Développer l'esprit critique, pas si simple !!!

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Le développement d’Internet mais aussi auparavant celui des médias de flux obligent, tout comme avant leur existence comme Socrate nous l’a appris, à développer le sens critique. Les sophistes avaient déjà un rôle important dans la société… grecque et leur critique était nécessaire. Est-ce que les technologies de l’information et de la communication ont modifié ce questionnement ? Sûrement pas si l’on s’en tient à la stricte nécessité. Évidemment si l’on regarde l’ampleur et la complexité de la tâche.
Je viens de finir la lecture d’un ouvrage appelé « les éditocrates » (M.Cholet, O.Cyran,S.Fontenelle, M.Reymond, La Découverte 2009) et je dois avouer qu’il me donne beaucoup à penser sur cette question de l’analyse critique. Deux sentiments, deux réflexions, deux analyses coexistent après cette lecture : D’abord, bravo pour cette remise en cause de ces personnalités qui passent leur temps à tenir la parole dans les espaces publics à flux continus (la presse et les médias de flux). Le travail de déconstruction qui vise 10 personnalités (mais ce n’est pas limitatif) est salutaire, il mériterait d’être fait pour tout un chacun, tant l’être humain est fait de faiblesses et de contradiction (du moins pour la plupart d’entre nous, dont moi). A ce titre et sur un plan éducatif, cet ouvrage pourra aider les enseignants qui souhaitent développer l’esprit critique de leurs élèves ou étudiants. Mais ensuite, il ne faudra pas se limiter à l’objet de ce livre dans l’approche critique, mais l’ouvrir aux auteurs et au contenu même de ce livre. En effet les sophistes de tous bord sont présents dans ce livre : les auteurs aussi bien que les personnalités visées, mais pas pour les mêmes raisons (quoique). En effet le raisonnement scientifique et rigoureux que l’on croit percevoir est enfoui dans un une « manière de dire » qui est trop habituelle pour ne pas être dénoncée : citations hors contextes, mises en parallèles sommaires, commentaires peu sympathiques entre parenthèses et surtout présentation sous la forme d’attaque des personnes avant même d’attaquer les propos de ces personnes.
Et là pour l’enseignant pour l’éducateur, le livre pose question. C’est comme si dans les commentaires d’une correction de copie je commençais par écrire d’un élève : « Toi qui a l’habitude de te moquer du monde en parlant à tes voisins et en travaillant à la dernière minute » avant de nommer ce qui est l’objet même de la correction d’une copie « je relève dans ton texte des inexactitudes qui laissent penser que tu as mal compris ou mal mémorisé (ou les deux) ce que nous avons fait en classe » (par exemple).
C’est ainsi que les auteurs de ce livre agissent, à l’instar de nombreux contradicteurs qui œuvrent sur Internet (et parfois au delà). Cette forme de prise de parole est préjudiciable au contenu même du propos qui suit. Je blesse la bête et ensuite je le justifie en citant des extraits qui illustrent l’estocade, ce qui évite (empêche même) d’avoir ensuite à prouver, sérieusement, le bien fondé de la critique et surtout de préciser les présupposés sous sous-jacents à ce propos. Car c’est aussi un art que de ne jamais dire d’où l’on parle pour accuser les autres de ne pas y être. En d’autres termes, comme le proverbe le dit : « la critique est facile mais l’art est difficile ». Le problème est que le propos, même justifié, perd ici de sa pertinence (selon moi) et surtout de sa véracité voire de sa scientificité. Certes en terme d’impact, cela frappe fort. Les coups sont assénés, tels le boxeur, avec force, parfois un peu bas ou après le gong, mais au moins le spectateur en a pour son argent. Ce type de livre fait passer en avant l’art de la rhétorique spectaculaire pour mieux s’attaquer à la spectaculaire réthorique. Cette étrange collusion que je crois percevoir déplaira probablement aux auteurs qui s’en défendront. Malheureusement, en tant qu’éducateur à la recherche d’outils pour construire un travail autour de la critique, je ne peux puiser dans ce genre d’ouvrage de quoi travailler sérieusement, si ce n’est contre ses auteurs mêmes, ce qui est paradoxal.
Cette première partie pourrait n’avoir que peu de rapport avec le contenu de ce blog, si plusieurs passages éclairant de cet ouvrage ne nous montraient pas que justement il y a un problème avec « l’expression populaire » présente sur Internet. Car ce qui est commun à tous les personnages présentés dans cet ouvrage c’est que les « autorisés » à la parole sur les médias de flux résistent par tous les moyens à l’émergence d’une autre « autorisation » de la parole par les médias interactifs. Si je suis accueilli par les médias de flux alors ma parole est autorisée. Dès lors je peux dire n’importe quoi, car j’ai la parole. Le fait que sur Internet apparaisse une parole divergente et qu’elle reçoive un accueil assez large met en question de pouvoir de sélection des médias de flux. Ces médias sélectionnent leur champions (qui le leur rendent bien comme en témoignent les auteurs de l’ouvrage) et la collusion entre eux les incite à rejeter tout média qui permet l’émergence d’une pensée dissidente. Cette dénonciation forte contenue dans cet ouvrage me semble mériter notre attention. Même si ce n’est pas l’objet de l’ouvrage, sa lecture laisse pourtant largement cette question ouverte : les personnalités qui ont droit à la parole dans les médias de flux sont-ils remis en question ? Si oui, l’existence d’Internet n’est elle pas à la base de cette remise en question ?
Or à cette dernière question, un député UMP a rapidement répondu qu’il faudrait « nationaliser » Internet. Ce que ne renieraient surement pas certaines des personnalités épinglées dans cet ouvrage, mais peut être que ses auteurs auraient les mêmes réflexes s’ils étaient, eux aussi, l’objet des mêmes situations et donc des mêmes critiques.
En conclusion il me semble nécessaire d’évoquer quelques principes simples de l’analyse critique :
– situer d’où l’on parle (qui je suis, quelle est mon implication ?);
– analyser rigoureusement les paroles des autres dans leur continuité et pas seulement dans des extraits isolés et décontextualisés;
– permettre un vrai débat, c’est à dire reformuler les oppositions en les situant toutes les deux (à charge ET à décharge);
– aider le lecteur à se faire son opinion en lui permettant vraiment de retracer l’analyse critique (et non pas en en lui laissant que les traces qui servent la charge).
Il y en probablement bien d’autres que vous pourrez ajouter…
A suivre
BD

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