L'enseignant, les programmes, le road book, la carte, la boussole et le GPS

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Imaginons un instant ce que pourrait être aujourd’hui le vieux rêve d’un « enseignement automatique ». Et ensuite posons-nous la question de savoir si les contraintes du métier d’enseignant ne sont pas génératrices d’automatisation des pratiques. Enfin examinons ce que le numérique pourrait provoquer (partiellement) comme mutations dans le métier d’enseignant en particulier sur son versant pilotage de l’activité.
Il y a déjà fort longtemps que l’automatisation de l’enseignement et plus largement de la transmission traverse l’esprit humain. C’est en premier lieu (pas forcément chronologiquement) la mémorisation qui s’impose (pas d’écrit, encore moins de livre et on n’imagine même pas l’ordinateur). Les techniques de travail de la mémoire et de la transmission sont modelées par cette question. L’arrivée de l’écrit et plus tard du livre puis de l’ordinateur vont élargir ce champ de l’automatisation. De l’automatisation du geste on est passé à l’automatisation du processus mental. L’intelligence artificielle d’abord, les sciences cognitives ensuite vont apporter un éclairage intéressant. Mais elles sont balayées par l’idée de fond de la mémorisation : que font les exerciseurs et autres produits d’enseignement assisté par ordinateur : ils posent la question de l’importance de l’automatisation interne par rapport à celle de l’automatisation externe. En d’autres termes la lutte de l’apprentissage des tables de multiplication contre celui de l’usage des machines à calculer numérique. L’expérience du jeu d’échec a mis en évidence cette lutte et a mis aussi en évidence que l’automatisation et le traitement automatisé des machines numériques était en total décalage avec le travail du cerveau.
Car la question de fond est là, le cerveau n’est pas un automate programmable numériquement (sous la forme binaire actuellement en vigueur). Chaque enseignant peut s’en rendre compte, obligé qu’il est de se débattre avec les « manières de faire » des élèves avec lesquels il travaille. L’incertitude et l’incomplétude peuplent le quotidien de l’enseignement et de l’apprentissage. Le rêve de l’automatisation (cf. les machines à enseigner d’Eric Bruillard) de l’apprentissage par l’extérieur est retombé (d’ailleurs les machines apprenantes – à apprendre – posent aussi de nombreux problèmes). Il reste alors les programmes… liste incroyablement fournie d’objets à apprendre, plus ou mois définis mais en tout cas considérés comme évalués (ce qui demande à être vérifié).
Les programmes sont-ils un road book ? A moins que ce ne soient les manuels scolaires qui jouent ce rôle, ou les documents d’accompagnement proposé depuis plus de vingt ans par le ministère.  Si l’on s’essaie à la métaphore de l’orientation géographique, le travail de l’enseignant à l’ère du numérique prend une coloration intéressante. Si l’on considère la carte des savoirs, on peut se rendre compte que le monde scolaire est basé sur une carte bien limitée et peu précise parfois, voire fausse. En d’autres termes, les savoirs enseignés à l’école sont forcément en petites quantités (en regard des savoirs en général), leurs limites sont nombreuses et de nombreux contenus proposés sont tellement généraux que le spécialiste du domaine ne s’y retrouve pas souvent et parfois constate qu’ils sont en décalage avec les savoirs du moment. Bref les programmes proposés sont bien fragiles.
Ce qui apparaît, dans le contexte numérique, c’est que les limites imposées par le système de scolarisation et d’instruction sont de plus en plus discutées, contestées remises en question. Dès lors les enseignants peuvent être mis en situation de reprendre leur boussole des savoirs. Heureusement des GPS sont proposés sur Internet et des ressources complémentaires peuvent aider à se repérer : les sites coopératifs des enseignants ont montré le chemin, désormais empruntés par l’institution elle même dans les sites académiques. Cependant les programmes servent aussi de cadre rassurant, préstructuré et légitimé par l’évaluation qui en sera faite Ce qui range ces éléments extérieurs au rang d’annexes.
Ce n’est pas dans les contenus d’enseignement que les enseignants sont à la recherche de boussoles ou de GPS, c’est dans la dimension éducative de leur métier. Si, pendant de longues années la « vie scolaire » a été le référent unique de ces questions, voire l’arbitre, même pour les enseignants, désormais elle se trouve mise en interaction de plus en plus massive avec ce qui se passe dans la classe. Les questions de « vie scolaire » ont longtemps été marquées par l’interface des sanctions punitions. La dimension éducative de l’enseignement pouvait être délaissée. Avec la massification d’abord, l’irruption du numérique dans la classe, l’éducatif prend un poids de plus en plus lourd. Piloter les apprentissages, c’est aussi piloter l’éducatif et cela de manière de plus en plus accentuée. Or cette dimension du métier renvoie bien davantage à la personne, ses affects, sa psychologie, que la seule dimension instructive. Nombre d’enseignant sont aussi parents et ont, comme dans toute la population, des interrogations, des difficultés, même si globalement ils s’en sortent mieux que l’ensemble de la population. Mais l’arrivée de questions éducatives, la plus récente concerne les smartphone et leur cortège d’usages variés (réseaux sociaux en tête en ce moment), demande de changer de repères. Or les boussoles de l’enseignement n’ont pas changé et les GPS, guère davantage.
Si les programmes ont longtemps été structurant et le restent encore actuellement, de nombreux pays les ont assouplis pour mieux prendre en compte l’éducatif. En effet le poids des programmes, ces boussoles de savoirs, est tellement fort qu’il restreint les possibilités d’action. On a pensé que la seule « professionnalisation  » des enseignants apporterait une solution, mais c’était oublier la dimension d’éducateur que comporte le métier. Ce que le numérique, entre autres, provoque au sein du monde scolaire, c’est la lente abrasion de l’idée de programmation détaillée préformée au profit d’un assouplissement et d’une ouverture nécessaire à des incertitudes, des incomplétudes et donc la nécessité d’être en mesure d’accompagner les élèves. L’enseignement programmé, relayé par l’enseignement assisté par ordinateur, les exerciseurs, les tentatives d’automatisation de l’enseignement ont très rapidement montré leurs limites (comme l’intelligence artificielle d’ailleurs) pour prendre en compte la complexité humaine contemporaine. Les cadres préexistent de moins en moins au développement du jeune, Jean Paul Gaillard dans son livre « Enfants et adolescents en mutation » l’a bien montré, permettre aux jeunes de construire des cadres de leur action est désormais l’une des priorités éducatives. Dans un système scolaire qui pose le cadre avant l’action, avoir des élèves qui posent l’action avant le cadre, voire même sans cadre, ou avec d’autres cadres est une vraie difficulté. La boussole de l’enseignant est à réinventer !!!
A suivre et à débattre
BD

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