Passer d'une pratique des TIC à la maîtrise de compétences TIC dans des contextes variés

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Quelles sont les connaissances acquises pendant la scolarité dont je peux dire dix, vingt ou trente ans après qu’elles sont toujours disponibles dans mon quotidien ?
Quelles sont les connaissances acquises en dehors de ma scolarité, dans ma vie personnelle ou professionnelle qui sont disponibles pour mon quotidien
Quels sont les passerelles possibles entre connaissances scolaires et connaissances de la pratique ?
L’exemple des TIC et des débats sur leur intégration à l’école fournit un bon cas d’école qui interroge en réalité bien d’autres dimensions que les seules dimensions techniciennes, comme beaucoup tentent de l’imposer dès lors que l’on parle des TIC à l’école. Le constat d’une évolution constante des pratiques spontanées des TIC s’impose chaque jour un peu plus. Les questionnements issus de ce constat évoluent dans le temps, eux aussi sous l’effet de plusieurs facteurs : élargissement des usages, accoutumance des usagers, ergonomie des outils, appropriation des contextes d’usage, émergence de nouveautés dans le rapport au savoir, etc…
La relation enseignant élève est bâtie sur le postulat de connaissances que l’enfant ne possède pas et qu’il doit acquérir à l’Ecole et c’est l’enseignant qui, les possédant, doit les lui « transmettre » (au sens de mettre entre, c’est à dire en mouvement vers). Cela se conçoit aisément mais, et c’est là toute la difficulté de l’enseignement et le coeur de nombreux débats, ne se réalise pas aussi facilement que nombre de personnes le conçoivent.
Le modèle traditionnel de transmission de l’information ou du signal, repose sur l’idée que tel qu’il est émis, tel qu’il est reçu. Quand on se pose la question de la propagande, on remarque son efficacité, mais partielle. Si elle était totale, il n’y aurait pas de résistance, d’opposition, d’interprétation divergente, bref de réception non conforme à l’émission. Les spécialistes du signal (CRC, par exemple) ont conçu des systèmes pour éviter cela dans le numérique. Mais dans l’humain, les choses se compliquent, ou plutôt se complexifie comme aime à le dire et le démontrer Jacques Ardoino lorsqu’il parle de la communication humaine (in les avatars en éducation, PUF, 1999 -sous réserve). La trahison du récepteur n’est pas un droit, c’est un fait… Ce que l’on peut imaginer pour une simple conversation, on peut tenter de le transposer dans le domaine de l’enseignement et l’on comprendra mieux les limites d’un système transmissif uniquement magistral. Si ce système d’enseignement a été mis en cause depuis très longtemps (ne non pas seulement par des auteurs récents, cf l’histoire de l’éducation) c’est qu’il n’était efficace qu’à certaines condition, très peu répandues dans la population… D’où la tentative de trouver de nouvelles formes d’enseignement/apprentissage qui soient ouvertes au plus grand nombre, sachant que l’on n’a pas (encore ?) réussi à trouver (comme en rêvaient les structuralistes, cf le travail de N Chomsky) une matrice commune à tous les hommes et qui permettrait de mettre en place un modèle unique.
L’échec de ce projet d’un système éducatif qui ferait réussir tous les élèves sans exceptions se trouve confirmé avec d’autres modèles (ou du moins supposés tels) dès 1995 en France. Le maintien (insupportable ?) de cette part incompressible de jeunes en difficultés (et d’adultes ensuite) est à l’origine de nombreux débats, davantage idéologiques que techniques, voire philosophiques. Or des travaux de recherche tentent depuis de nombreuses années d’ouvrir de nouvelles pistes de réflexion et l’une d’elle consiste à interroger ce que les jeunes savent avant de commencer à « apprendre » officiellement. Que ce soit les travaux de Britt Mary Barth, ceux d’André Giordan, dans le domaine des apprentissages scolaires ou encore ceux de psychosociologue et psychologues cogniticiens ils suggèrent la notion de représentation, de précurseur, de pré-conception comme entrée dans la réflexion. De même dans les pays à faible taux de scolarisation, le développement progressif des systèmes éducatif se heurte aux autres modes d’accès aux savoirs. L’école, considérée comme indispensable, rentre en conflit avec la tradition culturelle et en particulier familial. Lorsque Jules Ferry, à l’instar de Marcelin Champagnat ou d’autres, avaient situé la scolarisation en opposition à la barbarie à laquelle les enfants sont exposés. C’est bien cette opposition radicale, fondatrice de notre système éducatif, qui rend difficile aujourd’hui l’acceptation d’un apprentissage valable qui serait fait en dehors de l’école.
L’incompréhension générale du constructivisme et du socio-constructivisme repose aussi sur cette caricature qui consiste à considérer que cette approche sous tend l’idée que les élèves sont possesseurs de savoirs qu’il suffirait de réveiller au lieu de le leur transmettre. Or le travail de Jean Piaget et nombre de ses successeurs a été caricaturé. Il s’agissait d’abord de montrer que c’est le cerveau de celui qui apprend qui est premier dans ce processus et non pas le seul effet d’apports extérieurs. Cela implique donc qu’il faille prendre en compte ce fonctionnement mental dans la construction des connaissances. De plus ces auteurs ont aussi montré l’importance des confrontations et interactions pour que ce processus de construction des connaissances puisse avoir lieu. Malheureusement l’interprétation sommaire de ces approches les a condamnées à être suspecte au lieu d’être comprise pour ce qu’elles voulaient montrer. Les travaux actuels des sciences cognitives nous invitent à réfléchir à cela, encore faut-il que chacun essaie d’y accéder pour mieux en comprendre l’intérêt.
Ainsi les TIC apportent à notre système éducatif une question renouvelée pour laquelle les réponses classiques sont inopérantes au premier rang desquelles la réponse disciplinaire. L’observation des pratiques sociales des TIC met en évidence la place des contextes d’usage comme bases pour engager une démarche de structuration et de compréhension de ces usages. Le travail « d’abstraction » que chacun est amené à faire dans cette démarche ne peut être seulement décrété par un programme disciplinaire au risque de déconnecter les fondements de l’informatique des réalités de leur mise en oeuvre. Par contre l’accès aux références indispensables, concepts fondateurs, éléments structurants, repères de compréhension doit être garanti par un système d’éducation et de formation. Tant que l’histoire scolaire tentera de se reproduire à l’identique, il y a peu de chances que les TIC puissent y trouver une place correspondante à l’importance qu’elles ont prises dans notre quotidien…
Passer d’un savoir d’usage à un savoir conceptualisé suppose de ne pas ignorer le premier.
A débattre
BD

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