Le danger de la loupe et du micro-monde : viellir

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Depuis le début de l’année scolaire je m’interroge sur l’écart entre les discours des passionnés, des spécialistes, voire des décideurs et celui des gens dont ils parlent. J’ai, à intervalles régulier, selon le lieu où je me trouve, l’impression que ces discours sont de plus en plus éloignés les uns des autres.
– Les passionnés des TIC se rapprochent souvent entre eux, et leur passion les amènent à échanger avec fougue sur ce qu’ils font. L’effet groupe amplifie chez eux la croyance selon laquelle le monde est identique à celui qu’ils vivent.
– Les décideurs, pris dans la tourmente de l’activité, ont recours à des intermédiaires pour percevoir le monde qui les entoure. Eux-mêmes se retrouvent pris dans un « petit monde » qui lui aussi amplifie la perception relative du monde
– Un groupe d’enseignants, dans un établissement scolaire, vit aussi ce phénomène de la loupe et du micro monde. Chez cela se traduit, par l’utilisation de la première personne : je nous, l’allusion au local, dans ma classe, et enfin par l’argument massif : concrètement, sur le terrain.
J’observe avec attention depuis le début de l’année que les moyens de communication se multiplient, twitter en est le dernier avatar à la mode, et pourtant l’effet loupe et micro-monde s’amplifie. En d’autres termes, plus il est facile de communiquer, plus la variété des communications de restreint. Cette impression est issue du sentiment de se sentir dépassé. En effet chaque fois que vous plongez dans l’une de ces communautés, en ligne ou pas d’ailleurs, vous avez l’impression de changer de monde et surtout une impression d’étanchéité, comme si l’on était plus capable d’écouter autre chose que sa propre musique ou celle qui y ressemble.
Le problème posé par ce constat est qu’il ne s’applique pas aux jeunes mais d’abord aux adultes expérimentés. Ainsi il semblerait qu’une des caractéristiques de l’avancée en âge soit la restriction du champ de vision. Jacques Brel, mais délicatement, avait évoqué jadis cela dans sa chanson « les vieux »  dans lesquels il évoquait cette étape de la fin de la vie que l’on peut retrouver dans ces vers :
Même riches ils sont pauvres, ils n’ont plus d’illusions et n’ont qu’un coeur pour deux
….
Les vieux ne bougent plus, leurs gestes ont trop de rides, leur monde est trop petit
Du lit à la fenêtre, puis du lit au fauteuil et puis du lit au lit
…..
Ils se tiennent la main, ils ont peur de se perdre et se perdent pourtant
Le risque que j’observe c’est que les communautés qui se forment ne ressemblent rapidement à ces vieux que nous décrit Brel. Être vieux trop tôt c’est le risque de l’enfermement sur ses certitudes, avec ceux de son groupe de pensée, avec les mêmes objets… Ce risque nous guette tous et particulièrement ceux que j’évoque en début de ce billet.
Les TIC et Internet en particulier sont une formidable fenêtre d’ouverture sur le monde et pourtant chacun de nous s’efforce d’en réduire la taille voire même de la fermer, de peur probablement que le vent ne fasse entrer dans nos maisons d’autres réalités que nous ne serions plus à même d’entendre. Ainsi le mot « intégration » est-il symbolique de cet enfermement quand il permet de qualifier ce qui venant de l’extérieur doit s’adapter à l’intérieur. Il faut bannir le mot intégration si l’on veut qu’il y ait réel métissage. Il faut adopter le mot intégration si l’on veut plier toutes les réalités externes à notre prisme personnel ou de petite communauté.
Je ressens fortement en ce moment ce paradoxe : alors que le monde s’ouvre à nous, pauvers humains, notre premier réflexe est de le réduire à notre petit univers… Souhaitons que les nouvelles générations ne vieillissent pas trop vite…
A débattre
BD

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