Pour un système scolaire "formateur" de la société ?

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Le système scolaire doit-il s’adapter au monde ou tenter d’adapter le monde à une vision du devenir humain ? Le développement du numérique dans nos sociétés et surtout en dehors du système scolaire invite fortement à réfléchir cette question. Au cours d’un échange avec des responsables d’établissements scolaires, cette question est apparue comme essentielle quand l’un des interlocuteurs a dit : « l’école prépare les jeunes à s’intégrer au monde », et j’ai répondu, un peu vite, « l’école prépare les jeunes à faire le monde, à le transformer et non pas à s’adapter seulement au monde tel que nous le leur proposons ».
Un peu d’histoire de la scolarisation et de l’enseignement, montre qu’une ambigüité permanente est sous jacente à ces institutions : d’un coté il s’agit de transmettre ce qui est en place, de l’autre de rendre possible des évolutions. Cette ambigüité est au coeur même du mot transmettre. La lecture des textes fondateurs des différentes propositions de scolarisation révèle cette ambigüité : libérer les enfants des familles pour les amener dans une nouvelle famille « citoyenne », Libérer et enfermer, ainsi l’éducateur serait pris dans ce dilemme
Qu’en est-il avec les évolutions en matière d’information et de communication. En premier lieu il faut interroger l’opposition entre les anciens et les modernes, le conflit générationnel. En deuxième lieu, il est indispensable de questionner le sens du progrès, de l’évolution, de la nouveauté. En troisième lieu, il faut situer l’éducation dans de tels contextes en évolution.
– L’opposition entre les anciens et les modernes en matière de communication et d’information s’est largement amplifié avec le développement des moyens mis à disposition. L’espace temps de la vie quotidienne, personnelle et professionnelle s’est progressivement distendu. L’invention des postes puis du timbre et des services annexés puis le développement du transport de la voix puis de l’image ont contribué à mettre « le monde à portée de la main ». Ces inventions, parmi d’autres, illustrent comment petit à petit les générations anciennes ont porté le développement de techniques qui les ont dépassées. Qui fabrique, qui invente les technologies actuelles si ce n’est d’abord ceux qui sont arrivés à maturité d’âge. Mais l’inégalité de perception de ces évolutions au sein de la société, fracture culturelle inhérente même à la complexification de nos sociétés, fait émerger des craintes, des effrois, des peurs liées en grande partie à la non maîtrise technique, mais aussi à l’incompréhension du sens des évolutions. Le conflit générationnel est en fait un conflit culturel.
– La pyramide des besoins de Maslow mérite d’être rappelée pour analyser le sens du progrès. Des besoins de survie aux besoins de consommation, de bien être, il est indispensable que chacun se rende compte de l’effet des évolutions scientifiques et techniques. Et en premier lieu sur soi-même. Revenons en 1970, époque à laquelle il fallait entre 2 et 4 mois pour se voir installer un téléphone filaire à domicile. Rappelons l’époque où il fallait entre dix minutes et trois heures pour traverser la France en vue d’entrer en conversation téléphonique. Regardons aujourd’hui l’instantanéité planétaire permise par les téléphones portables et Internet. Le besoin réel que chacun a de ce service est bien loin de la survie… Or on s’aperçoit qu’autour de cette technologie, la société s’est organisée, la rendant « vitale » et la faisant descendre dans les étages de la pyramide. Ainsi donc des objets/dispositifs techniques nouveaux s’imposent dans le quotidien et imposent aussi l’idée d’un progrès inéluctable et bienfaiteur. On retrouve la même chose dans le système de santé et d’hygiène qui a amené à l’allongement de la durée de la vie des habitants des pays les plus riches. Derrière cela c’est la question philosophique de la durée de vie et donc de la mort qui est aussi posée. Le sentiment d’invincibilité, d’immortalité qui caractérise la jeunesse serait-il en train de gagner les plus anciens… grâce ou à cause des « progrès » de la technique et de la science.
– Dans de tels contextes. Si éduquer c’est « conduire hors de » alors on voit bien que les éducateurs de toutes natures, parents enseignants etc… sont dans la situation paradoxale de reproduire et d’inventer en même temps. Ou plutôt de rendre possible l’invention de demain. Ce tour de force serait-il en train de se perdre dans les institutions en place du fait de l’émergence de nouvelles formes de « vie des savoirs » dans l’espace social ? L’audiovisuel, puis le numérique ont mis en évidence le fait que si d’un coté les centres de recherche continue d’apporter de nouveaux objets et dispositifs dans l’espace social, d’un autre coté les institutions en charge du « passage » ont perdu leur poids dans le définition de ce passage et de la fonction cybernétique d’accompagnement critique des inventions. En d’autres termes, le monde scolaire serait passé du rôle d’éclaireur au rôle de suiveur. Désormais c’est ailleurs que la fonction de construction sociale de l’acceptation des nouveautés techniques s’effectue. Quand on lit que l’école étant passée à coté de la vague de l’audiovisuel, elle ne doit pas passer à coté de celle de l’informatique, on ne peut qu’observer que, malgré de nombreuses tentatives et ce dès le début de cette évolution, cela s’est produit au moins partiellement. Non pas passé à coté, mais devenue simple acteur observateur, mais en tout cas pas auteur social. Certes des innovateurs souvent mis en avant montrent qu’il n’y a pas de fatalité. Mais ils cachent les réalités quotidiennes d’un système qui est à la recherche d’un « second souffle », étouffé qu’il est par cette vague numérique.
Y a-t-il un avenir dans des structures comme celles qui existent actuellement ? A court terme, la volonté de reproduire et de suivre est plus forte que celle de construire. On perçoit déjà la critique des moyens… rengaine pratique, et parfois bien réelle, qui permet de ne pas aborder les sujets qui fâchent. L’école perd ainsi de son lustre et les enseignants avec. Analyser la descente aux « enfers médiatiques » de cette profession ne doit pas faire perdre de vue qu’il ne faut pas faire des enseignants les boucs émissaires faciles d’une absence de volonté politique et économique. Chacun y a sa responsabilité, il est plus confortable et moins risqué de suivre l’air du temps et de reproduire le déjà là. Le problème est que le déjà là de l’école n’est pas le déjà là du reste de la société. Il est indispensable que dans les années à venir on repose la question du sens fondamental des institutions scolaires en regard de l’ambivalence du terme « transmettre » dont on fait trop souvent l’apologie en en privilégiant l’un des sens et surtout en oubliant d’y ajouter les qualificatifs indispensables. L’histoire de l’humanité est celle d’un mouvement. A l’échelle du temps le numérique n’est pas grand chose, et pourtant à l’échelle de l’histoire il semble bien que ce soit un phénomène d’ampleur inégalé… pour l’instant…
A suivre et à débattre
BD

5 pings

  1. […] L’école perd ainsi de son lustre et les enseignants avec. Analyser la descente aux « enfers médiatiques » de cette profession ne doit pas faire perdre de vue qu’il ne faut pas faire des enseignants les boucs émissaires faciles d’une absence de volonté politique et économique. Chacun y a sa responsabilité, il est plus confortable et moins risqué de suivre l’air du temps et de reproduire le déjà là. Pour un système scolaire « formateur » de la société ? « Veille et Analyse TICE […]

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