Lecteur ou auteur, consommateur ou producteur

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Le développement des technologies de l’information et surtout celles de la communication, numériques ou non, ont un effet important sur la relation entre celui qui « émet » et celui qui « reçoit ». Cependant on observe un double mouvement selon que l’on parle de bien matériels ou de biens numériques (qui ne sont pas immatériels en réalité). Entre le producteur et le consommateur de biens matériels, le lien s’est distendu a tel point que l’un et l’autre s’ignorent désormais pour la plupart des produits que nous acquérons. Comme si le producteur avait disparu de l’espace de conscience du consommateur. Entre le producteur et le consommateur de biens numériques, l’un et l’autre peuvent désormais se confondre, même si cela n’est pas généralisé. En d’autres termes le consommateur d’informations numériques est aussi un producteur (potentiel au moins). Ce double mouvement est d’autant plus intéressant à analyser qu’il marque principalement une évolution qui date de deux siècles et qu’actuellement l’apparition des TIC, du numérique en général remet en cause les modes de vie en société, voire même le projet de nos sociétés quelles qu’elles soient. Pour le dire autrement, ce double mouvement repose la question de la place de l’humain dans tous les processus de communication, d’échange, de relation. A tel point que l’on croit pouvoir lire dans certains propos, dans certains projets politiques, voire techniques, une sorte de déshumanisation d’autant plus grande que l’humain « embarqué » est important, mais caché.
Acheter directement chez le producteur (exemple de la diffusion du réseau AMAP) reste toujours possible et revêt même les couleurs d’un militantisme qui actuellement retentit aussi bien sur le plan politique (écologie…) que sur le plan de l’imaginaire collectif (retour à la nature, sentiment d’authenticité). Cependant la majorité des achats effectués actuellement ne relèvent pas de cette logique qui fait communiquer directement le producteur et le consommateur. La grippe aviaire ou encore la crise de la vache folle nous rappellent désormais que ce que nous mangeons au quotidien n’est pas systématiquement produit dans la proximité physique. Les moyens de communication que sont les moyens de transports mécanisés développé fortement au XIXème siècle ont fortement concourus à distendre les relations de proximité au point qu’aujourd’hui, même quand je vais dans un « magasin d’usine » d’une marque il y a de bonnes chances que la production du bien n’ait été faite bien ailleurs que dans l’usine elle-même qui jouxte le magasin. L’usine n’est plus qu’un simple entrepôt, doublée de bureaux de conception…. Autrement dit s’opère une « dépersonnalisation » du bien acquis. En d’autres termes lorsque je fais l’acquisition d’un bien je ne me préoccupe pas de savoir ce qui s’est effectué en amont de ce bien. Le retour à la mode du « made in France » est un leurre dans ce contexte, tout au plus un slogan politique. Le vrai problème est la conscience de la relation producteur consommateur, avec tout ce que cela implique de processus complexes et éloignés allant jusqu’à l’esclavagisme de certaines populations….
Ainsi, pour ce qui est de la plupart des biens matériels, nous ne percevons plus, ou très difficilement, le lien qui nous unit en tant que consommateur avec le producteur. Mais bien plus, cet état de fait produit une déshumanisation qui amène à ne plus prendre en considération les conséquences d’un acte d’achat sur celui qui produit le bien. Ce problème, même posé par le commerce équitable, est difficilement compréhensible dans un contexte idéologique dans lequel « chacun joue pour soi ». Ou, dit autrement, du moment que je paie moins cher, c’est ce qui m’importe, quelque soit la façon dont est produit le bien. Ceci a évidemment des conséquences matérielles importantes mais aussi des conséquences politiques intellectuelles et cognitives dont la plus importante est la déresponsabilisation individuelle qui accompagne le développement de l’idéologie de la réussite personnelle (courant porté depuis le 19è siècle aux Etats unis par le transcendantalisme entre autres  (cf. Esprit Juillet 2011)
Au moment où un enseignement de l’informatique et des sciences du numérique apparaît dans le monde scolaire, on peut se poser la question du sens même de cet enseignement analysé au travers du prisme de ce questionnement. L’idée de base est de donner les concepts fondamentaux de la technique et de la science, pensant que cela permettra de décrypter et de maîtriser ces outils. Malheureusement pour ses promoteurs, EPI et autres ITIC, ils ont oublié, à force de critique infondées, que le B2i avait des vertus complémentaires qu’ils ne peuvent ignorer. Le contenu du référentiel/programme de l’ISN oublie notoirement les dimensions anthropologiques liées à la mise en oeuvre de ces techniques. En fait il est incomplet. Le consommateur de code informatique est enfermé dans la logique de son producteur. Le lien producteur de code, consommateur de code se complique de l’effet du code, c’est à dire de l’humain embarqué et habillé de technique (interface, ergonomie etc…)
L’un des problèmes essentiels de l’éducation du XXIè siècle est probablement de réhumaniser un environnement qui se technicise comme nous avons l’occasion de le constater aussi bien avec certains drames du transport qu’avec cette évolution de la relation producteur/consommateur. Le web 2.0 ne doit pas nous faire croire au réenchantement d’un monde par la seule vertu de l’interaction humaine numérisée. Encore faut-il qu’elle soit habitée. De nouveaux types de produits logiciels basés sur la « curation » en sont une belle illustration. Si avec le site web ou le blog, il fallait une production « longue » de contenus, avec le web 2.0 s’est développé la production courte (cf. un de nos récents messages). Désormais apparaissent les outils de « compilation » appelé savamment « curation » pour indiquer un choix, une sélection. Il s’avère que ce blog est l’objet de cette curation et se retrouve fréquemment relayé dans ces sites fabriqués par des produits comme scoopit. Par le fait l’auteur se trouve « démultiplié » par le simple fait technique d’une reproduction automatique de son contenu. Donc non seulement l’écrit semble se raccourcir, désormais il disparaît et devient la reproduction automatique. L’auteur de tels sites ne produit rien d’autre qu’un assemblage. Autrement dit il ne tient plus parole il fait du « lego » intellectuel. On voit bien l’intérêt de ces « agrégateurs » publics, ils canalisent et regroupent des contenus facilitant la tâche de veille. Mais qu’apportent-ils en termes de valeur ajoutée ? Les sites de mutualisation issus des anciennes listes de diffusion des années 95 – 2000 avaient au moins le mérite d’une personnalisation des contenus, voire même une production.
Mais la déshumanisation semble se poursuivre avec ces techniques qui amènent simplement à relayer une information. Sur Facebook, comme sur Twitter on connait bien ce phénomène, avec les outils de « curation » cela prend une autre dimension… Mais quid de la relation producteur consommateur. De nouveau, le producteur est en train de disparaître sous des couches d’intermédiaires jadis humain, désormais plus technicisés et bientôt automatisés… L’illusion créative, productive en était bien une. Reste le spectacle dépersonnalisé du texte, du message…
Il me semble qu’il est nécessaire de rappeler à chacun des acteurs du web sa responsabilité d’humain. Aussi une éducation à l’ère du numérique doit d’abord s’intéresser à cette dimension avant de pouvoir, de manière bien évidemment indispensable, aborder celle des fondamentaux techniciens et scientifiques du numérique. Le risque de l’inversion est celui d’une vision mécaniste et scientiste de l’humain qui s’imposerait à ces nouveaux « automates génétiques » que pourrions devenir si nous n’y prenons garde. Cette question doit aussi être inscrite, historiquement, dans la suite de la logique des Lumières et de leur conviction d’une science rationnelle triomphante, en opposition à des croyances elles aussi déshumanisantes, malgré les dénégations des uns et des autres….
A débattre
BD

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