de TIC, sans culture technologique et info-communicationnelle, il sera impossible d’engager les élèves vers l’autonomie car les enseignants ne seront pas autonome.
    Je retiens 2 phrases : « A la traditionnel dyssymétrie fondée sur la position par rapport au savoir se substitue une dissymétrie par rapport aux processus et aux méthodes pour accéder aux savoirs. » et « L’inflation info-communicationnelle rend caduque toute volonté pour quiconque de restreindre l’espace d’apprentissage sauf à s’enfermer de manière très rigoureuse à l’abri de cet univers. » Tout un programme pour la formation des enseignants…
    Stéphane FONTAINE.

  2. (Réflexion)
    Encore, cela me rappelle le continuum de formation continue, entendu chez un formateur en enseignement coop, il y a quelques années. Typiquement, l’enseignant peut passer de :
    – l’incompétence inconciente, à
    – l’incompétence consciente, à
    – la compétence consciente (moyennant de l’accompagnement/formation), et
    – ultimement, à la compétence inconsciente
    Simple, mais pas évident tout de suite.
    😉

  3. En tant qu’enseignant en informatique, je suis confronté à cette problématique…
    Je déplore que l’on en soit encore à se demander comment former les enseignants aux TICEs, tel que le souligne Stéphane dans son commentaire.
    Ces mêmes enseignants qui exigent de leurs élèves, autonomie, motivation, innovation voire anticipation, ne peuvent-ils pas mettre en pratique leurs propres exigences ?
    Si il me fallait retenir une phrase de ce billet, ce serait celle-ci, qui, me semble-t-il s’applique à toutes les activités d’apprentissage :
    « Les temps de réflexivité, individuelle et collective, doivent être inclus dans l’activité. Cette réflexivité se base sur des interactions et peut, à l’aide des TIC, dépasser les limites du temps et de l’espace de la classe et de la séance.« 

    • JUGIEU Karine sur 15 octobre 2009 à 05:08
    • Répondre

    Votre article est tellement vrai, mais la « machine est tellement lente »!! Même parmi certains maître- formateurs de l’IUFM, la technologie des TIC »E », (terme utilisé dans l’enseignement) n’est aucunement utilisée…nous en sommes toujours à l’âge de pierre!!En ce qui concerne les écoles primaires, certaines ne sont pas du tout équipées de postes informatiques, d’autres le sont, mais le nombre de postes étant si limité, que vous ne pouvez y accéder que rarement, le temps d’une séance…Le C2I2E a été mis en place pour « former » les nouveaux enseignants, mais pour les anciens, peu d’obligations.Il y a souvent un très grand décalage entre l’évolution des usages des élèves et les cours auxquels ils assistent quotidiennement, hélas!

  4. On parle des TIC comme s’il n’y avait pas plusieurs étapes dans la trajectoire éducative d’un petit d’homme
    l’age de la médiation
    l’age de l’autonomisation des capacités de l’apprendre
    l’age de l’autodidaxie tutoré.
    Ne pas partir de l’apprenant et de ceux qui sont les agents de l’apprentissage, mais des outils, me semble conduire à chercher l’adaptation de l’homme à la machine.
    [A moins qu’il faille absolument changer l’homme pour créer une nouvelle dépendance, utile pour des raisons de développement économique? ]
    Il me semble indispensable de repenser les anciennes ET les nouvelles technologies de l’apprendre à travers les rythmes des apprenant (dans la vie, dans les cycles, dans l’année, dans la journée) si l’on désire déboucher sur autrechose que du discours vide.
    Une remarque, il faudra très bientôt supprimer le N de NTIC
    ces techniques n’étant nouvelles que pour les adultes.
    Annecdote (les enfants auraient besoin d’un peu de stabilité autour d’eux … mais peut-être a-t-on des raison de ne pas le souhaiter ?)
    dans un cours de sixième où nous voyions les nombres qui n’ont pas d’écriture décimale illimitée comme 1/3
    j’ai brièvement évoquée (ce paysage lointain que l’on doit construire progressivement par petite touche avant que l’élève n’y avance) les nombres tels que celui permettant de mesure la diagonale d’un carré de côté 1 (dont on ne sait même pas prévoir les décimales comme on sait le faire pour 1/3)
    J’ai ensuite dit
    « vous verrez ces nombres en quatrième »
    Une élève m’a alors demandé
    « ce sera encore vrai dans deux ans ? »

    Oui, les enfants auraient besoin d’un peu de stabilité

    1. Un passage de votre commentaire m’étonne : il faudra supprimer le N de NTIC. Si vous me lisez, vous savez que depuis très longtemps j’ai supprimé le N et aussi le E, et parfois j’ai bien, envie aussi de supprimer le T. En effet, le N n’a plus lieu d’être, ni pour sa réalité, ni pour ce qu’il porte dans l’imaginaire… Le E doit aussi être supprimé car cela amplifie l’idée qu’il y aurait un « à part » pour l’école par rapport au monde, or les TIC sont justement au delà de ces frontières.
      Enfin le T me semble de plus en plus suspect dans les réflexions pédagogiques qu’il faut mener prioritairement, surtout si l’on est centré sur celui ou celle qui apprend, car on s’aperçoit que si on met trop en avant la dimension technique, d’abord, technologique, ensuite, on oublie complètement les deux autres dimensions qui ont un bien plus grand impact sur la culture et la société.

  1. […] bien aussi que dans le cas où on ne ferait qu’annoncer l’utilisation de machines, sans vision pédagogique concordante, les initiatives ne produisent pas les fruits escomptés. Je rappelle l’objectif de départ: […]

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