Au centre du réseau social : Moi !

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Par ce titre provocateur, il me paraît important d’attirer l’attention sur le mythe des réseaux sociaux qui cache des réalités bien plus intéressantes à développer. Les aphorismes et autres proverbes qui accompagnent les réseaux sociaux sont à la hauteur de ce que les technozélateurs, qui pour la plupart découvrent ces réseaux sociaux, proposent comme analyse. En d’autres termes on voit dans les réseaux sociaux des vertus qui sont davantage dans l’imagination de ceux qui en parlent que dans le vécu psychologique de chacun Le développement du potentiel de réseautage social via les technologies numériques est réel, mais on ne peut le réduire à ces technologies et à leur mise en oeuvre. On ne peut pas les réduire non plus à ces illusions psychosociologiques qui ont accompagnés récemment des mouvements populaires. Encore une fois la diffusion d’une technologie dans la société révèle et amplifie une question bien plus ancienne et surtout déjà bien documentée. Or ici la question est avant tout celle de ce que l’humain fait au réseau, fait du réseau, bien plus que l’inverse. Non Internet ne fait pas des révolutions, ce sont les humains qui les font en instrumentalisant leur environnement.
Eduquer aux réseaux sociaux c’est d’abord réfléchir à soi. On parle trop souvent des échanges et pas assez de la manière dont chacun se situe dans une dynamique d’échange. L’expression « identité numérique » est trompeuse et réificatrice. En effet le « moi » devient une sorte d’objet externe, presque sans « âme » dès lors qu’on l’enferme dans une « identité numérique » autrement dit dans une délimitation nette de la frontière entre soi et les autres. Ce qui interroge, dans le développement des réseaux sociaux c’est leur capacité à révéler à chacun, de chacun son moi, « son être même en devenir ». Les prises de consciences qui s’opèrent chez les usagers de ces espaces de partage et d’échange sont d’abord centrées sur soi avant d’être orientées vers le collectif. Un jeune ou un adulte qui utilise régulièrement les réseaux sociaux est rapidement renvoyé à la question du « qui suis-je » en regardant ce que l’on peut voir des autres au travers de ces mêmes espaces. Chacun de nous a pu faire l’expérience de la surprise de tel ou tel propos tenus par quelqu’un que l’on connait dans un autre contexte et qui, sur l’écran, révèle une autre facette de lui-même ou d’elle même. La multiplication de ces évènements au sein d’un ensemble de propos de toutes natures qui s’affichent sur la page d’accueil du réseau amène inévitablement à la question du soi et de sa propre image.
Dans le rapport individuel que chacun entretient avec son environnement, il est tentant de penser des autres qu’ils sont manipulés alors que soi l’on se croit libre distant et critique. Mais si chacun de nous pense cela, alors soit nous sommes tous réellement manipulés (par qui ?) soit nous sommes tous en capacité de critique (jusqu’à quel point). L’éducation du jeune, si elle se veut « conduite hors de » concoure à passer de cet état de manipulation (supposé pour l’enfant qui nait en état de dépendance) à un état d’humain libre et responsable. Si nous tentons de faire le lien avec les réseaux sociaux, nous avons là un bon observatoire de cette éducation et de ses résultats. Mais alors, l’observation que chacun semble faire des autres conforterait l’idée que le terme serait impropre et qu’il faudrait parler « d’inducation » signifiant « conduire dans » si l’on considère que les usagers n’ont pas cette distance critique et qu’ils sont manipulés.
Cette première approche interroge la question des interactions humaines et de leurs effets sur chacun de nous. La psychosociologie des groupes, des foules, a suffisamment mis en évidence le paradoxe que nous soulignons ici pour ne pas être tenté de l’appliquer au monde numérique. La situation en classe est un bon observatoire de ces paradoxes qui traversent, dès la petite enfance chacun de nous. D’ailleurs les enseignants sont prompts à mettre en scène ce paradoxe qui veut que pour accéder à la pensée critique il faut avant tout obéir…. accepter une forme de manipulation libérante. Condorcet puis Jules Ferry ne sont-ils pas eux, aussi dans ce même paradoxe ? L’accès au monde numérique, parce qu’il est globalement incontrôlé par des adultes ou des institutions fortes, permet de revisiter cette façon qu’a chaque humain d’exister face à la société. Il reste encore en exploration par rapport à un monde adulte très normé. Ouvrant, comme tout espace nouveau des portes vers de l’incertain, le numérique et récemment les réseaux sociaux mettent en évidence la complexité de l’accès de chacun au rang de Sujet. Si pour Jean Paul Sartre « l’enfer c’est les autres », il  n’ignorait pas combien les autres sont au coeur de l’accès à l’existence. Et c’est là que l’on peut comprendre comment les réseaux sociaux prennent une place nouvelle dans l’univers social.
Si je suis au centre de mon réseau, ou que le réseau me fait Moi, je ne deviens Moi social qu’à partir du moment où je m’autorise à « relier » et donc à passer de la conscience individuelle à la conscience collective, celle qui fait les peuples et les nations. La difficulté que rencontre chaque jeune face à ces espaces nouveaux de construction personnelle c’est justement de se situer, d’exister, en tant que Moi avant de pouvoir ensuite être partie prenante d’un collectif. Mais la grande difficulté c’est que les institutions ont une tendance constante à écraser le « Moi » au profit du « Ils » au lieu de rendre possible le « Nous ». L’exemple des révoltes récentes dont on dit qu’Internet y aurait joué un rôle, est peut-être à mettre en lien avec cela. L’accès au statut de sujet par une grande partie de la population, déliée des limite imposées a atteint un tel niveau que le collectif, le Nous a pu enfin émerger et se mettre en lutte contre les institutions en place.
Si l’on se situe dans le cadre quotidien de l’établissement scolaire, on constate aisément ce phénomène en émergence. Le carcan qui s’impose est certes solide et durable. Et pourtant on observe aisément les mouvements en cours. Les blogues et leur déploiement rapide avait été un signal. Leur mise en oeuvre et leur développement a laissé la place assez rapidement aux réseaux sociaux qui ont apporté au blogue ce qui manquait pour ses usagers : un retour sur le Moi. Même si les commentaires d’un blog donnent à son auteur une centralité, elle reste très traditionnelle (courrier des lecteurs…). Avec les réseaux sociaux plusieurs frontières tombent : le statut d’auteur n’est plus figé, les interactions sont vives, le réseau social centralise autour de son usager l’ensemble de son capital de socialisation, le temps est déstructuré, les continuités sont plus nombreuses (liens aisés avec d’autres univers). Le monde scolaire est totalement inadapté ou au moins en décalage avec ces formes de la vie sociale.
Si éduquer vise à libérer du carcan de l’ignorance, les réseaux sociaux ont un potentiel très important dans cette dynamique. Mais en même temps, ils constituent un danger potentiel si l’usager n’a pas accédé à la place de Sujet avant de participer à cette démarche que certains qualifient (de manière imprudente peut-être) d’intelligence collective. Du coup le monde scolaire peut retrouver une autre légitimité, à condition d’accepter de participer de la construction de Sujets avant de rêver à en faire des Citoyens, ce qui ne pourra plus advenir sans ce passage obligé. Si il y a plusieurs années le collectif précédait le Sujet, les usages des réseaux sociaux nous invitent à renverser le modèle et à accepter le développement des Sujets comme expériences première à encourager, voire à mettre comme projet éducatif, mais pas comme fin ultime et unique.
Les risques de dépendances sont nombreux dans un univers de plus en plus riche et varié et surtout sans intermédiaires humains. Si les intermédiaires se sont longtemps situés en amont de l’accès aux savoirs (école, livre etc…) désormais ils sont remplacés par l’urgence du compagnonnage, de l’étayage/désétayage qui sera probablement le point fort de l’éducation de demain dans un monde fait de davantage d’incertitudes et d’inattendus.
A débattre
BD

