Le livret numérique éclipse le B2i

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Le collège va devenir dans les mois à venir l’objet d’attentions particulières. Le HCE (par la voie d’Antoine Compagnon, le Monde, supplément éducation du 10 février 2010) a montré son intérêt pour le sujet et son engagement dans un examen de ce qu’il conviendrait de proposer pour le faire évoluer. En fait le HCE s’est fait « griller » la priorité par l’assemblée nationale à l’occasion d’une « mission sur la mise en oeuvre du socle commun de connaissances et de compétences au collège » présentée par M. Jacques Grosperrin, Député. (consultable à l’adresse : http://www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/i2446.asp). En effet dans ce document extrêmement intéressant pour tous ceux qui s’intéressent au collège, le groupe de travail dépasse largement les limites imparties de l’analyse du socle pour ouvrir plus largement sur la question du collège. En mettant l’accent sur l’absence de compte rendu sur le socle du Gouvernement (contrairement à la loi) et sur la souffrance actuelle du collège, les députés ont mis le doigt sur ce qui est devenu une évidence depuis plusieurs années pour tous ceux qui accompagnent les collèges (ce qui est une partie de mes activités de formateur). Refonder le collège est désormais une nécessite, et les axes de cette refondation sont en train de se construire sur des bases qui ne sont pas si nouvelles que ça et qu’il ne faudrait peut-être pas oublier. Avec le B2i en premier lieu, mais aussi le Cadre européen d’enseignement des langues, les thèmes de convergences, on a un ensemble « d’objets » indicateurs de cette tendance. Mais avec l’exemple des Itinéraire de Découverte (IDD) on a un contre-exemple : en effet en rendant facultatif les IDD, le ministre Ferry a oublié de prendre en compte une dynamique nouvelle que son prédécesseur avait tenté de poser : la dynamique de projet. Certes les choses étaient parfois mal engagées (professeurs non volontaires, transformation des IDD en séquences dirigées etc…), mais l’idée initiale, dans la lignée des TPE rejoignait bien une tendance lourde que les didactiques actuelles confirment : la nécessité d’amener les élèves à intégrer dans leur culture générale la dynamique de construction des connaissances par l’activité de celui qui apprend en se questionnant plutôt que par la seule intégration de savoirs précédemment formatés pour être transmis et ensuite mémorisés. Les thèmes de convergence, d’ailleurs présentés comme essentiels dans les propositions (numéro 4 p.87) du rapport Grosperrin reviennent sur cette même idée sous une autre forme, mais force est de reconnaître qu’ils sont souvent bien mal connus des enseignants eux-mêmes…
Le rapport parlementaire oublie le B2i comme base de réflexion (oubli significatif dès le haut de la page 8, a peine rattrapé ensuite dans des citations de textes officiels) pour parler du socle commun. Dans un article précédent (Le brevet informatique, un précurseur du socle ? Cahiers pédagogiques (Paris), 01/2006, 439, p.32-33.) j’avais indiqué combien le B2i pouvait être une base pour comprendre le développement possible du socle. Or le rapport parlementaire n’aborde à aucun moment l’analyse de ce dispositif pour enrichir sa compréhension de ce qui se passe pour le socle. Ainsi aurait-il pu voir que le temps de la mise en place correspondait à un temps d’acculturation (nous avons repris ce thème à plusieurs reprise depuis) des enseignants, non pas à la technique, mais bien à l’évaluation et à l’apprentissage, et que ce travail était une dimension en général ignorée ou oubliée des directives ministérielles. Fort heureusement les conclusions auxquelles aboutissent ce rapport sont sensiblement les mêmes que celles que nous décrivons depuis plusieurs années.
