La pédagogie : passage Du web 1.0 au web 2.0 ?

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Un récent article du Monde sur l’évolution des enseignements à HEC
http://www.lemonde.fr/orientation-scolaire/article/2012/10/17/la-trop-sage-hec-bousculee-par-ses-deux-tiers-d-enseignants-etrangers_1776619_1473696.html#xtor=AL-32280270 met en évidence une différence radicale entre le modèle de l’apprenant français et celui de l’apprenant anglo-saxon. On a l’impression que les premiers fonctionnent en mode web 1.0 et que les seconds le fait en mode web 2.0. Est-ce pour autant que l’enseignement est identique ?
Tout d’abord les notions de web 1.0 2.0 etc… sont avant tout des appellations médiatiquement rentables, mais qui ne traduisent que peu de changements réels, si ce n’est une accessibilité accrue à des moyens auparavant lourds à mettre en œuvre, mais pas inexistants. Pour le montrer, il faut évoquer ici une expérimentation d’enseignement hybride organisée dans l’enseignement catholique français entre 1989 et 1992. Basé sur des parcours qui associaient présentiel, supports d’autoformation et espace numérique de partage de ressources et de discussions, nous avions là les éléments qui composent ordinairement le paysage de la FOAD, du elearning et des formations dites hybrides d’aujourd’hui. De plus l’utilisation des forums de discussions, associés aux rencontres et aux échanges de messages personnels constituaient rien d’autre qu’un réseau social numérique avant l’heure… Autrement dit rien de bien nouveau, si ce n’est que Facebook c’est bien plus facile à utiliser…
L’arrivée du HTML, vite secondé par les logiciels de conception de page (on se rappelle bien les plus simple comme Claris Home page par exemple), a permis très rapidement d’installer une publication en ligne. Ce web 1.0 dont on dit qu’il était unidirectionnel ne l’était pas autant que ça. Déjà dans les années 1995 2000, les échanges par sites web interposés révélaient ceux que l’on retrouve aujourd’hui. Ainsi ces élèves anciens et actuels qui avaient caricaturé le site de l’établissement en usurpant son identité et sa charte graphique n’avaient pas fait autre chose que ce que l’on retrouve aujourd’hui sur certains sites. Les amis se manifestaient autrement que par un like sauvage, mais les livres d’or et autres liens ou moyens d’entrer en communication étaient certes moins efficients, mais ils apportaient des fonctionnalités presqu’identiques et les forums et mails venaient juste contribuer à l’interaction.
L’avènement du web 2.0 se signale souvent par le développement des blogs. Alors que ce modèle existait déjà sous une autre forme (tout comme l’IRC…Internet Relay Chat, précurseur de MSN et autres), la principale évolution (et non nouveauté) était la possibilité d’automatiser le droit à commenter… La suite des développements du web dit 2.0 ne doivent pas faire oublier que ce qui est nouveau c’est surtout la « massification des usages » et donc les modifications possiblement induites par ces usages. Or il en est une qui pose question, c’est celle du monde de l’enseignement. Entre le campus européen d’été de l’université de Poitiers en ligne à l’adresse :http://uptv.univ-poitiers.fr/web/canal/44/theme/35/manif/404/index.html et le récent colloque de l’UDESCA sur le thème de l’université à l’ère des réseaux sociaux, à l’instar d’autres initiatives dans la même direction, on peut constater qu’il y a des effets de questionnement à cette massification des usages dits du web 2.0 et en particulier des Réseaux Sociaux Numériques.
On peut faire une analogie critiquable mais illustrative en proposant l’idée que le web dit 1.0 c’est l’enseignement magistro-centré et que le 2.0 c’est l’enseignement interactif et social (on évitera ici l’emploi des expressions socio-constructivistes et socio-cognitivistes qui sont des modélisations et théorisations de l’apprentissage). Or dans l’article que nous propose le journal le Monde (suivi la même semaine d’un autre sur la fin des cours en amphi), la question est liée aussi à des contextes culturels. L’enseignement en France serait de type web 1.0 alors que dans les pays anglo saxons il serait de type web 2.0. On imagine tout de suite la transformation hâtive que certains pourraient faire en parlant de « retard français » ou encore de « résistance au progrès » qui caractériserait l’enseignement de ce coté ci de l’océan.
Un peu comme avec les méthodes de lecture des enseignants du primaire dont on sait qu’elle n’ont jamais été totalement d’une sorte ou d’une autre, on peut, à regarder plus généralement le système d’enseignement dire qu’il en est de même dans cette opposition. Simplement il y a des questions de temporalités et de modalités. Coté temporalités, c’est le temps de la concentration sur le discours qui se déplace de la salle de cours (magistral) au travail personnel (lecture ou visionnage du cours en dehors des temps de présence). Autrement dit le temps de rencontre entre l’enseignant et l’étudiant ou l’élève sont transformés par la priorité donné à l’apport ou à la question. Coté modalités, on peut s’apercevoir, par exemple que les TP et TD sont des modalités qui sont basées sur les interactions de type web 2.0 tout comme le sont certains « cours » dans d’autres milieux. En fait les systèmes d’enseignement doivent prendre en compte deux impératifs contradictoires : la maîtrise des compétences suppose un travail approfondi des discours (papier, oral vidéo) qui ne peut relever que de la personne seule, mais elle suppose aussi un travail de confrontation (appelé par ailleurs conflit socio-cognitif) qui ne peut relever que de la confrontation avec les autres (les pairs, les enseignants, les autres en général).
Or le numérique apporte à ces façons de faire, des opportunités nouvelles, des modalités plus souples, des moyens nouvellement disponible, mais pas des changements radicaux (Lev Vygotsky est mort il y a bien longtemps déjà). Ce qui change réellement, dans le contexte d’enseignement, c’est le fait que les instruments numériques dont disposent les étudiants perturbent l’organisation antérieure et la remettent en question. Mais, comme le dit aussi Michel Serres, le numérique n’est pas le seul responsable, il est à inclure dans une dynamique de vie sociale nouvelle qui émerge de changements multiples (famille, travail, interculturel etc…). La difficulté tient au fait que des modèles que l’on croyait établis, qui étaient rassurants, sont désormais appelés à changer. Mais à regarder l’histoire des cinquante dernières années (1968 compris) les évolutions sont beaucoup plus lente qu’on ne le pense. Même si l’humain se transforme dans un environnement nouveau, c’est dans des temps longs que cela se produit. Seuls le monde économique et marchand ont intérêt à nous faire accélérer (le progrès et le développement constant comme idéologie dominante), l’humain lui préfère prendre son temps. Mais confronté à ces contextes en renouvellement, le monde de l’enseignement commence par tenter de se situer, pour ensuite tenter de se repositionner (assimilation/accommodation chers à Jean Piaget). L’arrivée du web 2.0 est concomitante à d’autres phénomènes dont le symbole le plus fort est celui de la place de la « Parole ». Or l’autorité de la Parole est en train de changer de forme sociale, avec ou sans le numérique, mais avec cela prend une coloration particulière et peut-être plus inquiétante parce que moins saisissable, immédiatement.
A débattre
BD

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