2 Commentaires

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  1. la notion de centre ne peut qu’être contre productive dans la construction d’une image de soi d’un réseau social. Ramener une fois encore dans le cours de l’histoire à un système centrique nie toute l’évolution vers un système fluide et contribue à enfermer la vision de l’autre et du monde réel comme virtuel dans un schéma centrique réducteur et potentiellement risqué

    1. Il y a pour moi une différence entre le Moi et le centre. Cependant il y a risque lorsque le Moi ne s’articule pas avec le collectif (passage à la maturité), ce qui est bien le rôle de l’éducation idéale. Cependant l’observation montre que l’on ne va pas toujours dans le sens d’un système fluide.

  1. […] Au centre du réseau social : Moi ! PC Astuces : Astuces pour Facebook PC Astuces vous propose de recevoir gratuitement par e-mail sa lettre d'information quotidienne avec l'astuce du jour, le logiciel du jour, un guide pratique, le fond d'écran du jour, l'actualité informatique, un produit du jour, etc. Les « punitions créatives » des parents sur Facebook L’histoire commence à prendre de l’ampleur aux Etats-Unis, et on le comprend : une mère, apparemment excédée par l’attitude de sa fille de 13 ans sur Facebook, a décidé de fermer temporairement le compte Facebook de sa fille, mais pas de n’importe quelle manière : en affichant sur le profil du compte une photo de son enfant avec la bouche barrée d’un gros « X » rouge, suivie du commentaire suivant : « I do not know how to keep my… [mouth shut], I am no longer allowed on Facebook or my phone. Please ask why, my mom says I have to answer everyone that asks ». Traduction: « Je ne sais pas me taire. Je n’ai plus le droit d’aller sur Facebook ou d’utiliser mon téléphone. Demandez-moi pourquoi, ma maman dit que je dois répondre à tous ceux qui me demandent ». L’affaire a évidemment été très vite médiatisée, inspirant des débats sur les chaînes de télévision, la maman – appelons-la Denise – expliquant qu’elle avait choisi d’adapter ses méthodes d’éducation à l’air du temps. e-réputation […]

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