Mais cet oubli du B2i ne signifie pas pour autant une mise de coté de l’outil numérique. Or dans le rapport, bizarrement le numérique n’a droit de cité que pour la mise en place d’un livret de compétences numérique. En fait, et c’est là que nous rejoignons l’analyse des auteurs, c’est la question de l’apprentissage et de l’évaluation dans une approche par compétences qui fait réellement problème (p.51 – 61 II B 1,2 et 3). Il faut lire en particulier les pages 58 et 59 qui éclairent particulièrement bien la question des enjeux des livrets numériques de toutes sortes en lien avec une analyse initiale intéressante (réf au journal de bord p.55). Les quatre défis identifiés sont : la forme du livret numérique (promis dans la circulaire de rentrée), la précision et la cohérence dans la gradation (en particulier la question de la compensation intra et inter compétences), la valorisation des acquis par des rites symboliques (qui bizarrement sont mis en lien avec la violence dans les collèges), l’articulation entre ce livret et le livret d’orientation expérimenté prochainement.
Nous nous contentons ici d’identifier la place de la problématique numérique dans ce rapport et nous nous apercevons que celle-ci est très particulière : en dehors même de l’objet (socle commun) dont parle le rapport, mais au coeur de sa mise en oeuvre concrète. Cela a un sens bien particulier : la compréhension du monde scolaire actuel par les décideurs et ses spécialistes ne semble pas encore savoir quoi faire du numérique comme faisant partie d’un collège à venir et donc d’approches nouvelles. En appuyant sur le levier du livret numérique, les auteurs soulèvent de bonnes problématiques, mais mettent de coté l’autre problématique qui est celle de l’accès à la connaissance dans un contexte de société de l’information : autrement dit en négligeant le numérique comme transversal dans l’accès à la connaissance et en le situant à l’extérieur de l’apprentissage, ils confirment ce que nous voyons depuis longtemps, l’incapacité des décideurs à faire des propositions sur de nouvelles formes d’accès au savoir en lien avec le numérique. Cette absence est d’autant plus surprenante que les recommandations contenues dans ce rapport donnent pourtant des indications qui pourraient tout à fait entrer dans cette dynamique nouvelle qui se construit chaque jour sous nos yeux sur la toile.
Or gérer une classe hétérogène par une pédagogie différenciée, développer l’interdisciplinarité et travailler en équipe (page 70 du rapport) sont des pratiques dont on sait depuis longtemps qu’elles peuvent être favorisées par une utilisation pertinente des TIC dans les pratiques ordinaires. De même lorsque le rapport signale un temps de présence accru des enseignants (p.72) on pourrait signaler les nombreuses initiatives prises par les enseignants qui utilisent les outils numériques pour prolonger leur activité en lien avec leurs élèves et changer cette notion de rapport au temps. Plutôt que d’augmenter le temps de présence, il s’agit plutôt de « désynchroniser » les temps d’enseignement et les temps d’apprentissage (accompagnés ou non) et d’introduire cette souplesse, favorisée par les outils numériques distants.
On le voit l’absence de référence explicite au numérique n’empêche nullement de l’envisager comme moyen, parmi d’autres, pour faire évoluer le collège. Mais l’absence de référence au numérique confirme aussi l’absence de compréhension des cadres politiques (et techniques) de l’éducation sur la place à donner au numérique dans les pratiques pédagogiques. En mettant le numérique à l’extérieur sous la forme d’un livret les responsables politiques s’exposent à un risque important dans la communauté enseignante : que ces outils, parce que prescrits d’en haut, ne soient compris comme des outils de surveillance et de contrôle de leur activité plutôt que comme des moyens de mieux assurer la réussite des élèves.
Un rapport dont il sera nécessaire de suivre l’impact, en particulier dans la façon dont le ministère traduira concrètement ses recommandations dans la mise en oeuvre des livrets numériques promis. Quant au B2i, il est encore et toujours mis de coté… peut-être est-ce le signe de la nécessité de le repenser au sein du socle… compte tenu des évolutions actuelles des matériels, des logiciels, mais plus encore des pratiques sociales des TIC, et particulièrement celles des jeunes
BD

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